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lon toutes les apparences il ne la reverroit plus. Cette pensée l'affligeoit, & il cherchoit dans fon efprit quelque moïen de prévenir ce malheur, lorfque fon Valet de Chambre lui apporta une lettre que la Dame Marcelle venoit de lui mettre entre les mains. C'étoit un billet de Léonor conçû en

ces termes ;

Je dois demain quitter le monde, pour aller m'enfevelir dans une retraite. Me voir deshonorée, odieufe à ma famille & à moi-même, c'est l'état déplorable où je fuis réduite pour vous avoir écouté. Je vous attens encore cette nuit. Dans mon défefpoir je cherche de nouveaux tourmens : venez m'avouer que votre cœur n'a point eu de part aux fermens que votre bouche m'a faits, ou venez les juftifier par une conduite qui peut feule adoucir la rigueur de mon deftin. Comme il pourroit y avoir quelque péril dans ce

rendez-vous,après ce qui s'est passé entre vous & monpere, faites-vous accompagner par un ami. Quoique vous faffiez tout le malheur de ma vie, je Sens que je m'interesse encore à la vôtre.

LEONOR.

Le Comte lut deux ou trois fois cette lettre ; & fe reprefentant la fille de Don Luis dans la fituation où elle fe dépeignoit,il en fut émû. Il rentra en lui-même : la raison, la probité, l'honneur dont fa paffion lui avoit fait violer toutes les loix, commencerent à reprendre fur lui leur empire. Il fentit tout d'un coup diffiper fon aveugle

ment; & comme un homme forti d'un violent accès de fiévre, rougit des paroles & des actions extravagantes qui lui font échapées; il eut honte de tous les lâches artifices dont il s'étoit fervi pour contenter fes défirs..

l'offenfe

que vous me faites ne demeurera pas impunie.En achevant ces mots, il fe retira chez lui le cœur plein de reffentiment,& roulant dans fon efprit mille projets de vengeance.

Dès qu'il y fut arrivé, il dit avec beaucoup d'agitation à Léonor & à laDame Marcelle: Ce n'étoit pas fans raifon que le Comte m'étoit fufpect, c'est un traître dont je veux me venger. Pour -vous, dès demain vous entrerez toutes deux dans un Couvent; vous n'avez qu'à vous y préparers & rendez graces au Ciel, que ma colére fe borne à ce châtiment. En difant cela, il alla s'enfermer dans fon cabinet,pour penfer meurement au parti qu'il avoit à prendre dans une conjoncture fidéli

cate.

Quelle fut la douleur de Léomor, quand elle eut entendu dire que Belflor étoit perfide. Elle de

meura quelque temps immobile. Une pâleur mortelle fe répandit fur fon vifage. Ses efprits l'abandonnérent, & elle tomba fans mouvement entre les bras de fa Gouvernante, qui crut qu'elle alloit expirer. Cette Duegne apporta tous fes foins pour la faire revenir de fon évanouiffement.Elle y réüffit. Léonor reprit l'ufage de fes fens, ouvrit les yeux; & voyant fa Gouvernante empreffée à la fecourir: Que vous êtes barbare, lui ditelle, en pouffant un profond foupir! pourquoi m'avez-vous tirée de T'heureux état où j'étois ? Je ne fentois pas l'horreur de ma deftinée. Que ne me laiffiez-vous mouris! Vous qui fçavez toutes les peines qui doivent troubler le repos de ma vie, pourquoi me la voulezVous conferver?

Marcelle effaya de la confoler, mais elle ne fit que l'aigrir davantage, Tous vos difcours font fuper

Qu'ai-je fait? dit-il, malheureux! Quel Démon m'a poffedé? J'ai promis d'époufer Leonor. J'en ai pris le Ciel à témoin. J'ai feint que le Roi m'avoit propofé un parti. Menfonge, perfidie, facrilege; j'ai tout mis en ufage pour corrompre l'innocence. Quelle fureur! Ne valoit-il pas mieux employer mes efforts à détruire mon amour, qu'à le fatisfaire par des voyes fi criminelles ? Cependant voilà une fille de condition féduite. Je l'abandonne à la colére de fes parens que je deshonore avec elle, & je la rends miferable pour prix de m'avoir rendu heureux. Quelle ingratitude! Ne dois-je pas plutôt réparer l'outrage que je lui fais? Oui, je le dois & je veux, en l'époufant, dégager la parole que je lui ai donnée. Qui pourroit s'oppofer à un deffein fi jufte? Ses bontés doivent-elles me prévenir contre fa vertu ?

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