Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pour fon amant. Il ne pouvoit,fans colére, envifager la Duégne; c'eft vous, cruelle vieille, lui difoit-il, c'est vous, qui par vos perfécutions avez pouffé à bout Emerenciana, & troublé fon efprit. La gouvernante se justifioit d'un air hypocrite, & donnoit tout le tort au défunt. C'eft au feul Don Guillem, répondoit-elle, qu'il faut imputer ce malheur. Ce pere, trop rigoureux, venoit chaque jour effrayer fa fille par des menaces qui l'ont fait enfin devenir folle.

En arrivant à Siguença, le Commandant alla rendre compte de fa commiffion au Corregidor, qui fur le champ interrogea Julio & la Duégne, & les envoya dans les prifons de cette Ville, où ils font encore. Ce Juge reçut auffi la dépofition de Lizana, qui prit enfuite congé de lui pour fe retirer chez pere, où il fit fucceder la joie à la trifteffe & à l'inquiétude. Pour

fon

Dona Emerenciana, le Corregidor eut foin de la faire conduire à Madrid, où elle avoit un oncle du côté maternel. Ce bon parent, qui ne demandoit pas mieux que d'avoir l'administration du bien de fa niéce, fut nommé fon Tuteur. Comme il ne pouvoit honnêtement fe difpenfer de paroître avoir envie qu'elle guérît, il eut recours aux plus fameux Medecins; mais il n'eut pas fujet de s'en repentir; car après y avoir perdu leur latin, ils déclarérent le mal incurable. Sur cette décifion, le tuteur n'a pas manqué de faire enfermer ici la pupile, qui fuivant les apparences, y demeurera le refte de fes jours.

La trifte destinée, s'écria Don Cléofas! J'en fuis véritablement touché. Dona Emerenciana méritoit d'être plus heureuse. Et Don Kimen, ajoûta-t-il, qu'eft-il devenu? Je fuis curieux de fçavoir

quel parti il a pris. Un fort raisonnable, repartit Asmodée. Quand il a vû, que le mal étoit fans remede, il eft allé dans la nouvelle Efpagne; il efpere qu'en voyageant il perdra peu à peu, le fouvenir d'une Dame que fa raifon & fon repos veulent qu'il oublie..... Mais, pourfuivit le Diable, après vous avoir montré les foux qui font enfermés, il faut que je vous en faffe voir, qui mériteroient de

l'être.

CHAPITRE X.

Dont la matiere eft inépuisable.

REgardons du côté de la vil

le, mesure que je décou& vrirai des fujets dignes d'être mis au nombre de ceux qui font ici, je vous en dirai le caractere. J'en vois déja un que je ne veux pas laiffe

échaper. C'est un nouveau marié. Il y a huit jours, que fur le rapport qu'on lui fit des coquetteries d'une avanturiere qu'il aimoit, il alla chez elle plein de fureur, brifa une partie de fes meubles, jetta les autres par les fenêtres, & le lendemain il l'époufa. Un homme de la forte, dit Zambullo, mérite affurément la premiere place vacante dans cette maison.

Il a un voifin, reprit le Boiteux, que je ne trouve pas plus fage que lui. C'eft un garçon de quarantecinq ans, qui a dequoi vivre & qui veut fe mettre au fervice d'un Grand. J'apperçois la veuve d'un Jurifconfulte. La bonne Dame a douze luftres accomplis. Son mari vient de mourir. Elle veut fe retirer dans un Couvent, afin, dit-elle, que fa réputation foit à l'abri de la médifance.

Je découvre auffi deux pucelles, ou pour mieux dire deux filles

de cinquante ans. Elles font des Vocux au Ciel pour qu'il ait la bonté d'appeller leur pere qui les tient enfermées comme des mineures. Elles espérent qu'après fa mortelles trouveront de jolis hommes qui les épouferont par inclination. Pourquoi non, dit l'écolier? il y a des hommes d'un goût fi bizarre! J'en demeure d'accord, répondit Afmodée. Elles peuvent trouver des époufeurs, mais elles ne doivent pas s'en flatter. C'eft en cela que confifte leur folie.

Il n'y a point de païs où les femmes fe rendent juftice fur leur âge. Il y a un mois qu'à Paris une fille de quarante-huit ans, & une femme de foixante-neuf,allérent en témoignage chez un Commiffaire, pour une veuve de leurs amies, dont on en attaquoit la vertu. Le Commiffaire interrogea d'abord la femme mariée, & lui demanda

« AnteriorContinuar »