Imágenes de páginas
PDF
EPUB

éviter noise,

Mais faifons mieux, & pour

Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Vous me direz: Cela vous plaît à dire,
Je fçai le cas qu'on fait de vos écrits,
Les ai fouvent oüi priser & lire

Par maints quidams, foi difant beaux efprits;
La preffe eft grande à les faire décrire,

Or mieux vaudroient moulez que

manufcrits.

Graces vous rends de votre courtoifie;
Car c'eft de vous que part le compliment,
Honteux ferois de mentir fi crûment

A mon profit, de vous c'eft Ambrosie
Que je favoure affez bénignement.

i

Mais que mes vers foient bonne marchandise,
Comme prêchez, ou de mauvais alloi,
Comme entre nous me le paroît à moi
Quand feroit vrai qu'à Paris on les prife,
Ne laifferois de vous dire tout-bas,
Pour des raifons que trouverez de mife,
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Quelque parfait que puiffe être un ouvrage,
En l'imprimant on lui fait mauvais tour ;
Prefque toûjours, il en reçoit dommage,
Maint en ai vû fe hâler au grand jour ;
Sur quoi fouvent à par moi je recole :

[ocr errors]

Petit écrit donné fous le manteau,
Qu'on fe dérobe, & qui vient par bricole,
Ou bien moulé chez Pierre du Marteau
Fût-il mauvais, nous paroît toûjours beau
Et pour l'avoir on ne plaint la pistole;
Qu'il ceffe d'être & fecret & nouveau,
On n'en voudra débourfer une obole.
J'ai ce fonnet, mon voifin ne l'a pas,
Voilà par où le fonnet m'a fçû plaire,
Ce point de vûë en fait le grand appas;
Eft-il public, n'en fait-on plus mystere
Il perd fon fel dès-lors, & tombe à bas.
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.

Vers manufcrits fouffrent des négligences Qu'à vers moulez on ne pardonne pas : Dans les premiers on les nomme licences, Là tout s'excufe & fe paffe au gros fas;

Dans les feconds la moindre tache eft crime;
Point de quartier de la part
d'un Lecteur,
Qui fur le tour, la cadence & la rime,
Ne fait jamais nulle grace à l'Auteur.
Tant que mes vers fous la fimple écriture
N'étant moulez, 'ni reliez en veáu,
Dans les reduits iront incognitò,

Pour eux ne crains de fâcheuse avanture;

La pitié feule en dépit des malins,
Garantira ces pauvres orphelins,

[ocr errors]

De coups de bec: mais fur votre boutique
Si me mettiez jamais en rang d'oignon,
Point ne feroit de petit compagnon,
Point de grimault qui ne me fît la nique,
Tels en fçavez qu'on a mis en beaux dráps.
Monfieur Estienne, eh! ne m'imprimez pas,
Dès qu'à Paris on affiche un ouvrage,
C'est le tocfin que l'on fonne fur lui;ari
Gens du métier, à qui tout fait ombrage,
Et toûjours prêts à donner fur autrui,
Pour l'accabler l'attendent au paffage..
Nouvel Auteur qui fe met fur les rangs,
A fon debut doit compter, s'il est sage,
De bien payer à ces petits Tyrans
Sa bien-venue & fon apprentiffage
Pour les lauriers, & la gloire & l'encens,
Qu'aux fiens Phœbus affigne pour tout gage;
Qu'il ne prétende être admis à partage, I
Leur part en fouffre, & c'eft, felon leur fens
Soupe de pain qu'on ôte à leur potage.
Sur ce pied-là que de gens fur les bras!
Leur tenir tête, & montrer bon vifage,
Seroit le mieux fi j'avois du courage;

Mais il me manque, & je crains les combats.
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Je le vois bien, contre toute avanture
L'espoir flateur du débit vous ralfûre;
Car encor bien que foyez gracieux,

Point ne croirai, foit dit fans vous déplaire,
Qu'alliez vous mettre en frais pour mes beaux yeux.

Si le faifiez, ne feriez bon Libraire.

Mais s'il avient, comme tout fe peut faire,
Que mes écrits, par un trifte déstin,
Trifte pour fur, mais affez ordinaire,
De la boutique aillent au magasin,
Et que de-là, moifis dans la pouffiére,
Ils foient enfin livrez à la beurriere,
Et tous en bloc vendus pour un douzain;
Qu'en diriezvous? Ce feroit bien le pire,
Vous en feriez pour nombre de ducats;
Et quant à moi, je n'en ferois que rire,
En vous difant, avois-je tort de dire',
Monfieur Estienne, eh ! ne m'imprimez pas.
Mais fuppofons, contre toute apparence,
Que lesdits Vers, puifqu'ainfi vous le plaît,
Par la faveur d'une heureuse influence
Seront prifez & vendus, qui plus eft;
Je ne dis pas que ne foit quelque chofe of

Force Ecrivains s'en contenteroient bien,
Et puis de gloire une petite dose
Chez les Rimeurs ne gâta jamais rien:
Mais croyez-vous, quoique l'ouvrage plaife,
Que l'on n'ait rien d'ailleurs à difcuter,
Et que l'Auteur en foit plus à fon aife?
J'ai vû, pour moi, bien des gens en douter;
Maints en connois qu'on a menez bien roide
Et comme on dit, plus vite que le pas;
Chat échaudé, croyez-moi, craint l'eau froide,
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Pour ces raisons, & pour bien d'autres causes
Que fur ce point je pourrois alleguer,
Mes petits Vers refteront lettres closes
Et vous plaira ne les point divulguer.
De mon vivant ne veux les voir paroître,
Quand ferai mort, alors ferez le maître,
Si demandez quand fera? vous dirai,
Que ce fera le plus tard que pourrai;
Vous convient donc un peu de tems attendre,
Et vous prendrez, je vois, le tout en gré,
Ne voudriez que je m'allaffe pendre
Pour abréger; au moins rien n'en ferai;
Si le comptiez, compteriez fans votre hôte
Mais moi défunt, je fuis à vous fans faute,

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »