Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ce matin chez l'ufurier, qu'il a ren contré à fa porte en manteau noir, en rabat, & en cheveux courts, avec un gros chapelet garni de médailles. Je reviens à vous, Seigneur Sanguifuela, lui a-t-il dit; j'accepte vos trois cens quarante ducats. La néceffité où je fuis d'avoir de l'argent, m'oblige à les prendre. Je vais à la Meffe, a répondu gravement l'ufurier. A mon retour, venez, je vous compterai la fomme. Hé, non, non, replique le Capitaine. Rentrez chez-vous, de grace; cela fera fait dans un moment. Expediez-moi toute à l'heure, je fuis fott preffé. Je ne le puis, repart Sanguifuela. J'ai coû→ tume d'entendre la Meffe tous les jours avant que je commence aucune affaire. C'eft une régle que je me fuis faite, & que je veux obferver religieufement toute ma vie.

Quelque impatience qu'eût F'Officier de toucher fon argent,

S

.

il lui a fallu ceder à la régle du pieux Sanguifuela. Il s'eft armé de patience; & même comme s'il eût craint que les ducats ne lui échapaffent, il a fuivi l'ufurier à J'Eglife. Il a entendu la Meffe avec lui. Après cela, il fe préparoit à fortir. Mais Sanguifuela s'approchant de fon oreille, lui a dit: Un des plus habiles Predicateurs de Madrid va prêcher. Je ne veux pas perdre fon Sermon.

Le Capitaine, à qui le temps de la Meffe n'avoit déja que trop duré, a été au défespoir de ce nouveau retardement. Il eft pourtant encore demeuré dans l'Eglife. Le Prédicateur paroît & prêche contre l'ufure. L'Officier en eft ravi, & obfervant le vifage de l'ufurier, dit en lui-même:Si ce Juif pouvoit fe laiffer toucher: s'il me donnoit feulement fix cens ducats, je partirois content de lui. Enfin, le Sermon finit. L'ufurier fort. Le Ca

pitaine le joint & lui dit : Hé bien; que penfez-vous de ce Prédicateur? Ne trouvez-vous pas qu'il prêche avec beaucoup de force? Pour moi, j'en fuis tout ému. J'en porte même jugement que vous, répond l'ufurier. Il a parfaitement traité fa matiere. C'est un sçavant homme, il a fort bien fait fon métier. Allons nous-en faire le nôtre.

Hé! qui font ces deux femmes qui font couchées ensemble, & qui font de fi grands éclats de rire, s'écria Don Cléofas; elles me pa-roiffent bien gaillardes. Ce font, répondit le Diable, deux foeurs qui ont fait enterrer leur pere ce matin. C'étoit un homme bourru, & qui avoit tant d'aversion pour le mariage, ou plutôt tant de répugnance à établir fes filles, qu'il n'a jamais voulu les marier, quelques partis avantageux qui fe foient prefentés pour elles. Le ca

[ocr errors][ocr errors]

ractere du défunt étoit tout à l'heu-
re le fujet de leur entretien. Il eft
mort, enfin, difoit l'aînée, il eft
mort ce pere dénaturé, qui fe fai-
foit un plaisir babare de nous voir
filles. Il ne s'oppofera plus à nos
vœux. Pour moi, ma fœur, a dit
la cadette, j'aime le folide. Je
veux un homme riche, fût-il d'ail-
leurs une bête, & le gros Don
Blanco fera mon fait. Doucement,
ma fœur, a répliqué l'aînée, nous
aurons pour époux, ceux qui nous
font deftinés, car nos mariages
font écrits dans le Ciel. Tant pis
vraiement, a reparti la cadette,
j'ai bien peur que mon pere n'en
déchire la feüille. L'aînée n'a pû
s'empêcher de rire de cette fail-
lie, & elles en rient encore toutes
deux.

Dans la maifon qui fuit celle des deux fœurs, eft logée en chambre garnie une Avanturiere Arragonoife. Je la vois qui fe mire dans

[ocr errors]

une glace au lieu de fe coucher. Elle felicite fes charmes fur une conquête importante qu'ils ont faite aujourd'hui. Elle étudie des mines, & elle en a découvert une nouvelle qui fera demain un grand effet fur fon amant. Elle ne peut trop s'appliquer à le ménager. C'est un fujet qui promet beaucoup. Auffi a-t-elle dit tantôt à un de fes créanciers qui lui eft venu demander de l'argent : Attendez mon ami, revenez dans quel ques jours; je fuis en terme d'ace commodement avec un des prinė cipaux personnages de la Doüan

f

ne.

Il n'eft pas befoin, dit Léandro, que je vous demande ce qu'a fait certain Cavalier qui fe prefente à ma vûë. Il faut qu'il ait paffé la journée entiere à écrire des lettres. Quelle quantité j'en vois fur fa table. Ce qu'il y a de plaifant, répondit le Démon, c'est que tou

« AnteriorContinuar »