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Croifés felon les pays d'où ils venoient s'embar querent en Provence, en Catalogne, en Italie, ou en Sicile. Il fallut dans tous les ports multiplier les batimens & les équipages, pour paffer tant d'hommes & de chevaux avec les munitions de guerre & de bouche. Ainfi la navigation de la mer Mediterranée, dont les Grecs & les Arabes étoient en poffeffion depuis plufieurs ficcles, tomba entre les mains des Francs; & les conquêtes des Croifés leur affûrerent la liberté du commerce, pour les marchandifes de Grece, de Syrie, & d'Egypte, & par confequent pour celles des Indes, qui ne venoient point encore en Europe par d'autres routes: Par là s'enrichirent & s'accrurent les puiffantes républiques de Venife, de Genes, de Pife, de Florence: car outre les ports de mer le commerce s'étendit aux villes où fleuriffoient les arts & les manufactures.

Or je ne doute point qu'un fi puiffant interêt n'ait fervi à la continuation des Croisades ; & je croi en voir une preuve dans le traité du Venitien Sanuto intitulé les fecrets des fidéles Gefta Dei de la Croix où il fait tant d'efforts pour per de procurer le recouvrement de la Terre fainte car on n'en defefperoit pas encore, quoi qu'en effet il n'y ait plus eu de Croifades. Les interêts particu liers étoient encore confiderables à caufe des grands privileges des Croifés. Ils étoient fous la protection de l'Eglife, à couvert des pour fuites de leurs créanciers qui ne pouvoient rien leur demander jufques à leur retour, ils étoient hift. li décharchez des ufures. C'étoit comme des homLXXVII. 7. mes facrez; il y avoit excommunication de plein droit contre quiconque les attaquoit en leurs perfonnes ou en leurs biens; & comme

per Frans. fuader au Pape Jean XX9

17.

quel

quelques-uns en abufoient pour retenir le bien d'autrui, chercher l'impunité de leurs crimes ou en commettre de nouveaux, on fut obligé hift. liv. d'y pourvoir en plufieurs conciles.

LXXX. 4.

La derniere Croifade qui eut fon exécution ». 59. fut celle où mourut faint Louis, & dont vous avez vû le peu de fuccès mais on ne renonça pas pour celà à ces entreprifes, même depuis la perte de la Terre fainte arrivée vingt ans après. On continua pendant tout le refte du treiziéme fiecle, & bien avant dans le quatorzieme à prêcher la Croifade pour le recouvrement de la Terre fainte, & à lever des decimes pour ce fujet, ou fous ce prétexte, qui s'employoient à d'autres guerres, fuivant la deftination des Papes & le credit des Princes. Depuisplus d'un fiecle on en eft defabufé, & il n'eft plus guerre mention de guerre contre les Infidéles. .que dans les fouhaits de quelques auteurs plus zelez qu'éclairez, & dans les prédictions des poetes, quand ils veulent flatter les Painces. Les gens fenfez inftruits par l'experience du paffe, & par les raifons que j'ai touchées en ce difcours voient bien qu'en ces entreprises il y avoit plus à perdre qu'a gagner, & pour le temporel & pour le fpirituel..

mieux cons

Je m'arrête à cette derniere confideration qui XIV. eft de mon fujet, & je dis que les Chrétiens Qu'il faut doivent s'appliquer à la converfion & non pas vertir les à la deftruction des Infidéles. Quand JESUS- Infidéles. CHRIST a dit qu'il étoit venu apporter la guer- Matth. Xre fur la terre, il eft clair & par la fuite de fon 34 Life difcours, & par la conduite de fes difciples,, qu'il n'a voulu parler que du foulevement qu'exciteroit fa celefte doctrine, où toute la violen ce feroit de la part de les ennemis, & où les fidéles ne feroient pas plus de refiftance que d

b. 6

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Matth, X. des 16. Luc. X, bre- 3

brebis attaquées par des loups. La vraie religion doit fe conferver & s'étendre par les mêmes moyens qui l'ont établie, la prédication accompagnée de difcretion & de prudence, la pratique de toutes les vertus, & fur-tout d'une patience fans bornes. Quand il plaira à Dieu d'y joindre le don des miracles, le progrez fera plus Match. prompt. Machiavel difant que les Phophetes defPrincipe. c. armez n'ont jamais réüffi, montre également fon impieté & fon ignorance: puifque JESUSCHRIST le plus defarmé de tous eft celui dont les conqueftes ont été les plus rapides & les plus folides. Je dis les conqueftes telles qu'il les prétendoit faire, en gagnant les cœurs, changeant interieurement les hommes, & les faifant bons de mauvais qu'ils étoient ce que n'a jamais fait aucun autre conquerant.

6.

La guerre ne produit que des effets exterieurs, obligeant les vaincus à fe foumettre à la volonté du vainqueur, lui payer tribut & executer fes ordres. En matiere de religion ce qui eft au pouvoir du fouverain, c'eft d'empêcher Pexercice public de celle qu'il defapprouve, & faire pratiquer au dehors les ceremonies de la fienne c'est-à-dire, punir ceux qui ne fe conforment pas fur ce point à fes volontez. Car s'ils méprifent les peines temporelles, il ne lui refte rien au delà: il n'a aucun pouvoir direct fur fes volontez.

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Il faut encore fe defabufer d'une opinion qui n'eft que trop établie depuis plufieurs fiecles que la religion foit perdue dans un pays quand elle a ceffé d'y être dominante & foutenue par la puiffance temporelle: comme le Chriftianifme en Grece & en Natolie, comme la religion Catholique dans les pays du Nort. C'eft fans doute pour nous prémunir contre cette erreur

que

XV.

convertir

que Dieu a voulu former le Chriftianisme fous la domination des Payens, & l'y fortifier pendant trois fiecles entiers au milieu de l'oppreffion & de la perfecution la plus cruelle. Preuve invincible que fa religion n'a pas befoin de l'appui des hommes que lui feul la foûtient, & que l'oppofition des puiffances de la terre ne fait qu'affermir & purifier fon Eglife. Voyez ce que Hift. liv. dit fur ce fujet faint Hilaire contre Auxence. XVI. 7. 2. Je reviens donc à dire qu'il ne faut pas cher cher à diminuer les fauffes religions, où éten- Qu'on dre la veritable par les armes & la violence; ce pourroit n'eft pas les Infidéles qu'il faut détruire, mais les Mufull'infidelit en confervant les hommes & les def mans. abufant de leurs erreurs en un mot l'unique moyen eft de perfuader & de convertir. Je fai que l'on eft ordinairement prévenu de l'impoffibilité de convertir les Mufulmans, & que c'est ce qui engage les plus zelez miffionnaires de paffer au delà pour prêcher l'Evangile aux Indes & à la Chine: mais je crains que les fondemens de cette prévention ne foient pas affez folides. J ESUS-CHRIST ordonnant à fes difciples d'aller inftruire toutes les nations, n'en a excepté aucune, & les anciennes propheties qui marquent & fouvent & fi clairement la converfion de tous les peuples n'y font aucune diftinction. Seroit-il donc poffible que tant de nations differentes réunies fous la religion de Mahomet occupant une fi grande partie du monde connu fuffent feules excluës de ces magnifiques promeffes?

Ce ne font point des barbares errans & difperfez, comme les anciens Scythes, ou comme à prefent les Sauvages de l'Amerique ce font des hommes vivant en focieté fous certaines loix occupez de l'agriculture, des arts, du

trafic & ayant l'ufage des lettres. Ce ne font ni des Athées ni des Idolâtres, au contraire leur religion toute fauffe qu'elle eft a plufieurs prin cipes communs avec la veritable, qui femblentdes difpofitions à les y amener. Ils croyent un feul Dieu tout-puiffant, createur de tout, éga lement jufte & mifericordieux: ils ont une horreur extrême de la multiplicité des Dieux & de l'idolâtrie. Ils croyent l'immortalité de l'ame, le jugement final, le paradis & l'enfer : les anges bons & mauvais, & même les anges gardiens. Ils connoiffent le deluge univerfel, ils honorent le patriarche Abraham comme leur pere & le premier auteur de leur religion: ils tiennent Moyfe & JESUS-CHRIST pour de grands prophetes envoyez de Dieu la loi & l'Evangile pour des livres divins. Quant aux pratiques de religion ils font une priere reglée cinq fois le jour à certaines heures. Ils feftent un des jours de la femaine, ils jeûnent un mois chaque année ; ils s'affemblent pour prier & écouter les inftructions de leurs docteurs : ils recommandent fort l'aumône, ils prient pour les morts, ils font des pelerinages.

Mais, dit-on, ils défendent fous des peines très-rigoureufes de parler aux Mufulmans pour leur faire changer de religion, & ils feroient mourir fans mifericorde quiconque en auroit converti un feul. Et fous Decius & Diocletien y alloit-il moins que la vie, non feulement de convertir des Païens, mais fimplement d'être Chrétiens? Si les Apôtres & leurs premiers difciples avoient été retenus par de telles défenses & par la crainte de la mort, on n'auroit point prêché l'Evangile. Encore les Mufulmans fouffrent-ils chez eux des Chrétiens, comme ils ont fait de tout tems jufques à leur laiffer le libre exercice de

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