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paifible philofophe: non, je ne prendrai jamais pour un méchant celui que je verrai porter fur vous des regards d'admiration & de plaifirs. Il est un genre d'occupation & de délaffement qui tient plus qu'on ne penfe aux inclinations bonnes ou perverfes de celui qui s'y livre.va

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La Barbarie, placée fous un ciel plus brûlant encore que le Portugal, l'Efpagne & l'Italie, offre, le long de fes côtes, la maffe des plantes que l'on trouve dans les provinces & les royaumes du midi de l'Europe; mais à mefure que l'on s'avance dans les terres, dès que l'on a traversé la pente des montagnes de l'Atlas qui regarde la mer, ces plantes difparoiffent : ce n'eft plus la même nature; ce ne font plus ces bofquets fleuris, ces forêts verdoyantes, ces gazons couverts de mille espèces de fleurs; des rochers arides & pelés, des fables ftériles, un fol brûlant fuccèdent à ces côteaux fertiles, à ces pâturages abondans, à ces vastes plaines couvertes de moiffons. Le défaut de fources, l'air embrasé du midi s'oppofent à la végétation fur le revers de l'Atlas du côté du Saara. Cette partie eft prefque inhabitable, & en effet très-peu habitée. Revenons donc à cette riche végétation, & fuivons un instant les travaux des Arabes cultivateurs ou bergers.

Dans ce fortuné climat les productions naturelles n'ont point à craindre l'intempérie des faisons. Jamais

les rigueurs de l'hiver, les froids tardifs, les pluies trop abondantes, les féchereffes trop longues, un brouillard empefté, une grêle pernicieuse, ne détruisent l'efpérance du cultivateur. Sous cet heureux ciel le printemps. y eft prefque continuel, la température de l'hiver eft à-peu-près celle de notre mois de mai des pluies fréquentes, réunies aux rayons d'un foleil vivifiant y développent, pendant cette faifon, une abondante végétation, & le mois de janvier offre, en Barbarie, tous les agrémens de notre printemps.. Le fol, quoique peu cultivé, y eft très-fertile. Sa nature eft une argile rendue légère par le fable qui s'y trouve en abondance; ou bien ce n'eft que du fable mêlé aux débris annuels des plantes, d'où il résulte une terre noirâtre, légère fans confistance, mais d'un excellent produit.

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Lorfque les Maures fe propofent d'ensemencer un terrein qui ne l'a point encore été, ils commencent par mettre le feu à toutes les herbes inutiles. Ils ne font qu'un feul labour dans le mois de novembre, & ce labour confifte à gratter un peu la terre à sa superficie. La forme de leur charrue ne leur permettroit pas de former des fillons bien. profonds. Un fimple foc attaché à une longue pièce de bois coudée dans fon milieu, & terminée par le joug qui s'attache aux cornes de deux bœufs, est leur feul inftrument de labour. Ce travail achevé, ils jettent à l'aventure, fans ordre, fans principes,

les grains qu'ils veulent recueillir. Ils ne prennent pas même la peine de les recouvrir. Ces champs une fois enfemencés font abfolument abandonnés jufqu'au temps de la moiffon, qui arrive à la fin de mai, quelquefois en avril. Ils coupent les épis avec une espèce de faucille, & abandonnent la paille, à laquelle fouvent ils mettent le feu. Pour faire fortir le blé de fes valves, ils le font fouler fous les pieds des boeufs & des mules, comme je l'ai vu pratiquer en Provence. Après avoir mis en réserve leurs provifions dans des magafins en terre, nommés matamores, où le blé fe conferve pendant plufieurs années fans fe gâter, ils vendent le reste aux Négocians Européens.

Les Maures ne connoiffent point du tout les engrais. Ils en ont cependant de deux fortes, & le hasard femble venir au fecours de leur ignorance. Ils ont coutume, tous les ans après la moiffon (comme je l'ai déjà dit) de mettre le feu par-tout. Cet incendie général dure plus de deux mois. Les cendres abondantes qui en résultent bonifient le terrein, fur-tout après avoir été détrempées par les pluies de l'automne, & mélangées par le labour. Le fecond engrais vient de leurs nombreux roupeaux. Comme ils cultivent ordinairement les lieux qu'ils habitent ou qu'ils ont habités, & qu'ils changent fouvent de local, le terrein infenfiblement fe trouve enfumé fans foins, fans fatigues, &.qui

plus eft, fans que les Maures s'en doutent. Ajoutons a cela que, comme il y a peu de terre cultivée, il eft rare qu'ils labourent le même champ plufieurs années de fuite. Ils choififfent toujours celui qui eft le plus à leur portée. La terre, par ce moyen, ne ceffe point d'être neuve; elle répare, avec le temps, par la deftruction des végétaux, ce qu'elle peut avoir perdu par la culture.

Il eft aifée de juger, d'après cela, combien ce pays, prefque inculte, deviendroit précieux entre les mains de bons agriculteurs. Quand l'homme y auroit les faifons & les élémens à fa difpofition, il ne pourroit les rendre plus favorables. Quelques pluies d'automne difpofent la terre au labour. Celles de l'hiver réunies à une chaleur modérée, développent la végétation, la nourriffent. Dans le printemps, le foleil, déjà brûlant, hâte la maturité & la perfectionne; de forte qu'au mois de juin, au moment où commencent les grandes chaleurs, la terre n'a plus rien à produire, & le cultivateur a ceffé de récueillir. C'eft, je l'avoue, un fort trifte fpectacle que la Barbarie, en juillet, août, septembre & une partie d'octobre. Tout eft brûlé, defféché : la terre n'offre que des crevaffes & qu'une aridité ftérile: elle eft par-tout couverte des reftes de l'incendie allumé par les Mauires; les arbres n'offrent plus d'ombrages; leurs feuilles dévorées par les flammes, & leurs troncs noircis & prefque en

charbon, jettent une trifteffe fombre dans l'ame du voyageur. Il n'y a d'habitables que les lieux aquatiques, quand leurs eaux ne font point entièrement évaporées. Quant aux marais, aux étangs, il faut les fuir. Les vapeurs abondantes & fétides qui s'en exhalent, occafionnent une foule de maladies épidémiques auxquelles les Européens font beaucoup plus fujets que les Maures. J'ai quelquefois été faifi de violens maux de tête & de coeur, en herborisant fur leurs bords: ces exhalaifons fétides me fuffoquoient, & je ne doute point que je n'en euffe été la victime, fi je m'y étois arrêté trop long-temps.

L'Olivier, la Vigne, la Grenade & l'Arboufier, qui croiffent fur les côteaux en abondance & fans culture, prouvent combien il feroit avantageux de les y cultiver. L'Arboufe, qui ne mûrit point parfaitement en Provence, qui y eft indigefte, eft un fruit excellent en Barbarie. Nos légumes, tranf portés d'Europe, m'ont paru très-inférieurs, pour le goût, à ceux de nos provinces feptentrionales. Peut-être le terrein n'eft-il pas affez gras pour leur procurer cette faveur qu'elles acquièrent dans nos jardins potagers? Les Melons n'y ont point ce parfum exquis qui caractérise ceux de la Provence les Oranges y font abondantes, mais fades; les Limons, les Citrons, les Bergamottes n'ont pas le même degré de bonté que ceux d'Europe; la culture occahonne peut-être cette différence. Tous ces arbres

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