Imágenes de páginas
PDF
EPUB

HISTOIRE

DU MINISTERE

DU CARDINAL

XIMENEZ,

ARCHEVESQUE DE TOLEDE,

ET

REGENT D'ESPAGNE.

LIVRE

SECOND.

Ly avoit deux ans que Ximenez eftoit Confeffeur de la Rei ne, lorfque le Cardinal de Men

doza tomba malade de la ma

ladie dont il mourut.. Les Rois Catho

liques ayant appris le danger où il eftoit le furent vifiter. Ce fut un honneur qu'ils rendirent autant à fon merite & aux fer

Pietre
Mart.
P. 143,

vices qu'il leur avoit rendus, qu'à fa naiffance & au rang qu'il tenoit dans l'Eglife & dans l'Etat. La confiance qu'ils lui témoignerent en cette occafion fit bien voir que l'eftime qu'ils faifoient de lui avoit du moins autant de part à cette vifite que toute autre confideration. Car aprés lui avoir fait connoiftre de la maniere du monde la plus obligeante la part qu'ils prenoient à fon mal, la Reine ordonna à tout le monde de fortir de fa chambre, & s'eftant affife avec Ferdinand proche de fon lit, elle lui dit que l'apprehenfion qu'ils avoient de le perdre les obligeoit de profiter du refte d'une vie qui avoit toûjours efté fi utile à l'Etat, & qu'ils le conjuroient dans cette vûë de leur donner avec fa fincerité ordinaire tous les avis qu'il croiroit leur eftre avantageux.

Le Cardinal, aprés avoir remercié leurs Majeftez de l'honneur qu'ils lui faifoient de le vifiter, & de la confiance qu'ils vouloient bien lui marquer, leur dit que l'eftat où il fe trouvoit ne lui permettant pas de diffimuler la verité, & que ne pouvant pas d'ailleurs fe difpenfer de leur obeïr & de répondre à l'honneur qu'elles lui faifoient de le confulter, il Les prioit de trouver bon qu'il leur don

nast deux avis qu'il eftimoit également importans à la gloire & au repos de l'Etat, & d'attribuer à fon zele pour leurs Majeftez la liberté dont il feroit contraint d'ufer en les donnant. Le premier eftoit de faire la paix avec le Roy de France & quand ils l'auroient faite, de la garder inviolablement. Le fecond, de marier le Prince d'Espagne leur fils avec la Princeffe Jeanne qui s'eftoit retirée en Portugal.

Le Cardinal qui fe trouvoit ce jour-là un peu mieux, ajoûta pour appuyer le premier avis, que la conquefte du Royaume de Grenade exigeoit abfolument que l'on entretint un grand nombre de troupes dont l'on puft au befoin former tout d'un coup une puiffante Armée; que les conqueftes ne fe confervoient que par les melmes moyens dont l'on s'eftoit fervi pour les faire : Que quelque bonne mine

que fiffent les Maures, ils ne pouvoient fouffrir que tres-impatiament de le voir privez de leurs Rois naturels, & d'eftre affujettis pour toûjours à la Couronne de Caftille; Qu'à la premiere occafion favorable qui fe prefenteroit ils ne manqueroient pas de fe revolter: Que le feul moyen de les en empefcher eftoit de les mettre dans l'impuiffance de le faire :

Que l'Oncle du Roy de Grenade eftoit en Affrique; qu'il y follicitoit continuel lement de puiffans fecours, & qu'il les preffoit d'autant plus vivement, qu'il fçavoit bien que l'autorité de leurs Majeftez parmi des peuples nouvellement conquis ne pouvoit eftre que tres-mal affermie: Qu'à la verité l'eftat des affaires d'Affrique ne lui avoient pas permis de les obtenir jufques alors, mais qu'il ne faloit qu'un moment pour changer les chofes de face; Que ce Prince avoit emporté de grands trefors; qu'il avoit la réputation d'eftre brave; qu'il n'en faloit pas davantage pour faire déborder en Efpagne un nouveau deluge de Maures, qui aprés avoir reconquis le Royaume de Grenade, ne feroient que trop fuffifans pour pouffer les conqueftes plus loin, & reduire peut-eftre la Caftille à des extrémitez contre lesquelles l'on ne pouvoit trop fe précautionner; Qu'il s'enfuivoit de là qu'il faloit demeurer armé & tenir fur pied de bonnes troupes; mais que 'bien loin de les mener à l'extrémité de l'Espagne contre un Prince Chreftien où elles feroient abfolument inutiles pour la confervation du Royaume de Grenade, il en faloit mettre une partie dans le cœur de ce Royaume, & l'autre sur

les frontieres, afin de tenir de tous coftez les Maures en bride & d'eftre en eftat de s'opposer aux fecours qui pourroient ve nir d'Affrique.

Le Cardinal, qui avoit toûjours fait profeffion d'une pieté tres-fincere; & qui en eftoit encore plus vivement penetré dans le danger où il fe trouvoit, ajoûta à ces raifons de politique : Qu'il ne faloit point attribuer aux forces humaines mais à la protection que Dieu avoit accordée aux Armes de leurs Majeftez, le fuccés furprenant de la guerre de Grenade: Qu'il eftoit à craindre que fi au lieu de continuer à les employer contre les Infidéles, l'on s'en fervoit contre le Fils aifné de l'Eglife, ce fecours venant à manquer, l'on ne perdift contre les François la gloire & la réputation que l'on avoit acquife contre les Maures: Qu'au moindre échec que leurs troupes recevroient fur les frontieres d'Efpagne, la revolte des Maures & la perte du Royau me de Grenade eftoient infaillibles, & que quelques avantages qu'on puft obtenir contre le Roy Tres-Chreftien, ils n'égaleroient jamais la perte que feroient l'Eglife & l'Etat fi l'Empire des Maures fe rétabliffoit en Espagne.

Il ajoûta, en s'adreffant à Ferdinand,

« AnteriorContinuar »