Sur ce qu'il s'amufe quelquefois à faire des Vers, & à en faire dans le style de Marot.
Ui fit des Vers, des Vers encor fera,
C'eft le moulin qui moulut & moudra. Contre l'étoile il n'eft dépit qui tienne, Et je me câbre en vain contre la mienne : Malgré mes foins ma Mufe prend l'effor, J'ai fait des Vers, & j'en refais encor. Que de leçons, & même à juste titre, Ai-je effuyé pourtant fur ce chapitre ! Aigres Cenfeurs me l'ont tant reproché, Tant vrais amis m'ont fur cela prêché ! Hé quoi! toûjours des Vers, êtes-vous fage à Ah! Renoncez à ce vain badinage; Occupez-vous, grave & folide Auteur, D'un plus utile & plus noble labeur ; Et, pour charmer nos cœurs & nos oreilles, Tournez ailleurs vos talens & vos veilles.
Combien de fois touché de repentir Me fuis-je cru prêt à me convertir! Honteux, confus de mes rimes paffées, Rimes fouvent par mes pleurs effacées, J'avois juré cent fois d'un cœur contrit, De ne tracer Vers, ni grand, ni petit, Juré cent fois, je l'avoue à ma honte : J'eus beau jurer, Apollon n'en tint compte ; Tyran cruel, il rit de nos fermens, Comme l'amour rit de ceux des amans, Je me trouvai pénitent infidelle
En vrai relaps rembarqué de plus belle; D'un nouveau feu je me fentis brûler, Et malgré moi je vis des Vers couler. Dans cet état de contrainte cruelle, Plaignez-moi, vous, dont j'honore le zele; Sages amis, j'écoute vos leçons ;
Mais j'en reviens toûjours à mes chanfons. Pour vous, Cenfeurs, qui de mes foibles rimes Ofez partout me faire autant de crimes, Et qui croyez dans votre efprit bouché, Que faire un Vers ce foit faire un peché, Exorcisez le Démon qui m'obfede, que je lui cede,
Et condamnez avec moins de rigueur, Des rimes dont je fuis à peine Auteur, Et qu'une aveugle & bizarre manie Malgré moi prefque arrache à mon genie, Mais quoi ? rimer ainsi que je l'ai fait Eft-ce après tout un fi grave forfait ? Vous écrivez ce qu'il vous plaît en prose, N'ofé-je en Vers faire la même chose ? Un fentiment par lui-même eftimé Eft-il mauvais quand il devient rimé? Et dans des vers d'ailleurs pleins d'innocence L'ordre, le tour, met-il quelque indécence ? Cenfeurs malins, & peut-être jaloux,
Si dans mes vers j'offense autre que vous Si la vertu, fi l'auftere fageffe,
Y trouve rien qui l'effleure, ou la blesse Si, froid Auteur, j'ennuie en mes écrits, Condamnez-moi, j'ai tort, & j'y souscris. Mais quand, fuivant une injuste maxime, Précisément fur ce point: que je rime, Vous prétendrez me faire non procès, Vous le ferez fans fruit & fans fuccès. Or rimez donc, dit un ami fidelle, Mais quel Auteur prenez-vous pour modele?
C'est une honte, y pensez-vous? Marot, Homme verreux, & digne du garot, Et dont jadis la Muse évaporée A grande peine échapa la bourée. Défaites-vous de ce style badin; Et laiffant là Marot avec dédain, D'un vol léger élevez-vous à l'Ode Piece fi noble & fi fort à la mode, Et dont le chant hardi, mélodieux, Charme les Rois, & touche jufqu'aux Dieux. Qui parle ainfi certes ne connoît gueres De l'Hélicon les loix & les myfteres. Efclaves nez du Dieu capricieux
Dont le pouvoir régle tout en ces lieux, Nous n'avons point de choix dans fon Empire, Et nous chantons felon qu'il nous infpire. Sans confulter fur cela nos fouhaits, Ce Dieu difpenfe à fon gré ses bienfaits: Donne à chacun, en le faifant Poëte, A l'un la lyre, à l'autre la trompette; A celui-ci chauffe le brodequin, Eleve l'autre au Cothurne divin, Accorde à tel la force & l'énergie, Réduit tel autre à la tendre Elegie,
Dans la Satyre il rend l'un fans égal, Et borne l'autre au fimple Madrigal. De tous ces dons Marot n'eut en partage Qu'un élegant & naïf badinage; Et fi j'en ai quelque chose hérité, C'est un vernis de fa naïveté.
Sans m'égarer dans des routes fublimes, De ce vernis je colore mes rimes; Et de ce fimple & naïf coloris, Mes petits vers ont tiré tout leur prix. Par ce fecours emprunté fi ma Muse Ne charme pas, pour le moins elle amuse; Et par le vrai, qu'elle joint au plaifant, Quelquefois même instruit en amusant. Je m'en tiens-là, fans toucher à la Lyre, Qu'au Dieu des Vers il plût de m'interdire. Pour fes cheris il réserve ce don:
Laiffons chanter fur ce fublime ton Et qui? La Motte, & tel autre genie Qui de la Lyre a conçu l'harmonie ; Et n'allons pas, Poëtes croaffans,
De leurs concerts troubler les doux accens. De nos François, je ne fçaurois m'en taire, C'eft la folie & l'écüeil ordinaire.
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