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autre raison de la retraite de Xantippe. Nous aurons ailleurs une occa fion plus propre de dire ce que nous en pensons.

Les affaires d'Afrique aiant pris un autre tour que les Romains n'avoient espéré, on penfa tout de bon à Rome à remettre la flotte fur pied, & à tirer de danger le peu de troupes qui s'étoient échapées du naufrage. Les Carthaginois, au contraire, pour fe foumettre ces trou

faire paffer celui-ci, que l'autre. Combien s'en trouve-t-il peu du caractére de ceux dont parle la Motte le Vayer, qui méfurent les vertus au pied de l'envie, comme ceux qui prennent les dimensions des corps par leur ombre. J'ai lû quelque part dans Voiture, que c'étoit fur ce pied-là que le premier Miniftre du Roi d'Efpagne en ufoit, & qu'il lui avoit dit qu'il ne jugeoit jamais plus avantageufement d'un fujet, que par le mal qu'on lui en difoit avec peu de certitude, & qu'à mesure que le nombre des calomniateurs groffiffoit pour le perdre, il avoit plus d'eftime pour lui, & plus de curiofité pour le bien connoître; qu'il n'y avoit rien de plus für pour déterrer la vertu, & la diftinguer de la foule, & que c'étoit là fa baguette devinatoire, & fa lanterne pour trouver le mérite caché.

Combien de fourbes & d'envieux les Princes ou leurs Miniftres ne découvriroient-ils pas par le moien de cette lanterne? Celle de Diogene ne valut jamais rien; il ne trouva jamais un homme de bien, au lieu que l'autre en rencontroit toujours avec la fienne, & l'envie qui le cache, qui le couvre, & qui l'obfcurcit de fes vapeurs les plus noires, fui fervoit elle-même de guide fans le favoir.

Ce fage Miniftre ne fe fervoit jamais mieux de fa lanterne, que lorsque les ténébres étoient bien épaiffes, & la cabale groffe & bien ameutée contre ceux qu'elle vouloit perdre. Ces fortes de complots, que l'envie forme, font fort ordinaires dans les Cours & chez les Grands du monde. C'eft de toutes les batteries des envieux la plus redoutable, & contre laquelle la prudence la plus rafinée n'a point de précaution à prendre, tant l'envie eft ingénieufe contre la vertu qui nous péfe & nous incommode.

Le même Auteur, que nous avons déja cité, avance une chofe qui a tout l'air d'un fophifme: Tant s'en faut, dit-il, que l'envie foit un vice: qu'au contraire elle est très-familiére de la vertu. Je ne vois rien de plus faux que cela, l'envie eft un très-grand vice, & très-oppofé à la vertu, à moins qu'il ne veuille dire que les envieux font à la fuite de cette vertu, comme les Archers à celle d'un innocent qu'on va pendre fur leur témoignage. A deux pas de là l'Auteur ne laiffe pas de fe contredire, car il nous dépeint cette envie comme une Mégére qui nous fait voir le champ d'autrui toujours plus fertile, & qui feroit capable, dit un Pére, de rendre le Paradis un Enfer à cause de la

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gloire commune, fi on y pouvoit entrer avec cette furieufe paffion. Voilà fon envie, très-familiere de la vertu, une paffion & un vice très-furieux plutôt qu'une vertu. Ne voit-on pas tous les jours une infinité de gens de mérite, dont on ne fauroit craindre ni redouter la concurrence, & qui luttent au contraire fans ceffe contre la mauvaise fortune: ne voit-on pas, dis-je, ces gens-là négligez & perfécutez, par pure haine contre les talens & les qualitez dignes d'eftime? Mais c'eft bien pis lorfqu'on fe ligue contre les hommes extraordinaires qui ont rendu des fervices importans à leur patrie, ou qui font capables de leur en rendre. Ces fortes de complots font très-redoutables lorfque le parti eft puiffant, & que les femmes s'y fourrent. Les moiens dont on fe fert font fouvent très-ridicules & très-groffiers, & ne laiffent pourtant pas de réuffir. Quoi de plus mal imaginé que ceux qu'on emploia contre le feu Maréchal de Catinat? On fe mit en tête de le faire paffer pour fou, c'étoit cependant le plus fage de tous les hommes. N'étoit-ce pas l'attaquer par le côté le moins abordable? Et cependant cette extravagante machine fit le coup contre ce grand hom me.

La difgrace du feu Marquis de Feuquiéres eut une caufe moins ridicule, quoique fans fondement; il n'alla pas fi loin que l'autre dans les honneurs de la guerre, mais j'oferois prefque affurer qu'il eût égalé, & peut-être furpaffe le Maréchal en grandes actions, fi une cabale n'eût conjuré la perte de cet excellent Officier, l'homme du monde le plus capable de commander nos armées. Je n'en ai guéres vù de plus habile, de plus appliqué, & d'une valeur plus épurée. L'envie fe mit en campagne, armée de toutes les calomnies qu'on puiffe ranger en bataille contre un mérite de cette force. Il fuccomba, & fe retira très-fagement; s'il eût dépendu de fes envieux, ils l'euffent fait noier comme Xantippe. J'ai un éxemple qui vient tout à propos, que nous n'enverrons point à une autre occalion. Il roule fur ces fortes de machinations, je l'ai trouvé dans la vie de l'Empereur Sévére Alexandre. L'Auteur dit que divers méchans, qui s'étoient liguez enfemble pour tromper Alexandre, eurent d'abord l'adresse de surprendre par leurs intrigues l'efprit du jeune Prince, jusqu'à lui faire éloigner les perfonnes qu'on avoit mis auprès de lui; mais il eût affez de prudence pour reconnoître auffi-tôt leur malice: il les chaffa, les fit même mourir du dernier supplice par le jugement dr

Sénat,

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là mêmes, faifoient le fiége d'Afpis: mais elles fe défendirent avec tant de courage & de valeur, qu'ils furent obligez de fe retirer. Sur l'avis qu'ils reçûrent enfuite que les Romains équipoient une flotte qui devoit encore venir dans l'Afrique, ils radoubérent leurs anciens vaiffeaux, en conftruifirent de neufs; & quand ils en eurent deux cens, ils mirent à la voile pour obferver l'arrivée des ennemis.

Sénat, & s'attacha immuablement à ceux qui é toient capables de le faire régner avec justice & avec honneur. Belle leçon pour les Souverains, & très-digne d'être imitée, pour couper court aux complots des envieux contre les hommes du premier mérite, d'une vertu éprouvée, & choifis d'entre les plus fages d'un Etat pour leur éducation Combien y en a-t-il peu qui découvrent la profondeur de la fourbe? L'Hiftoire est toute parfémée de ces fortes de conjurations. L'on remarque que celles, qui font les plus groffiéres & les plus mal fondées, font celles qui réuffiffent le mieux, comme il arrive ordinairement à la guerre que les attaques par le côté le plus fort, font celles par où on eft le plus fouvent emporté, parce que l'ennemi ne peut croire qu'on ofe tenter par cet endroit, & fur ce fondement il dimi

nue les précautions, ou n'en prend aucune. Le Maréchal de Catinat fut pris par le côté de la fagefle, qu'on ne croioit pas infultable fans folie. Je ne trouve que Cimon dans l'antiquité, qu'on ait pû faire paller pour infenfé, car je ne crois pas qu'on fe fervit de cette machine contre Xantippe; mais cette réputation ne dura pas longtems. Les Athéniens, dit Valére-Maxime, éprouverent bientôt toute l'utilité de cette même folie par fes grandes actions, & par la fageffe de ses confeils: c'eft pourquoi, continue-t-il, il força ceux qui l'avoient cru fou, de s'accufer eux-mêmes de folie. Heureux les Etats, dit Dacier, qui font gouvernez par de tels foux. Heureux encore les Généraux, qui en ont le plus de befoin, de s'en fervir & de les écouter: fauf à les envoier noier comme Xantippe, après le service rendu.

OBSERVATIONS

Sur la bataille du Conful Régulus contre Xantippe.

§. I.

Fortune inégale de Régulus. Caractére des Carthaginois. Confiance qu'ils prennent en Xan tippe. Exemple unique.

J

'Entre dans l'éxamen d'une bataille fameufe, & qui nous fournit une infinité d'inftructions folides. Nous les tirerons des fautes du Général Romain, autant que de l'habileté & de la bonne conduite de celui des Carthaginois.

Quoique le premier ait gagné trois batailles, (car dans celle d'Ecnome il entre en partage de gloire avec fon Collégue,) ceux qui favent diftinguer un fait d'intelligence d'avec un fait de hazard, ne concluront pas de là qu'il fût un Capitaine fort au deffus du médiocre: il y en a beaucoup qui en gagnent, qui font au deffous. Régulus ouvrit fa premiére campagne par un combat témérairement engagé, & où il fut battu : la honte de fa défaite lui fit réparer fon honneur & fes pertes: la victoire fut, à la vérité, peu complette; mais c'eft tout ce que l'on pouvoit attendre de lui dans un tems où les autres perdent le jugement, & par là toute efpérance; & Tyndaride vit dans un même jour les Carthaginois vainqueurs, & vaincus tout enfemble, en très-peu de tems L'affaire d'Adis mérite nos éloges, foit du côté de l'art, foit du côté du courage:

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c'eft, en un mot, une affaire toute de conduite, très-bien embarquée, & digne d'un . Capitaine habile & expérimenté.

On fera fans doute un autre jugement de la bataille que le même Conful livra contre Xantippe, qui fait le fujet de ces obfervations. Il la perdit, & avec elle tout ce qu'il s'étoit acquis de gloire & de réputation dans les précédentes: mais fa vertu resta toujours ferme & inébranlable, parmi cette multitude de malheurs qui fuivirent la perte de fa liberté. On ne vit jamais un fi grand courage dans un Romain. Jamais Citoien ne fit paroître un fi grand zéle, ni tant d'amour pour le bien & la gloire de fa patrie, & je doute que Rome ait jamais produit un fi honnête homme.

S'il fût tombé en tout autres mains que celles des Carthaginois, bien loin de mourir d'un fupplice auffi cruel que celui qu'on lui fit fouffrir, s'il faut s'en rapporter à ce que les Hiftoriens nous en difent, on eût refpecté fes malheurs par le feul éclat de fes vertus; mais que pouvoit-il espérer d'un peuple qui n'en connut jamais aucune, d'un peuple qui étoit en mépris à tous les autres, fourbe, cruel, fans foi, & ingrat au-delà de tout ce qu'on peut dire, d'un peuple en un mot qui ne confervoit fa liberté que par le courage & la vertu des autres, & par des forces empruntées, qui faifoit mourir fes Généraux du dernier fupplice, & qui honteux de devoir fon falut à un étranger, envoie noier ce même Xantippe, qui venoit de le lui procurer par fa victoire? C'est Arrien qui nous apprend cette nouvelle. Polybe nous promet de nous l'apprendre, il ne nous en dit pourtant pas un mot, non plus que de la fin d'Attilius Régulus; ce qui me fait foupçonner qu'il y a quelque lacune dans les endroits où ces deux circonftances auroient dû trouver leur place.

Dans un miférable état où l'on défefpére de toutes chofes, dit Saint-Evremont, on prend confiance en autrui plus aisément qu'en foi-même; ainfi les jaloufies fatales au mérite des étrangers vinrent céder à la nécessité, & les Généraux s'abandonnérent à la capacité de Xantippe. En effet cet Officier leur avoit fait voir leurs bévûes & la caufe de leurs défaites, en même tems qu'il leur offroit les moiens de les réparer.

Qui ne fera furpris, en lifant ce paffage, & plus encore ce que Polybe rapporte du difcours de cet étranger en plein Sénat, qui l'écoute, & qui lui applaudit, de voir des Généraux ignorans, fans expérience, & par conféquent préfomptueux & entêtez de leur mérite, qui l'écoutent & ne lui applaudiffent pas moins, & qui fans envie, fans jaloufie, & fans honte, s'abandonnent à la capacité de Xantippe, fermant les yeux fur ce qu'il eft, & ne les ouvrant que fur ce qu'il fait? Ils fe reconnoiffent inférieurs à lui, & par là ils le jugent digne de les commander: cela eft certainement admirable, & d'autant plus furprenant, que l'Hiftoire ne nous apprend rien de femblable, ni rien d'approchant.

C'est l'ordinaire des Républiques de recourir aux hommes vertueux dans leurs plus grandes infortunes; mais il eft très-rare, ou pour mieux dire, il ne s'eft jamais vû qu'on aille les prendre dans les emplois les plus fubalternes de la milice, que ce choix tombe fur un étranger, & que le Sénat, l'armée & les Généraux en paroiffent très-contens & très-fatisfaits. Encore une fois, je ne vois rien de plus étonnant. Dans un Etat Monarchique, cela feroit un prodige. Ceux mêmes, qui feroient les auteurs de tous les maux de la guerre la plus défaftreuse, dûffent-ils fe fauver eux & leur patrie par l'efprit & le courage d'un tel homme, fe garderoient bien de lui laiffer prendre une telle volée. Ils cabaleroient, ils intrigueroient, & n'oublieroient rien pour l'accabler & le renverfer. L'Hiftoire fourmille d'éxemples de cette injuftice. En voici un de fraîche date.

Si feu M. de Vendôme, qui étoit auffi bon François que grand Capitaine, quoique fes ennemis en difent, eût paffé l'Adigé en 1706, plutôt que de s'en couvrir contre M. le Prince Eugéne, qui le réduifit à rien, en lui donnant jaloufie par tout, cet

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te campagne le combloit de gloire & fauvoit l'Italie, parce qu'il eût combattu avec fes forces réunies & en maffe, & dans un terrain très-avantageux, comme certaine perfonne lui avoit propofé. Cette occafion manquée, l'ennemi traverse encore le canal Blanc, autre occafion encore plus favorable. Jamais armée ne fe trouva mieux poftée pour fe faire battre, que celle du Prince Eugéne: fa défaite étoit inévitable, nulle reffource dans le terrain, nulle retraite à espérer, entre deux riviéres impraticables, & de vastes & profonds marais à dos, comme la même perfonne lui fit remarquer. Il y avoit au contraire des avantages infinis pour M. de Vendôme, foit dans le terrain, foit dans l'ordonnance de fon armée. Pour avoir manqué une fi belle occafion, qui ne s'échapa que trop vîte, & qu'il falloit faifir tout auffi-tôt, nous éprouvâmes, peu de tems après, tout ce que la mauvaise fortune peut faire fentir de plus funefte: on entend bien que je veux parler de l'événement de Turin. Fut-il jamais arrivé fans cette faute? C'eft avec regret que je la lui attribue; mais on ne peut excufer la trop grande complaifance, & la déférence aveugle qu'il avoit aux confeils timides & pernicieux de deux ou trois perfonnes qu'il appelloit fes amis: prétendus amis auffi faux, auffi doubles, & auffi malhabiles qu'il en fût jamais, qui le jouérent & le trompérent toujours, qui lui firent perdre par timidité, ou par malice, ou par d'autres motifs à nous inconnus, une infinité de bons momens, dont un feul étoit capable de le mettre au deffus de tous les Capitaines de fon fiécle, & de terminer une guerre fi difficile & fi obstinée. Qu'on ne me dife pas que ces fortes d'entreprises étoient incertaines & trop hazardeufes, rien de plus fimple, & de plus aifé, comme il le reconnut lui-même. Cette négligence impardonnable, & très-pardonnable à tout autre qu'à lui, fut moins un acte de fa volonté, que l'effet d'une timidité de tempérament, qui lui prenoit quelquefois, & qui ne lui permettoit pas de réfifter contre les détours de rhétorique de fes faux amis, gens qui s'oppofoient éternellement à toutes fes entreprises, & qui l'empêchoient, & de faire triompher fes lumiéres, & de s'aider de celles de fes véritables amis, qu'il ne connut jamais.

Combien de fi ne pourrois-je pas citer fur les autres comme j'ai fait fur celui-ci, & qui valoit infiniment plus, fi cette digreffion, qu'on me pardonnera peut-être, par le curieux qu'elle renferme, n'étoit déja que trop étendue? Revenons à notre fujet.

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§. II.

Ordre de bataille des Romains & des Carthaginois.

E Conful Romain, averti que les ennemis étoient en campagne, quitte les montagnes & fe répand dans les plaines: car lorfque deux armées marchent dans les mêmes intentions, elles font bientôt en présence.

Celle de Carthage étoit de douze mille hommes d'infanterie, de quatre mille chevaux, & d'environ cent éléphans. Ceux-ci formérent une ligne (2) fur tout le front de l'infanterie (3), difpofée en phalange parfaite, felon la méthode des Grecs, dont les Carthaginois & tous les autres peuples n'étoient pas beaucoup éloignez. La cavalerie fermoit les aîles de cette phalange.

Le corps de l'infanterie étrangére (4), fut placé entre la cavalerie de la droite (5), & celle de la phalange fur la même ligne. Les armez à la légére étoient à la gauche (6) de la cavalerie, partagez par pelotons (7), entre les diftances des efcadrons, felon la coûtume des Grecs, que les Romains ne prirent qu'après la bataille de Cannes: c'eft un peu bien tard pour des hommes fi éclairez & fi alertes à prendre des autres peuples ce qu'il y avoit de bon à imiter. Notre Auteur ne dit pas formellement que cette infante

rie fut enchaffée par pelotons entre les intervalles des efcadrons de la gauche. Il dit feulement qu'ils furent mis avec la cavalerie; mais comme j'ai déja dit plus haut que les Grecs, comme les autres peuples, entreméloient ordinairement cette forte d'arme parmi leur cavalerie, il eft hors de doute que Xantippe obferva la même méthode: auffi les diftribué-je de la forte.

Le Grec habile avoit deux bonnes raifons d'en ufer ainfi : la premiére étoit fondée fur l'inutilité de cette infanterie légére entre les éléphans & les pefamment armez; la feconde étoit d'accabler la droite des Romains par ce mélange d'armes, de la dépouiller de fa cavalerie, de tomber enfuite fur les flancs de l'infanterie de cette aîle, de les prendre à dos, & de les environner de toutes parts par fa cavalerie: de telle forte qu'ils ne pûffent lui échaper, pendant qu'il les attaqueroit de front par fon infanterie & fes éléphans. Par là il les obligeoit de faire front des deux côtez, & rendoit les armez à la légére inutiles, forcez qu'ils étoient de remplir les diftances d'entre les colonnes, déja trop refferrées, contre des éléphans qui en fuffent fortis, fi elles euffent été plus écartées les unes des autres. Encore ne fai-je fi en les écartant on eût dû s'attendre à un fuccès plus heureux. La raison de cela eft, que Xantippe n'avoit jamais compté que fa cavalerie pût rompre l'infanterie Romaine; elle étoit trop bien ordonnée, & fur une trop grande profondeur, pour rien craindre d'un effort de cavalerie, quelque déterminée qu'elle pût être. Son deffein étoit feulement de faire jetter les légérement armez dans les diftances des colonnes, pour que les éléphans euffent moins d'iffues; & fi ceux-ci venoient à fortir, de les rejetter fur les légions par le moien de fa cavalerie qui fe trouvoit à leur dos. Tous ces raifonnemens font fort fenfez, & d'un Capitaine qui prévoit ce qui peut & doit arriver, par la difpofition & les fautes de fon ennemi.

Régulus avoit quinze mille hommes d'infanterie, & trois cens chevaux. Il diftribua les armez à la légére (8), felon la coûtume Romaine, fur une ligne en front des légions, & les oppofa aux éléphans, perfuadé qu'en les harcelant de tous côtez par fes velittes, il les détourneroit fur l'ennemi; mais comme il n'étoit pas trop affuré de les chaffer avec cette feule arme, & de garantir le front de fon infanterie du choc de ces animaux, il changea dans fa difpofition: quoique ce ne fût guéres la coûtume Romaine du tems de la premiére guerre Punique, il crut devoir fortir des régles pour ce couplà; il la rangea donc par colonnes, avec de très-petits efpaces entr'elles; ce qui gâta tout, comme on le verra bientôt. Je me fers de ce terme de colonnes, parce qu'en effet c'est le véritable, & conftamment le texte le défigne: c'eft-à-dire, que le Général Romain mit les compagnies les unes à la queue des autres. Cela eft clair, mais dans ce qui fuit il ne l'eft pas tant qu'on ne puiffe bien s'y méprendre de cette maniére, dit notre Auteur, le corps de bataille fut moins étendu, mais plus épais. La hauteur ne devoit rien diminuer de l'étendue du front de fon infanterie, fi Régulus ne fit autre chofe que de ranger les manipules à la queue les uns des autres, les Princes derriére les Haf taires, & les Triaires à la queue des Princes fur une même ligne droite. Il ne faut nullement douter qu'il n'eût diminué & trop refferré les efpaces d'entre les colonnes, (9), à moins qu'il n'eût doublé les filles des manipules. Quoiqu'il en foit, il confidéra moins La phalange qu'il avoit en tête, que les éléphans, dont il pouvoit être rompus car en refferrant trop les intervalles d'entre les colonnes, il ôtoit tout moien à ces animaux de fortir & de s'échaper par les vuides d'entre ces corps, & réduifoit ces animaux à s'ou vrir un paffage à travers les légions, & à leur paffer fur le ventre: s'il s'imagina pou voir les détourner, à l'aide de fes gens, & les faire revirer fur les ennemis même, par le moien de fes frondeurs, il raifonna très-peu jufte, ou du moins fur une chofe trèsincertaine: outre qu'il étoit bien plus aifé à fes velittes de les chaffer dans une rou

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