Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pour réduire ce grand Capitaine, qui a la hardieffe, avec une armée de vingt à vingtcinq mille hommes, d'en attaquer cent mille, de les battre, ou de les diffiper par la feule terreur de fon nom? On voit peu de grandes armées qui réuffiffent lorsqu'on fe défend bien, elles fe diffipent d'elles-mêmes; l'on voit bientôt la confufion & le défordre s'y introduire par la faute de paie, par la difette & les maladies, leur propre grandeur entraîne leur ruine.

Cet article des grandes armées me tenoit au cœur depuis longtems, je l'ai déchargé d'autant, la guerre d'Eryce m'en aiant fourni l'occafion; je ne pouvois fupporter que l'on ne s'apperçût pas que les armées peu nombreuses des deux côtez, font les plus favantes & les plus inftructives.

Je ne vois aucun de nos Auteurs militaires qui ait traité une matiére fi importante, ni aucun du métier ou autre qui n'ait été plus touché, & qui n'ait fait plus de cas des guerres d'Alexandre, & des autres Conquérans à groffes armées, que de celles des Capitaines qui n'en ont jamais commandé que de médiocres.

Nous nous fommes apperçûs, par les entretiens que nous avons fi fouvent eus, & que nous avons tous les jours avec un nombre d'amis & de Savans militaires François & étrangers, qu'ils étoient autant épris & autant admirateurs des groffes guerres que nous le fommes peu. La raifon de cela eft, qu'ils avoient négligé de lire les Hiftoriens qui ont écrit des guerres qui fe font paffées entre les peuples de la Gréce. Ils fe défirent bientôt de leurs préjugez, lorfque nous leur fimes voir qu'il y avoit tout à admirer & tout à apprendre dans celles-ci, & très-peu dans les grandes, comme nous l'avons fi fouvent répété. Nous leur indiquâmes les Hiftoriens qui en ont écrit, entr'autres Thucydide & Xenophon, comme les feuls, où il falloit puifer les connoiffances pour la conduite des guerres d'une nature toute différente de celles des Conquérans à puiffance formida ble. Ils ont reconnu, par l'étude qu'ils en ont faite, que nous avions eu très-grande raifon de leur dire que c'étoit à ces fortes de guerres qu'il falloit uniquement s'attacher, les lire & les méditer avec d'autant plus de foin, qu'elles font toutes de conduite & d'un détail tout à fait extraordinaire par rapport aux lieux, aux difficultez, & aux chicanes que deux habiles Chefs d'armées s'oppofent l'un à l'autre, & dont chacun tâche de profiter par la fcience & par l'expérience. L'on voit dans ces Auteurs tout ce que l'art peut imaginer & inventer de rufes & d'artifices dans l'attaque comme dans la réfiftance, les divers poftes qu'on occupe, & les différens mouvemens & campemens qu'on eft obligé de faire pour rendre inutiles ceux de l'ennemi. Pour faire la guerre fur ces principes, il faut l'avoir bien étudiée & pratiquée longtems.

Ces fortes de camps & de poftes favorables pour tirer la guerre en longueur, fe rencontrent par tout dans les païs mélez, & dans ceux de montagnes & de défilez; mais les Généraux capables de les connoître, les Amilcars, les Fabius, les Céfars, les Zifcas, les Turennes, & les Starembergs font très-rares en tous tems & en tous lieux, parce que cela dépend de l'efprit, de la fcience & du coup d'œil; qualitez qui doivent toujours marcher ensemble & de conserve. Mais qu'est-ce que ce coup d'œil, dira quelqu'un? s'apprend-t-il? Nous foutenons qu'il s'apprend; c'eft ce que nous allons démontrer dans les deux paragraffes fuivans: la matiére eft un peu féche, mais nous tâcherons de l'égaier; car le dogme a befoin de beaucoup d'artifice & d'un grand art; il veut être orné & paré, l'inftruction fe cache fous ces dehors, & nous l'aimons enfuite indépendamment de la parure.

§. II.

§. II.

[merged small][ocr errors]

Que le coup
d'œil militaire produit le grand & le beau d'une guerre. Qu'il peut s'acqué-
rir par l'étude & l'application. Erreur de ceux qui prétendent que c'est un préfent de la

nature.

C'E

'Eft le fentiment général que le coup d'œil ne dépend pas de nous, que c'eft un préfent de la nature, que les campagnes ne le donnent point du tout, & qu'en un mot il faut l'apporter en naiffant, fans quoi les yeux du monde les plus perçans ne voient goute, & marchent dans les ténébres les plus épaiffes. On fe trompe, nous avons tous le coup d'œil, felon la portion d'esprit & de bon fens qu'il a plû à la Providence de nous départir. Il naît de l'un & de l'autre, mais l'acquis l'affine & le perfectionne, & l'expérience nous l'affure. On voit par les actions & la conduite d'Amilcar, qu'il l'avoit très-bon & très-fin, parce qu'il poffédoit toutes les qualitez qu'on demande pour coup d'œil, & dans le plus haut point de perfection, où peut-être jamais Général les ait pouffées, comme on le peut remarquer dans cette guerre d'Eryce, & plus encore dans celle des foldats rebelles d'Afrique.

le

Avant que d'entrer dans l'explication de la méthode dont on peut fe fervir pour acquérir ce talent, qu'on croit fauffement être un don de la nature, il eft néceffaire d'en donner la définition. Le coup d'œil militaire n'eft autre chofe que l'art de connoître la nature & les différentes fituations du païs où l'on fait, & où l'on veut porter la guerre, les avantages & les défavantages des camps & des poftes que l'on veut occuper, comme ceux qui peuvent être favorables ou désavantageux à l'ennemi. Par la pofition des nôtres, & par les conféquences que nous en tirons, nous jugeons fûrement alors des deffeins préfens, & de ceux que nous pouvons avoir par la fuite. C'eft uniquement par cette connoiffance de tout un païs, où l'on porte la guerre, qu'un grand Capitaine peut prévoir les événemens de toute une campagne, & s'en rendre pour ainfi dire le maître; car jugeant par ce qu'il fait de ce que l'ennemi doit néceffairement faire, obligé qu'il eft par la nature des lieux à fe régler fur fes mouvemens pour s'oppofer à fes deffeins, il le conduit ainfi de camp en camp, & de pofte en pofte, au but qu'il s'eft propofé pour vaincre. Voilà en peu de termes ce que c'eft que le coup d'œil militaire, fans lequel il eft impoffible qu'un Général puiffe éviter de tomber dans une infinité de fautes d'une extrême conféquence; en un mot, il n'y a rien à espérer pour la victoire, fi l'on eft dépourvû de ce qu'on appelle coup d'œil à la guerre; & comme la fcience militaire eft de la nature de toutes les autres, qui demandent l'ufage pour les bien pofféder dans les différentes parties qui la compofent, celle dont je traite ici eft une de celles qui demandent la plus grande pratique.

Philopamen, un des plus grands Capitaines de la Gréce, qu'un illuftre Romain appella le dernier des Grecs, avoit un coup d'œil admirable: on ne doit pas le confidérer en lui comme un préfent de la nature, mais comme le fruit de l'étude, de l'application, & de fon extrême paffion pour la guerre. Plutarque nous apprend la méthode dont il fe fervit pour voir de tout autres yeux que de ceux des autres pour la conduite des armées. Le paffage mérite d'être rapporté. Il écoutoit volontiers les difcours, & lifoit les trai,, tez des Philofophes, dit l'Auteur Grec: non tous, mais feulement ceux qui pou», voient l'aider à faire des progrès dans la vertu. De toutes les grandes idées d'Homére, il ne cherchoit & ne retenoit que celles qui peuvent éguifer le courage, & porter ,, aux grandes actions. Et pour toutes les autres lectures, il aimoit fur tout à lire les traitez d'Evangelus, qu'on appelle les Tactiques, c'est-à-dire l'art de ranger les trou

"

[ocr errors]
[ocr errors]

Ee 2

›› pes

"

دو

[ocr errors]

» pes en bataille, & les Hiftoires de la vie d'Alexandre: car il penfoit qu'il falloit tou,,jours rapporter les paroles aux actions, & ne lire que pour apprendre à agir; à moins ,, qu'on ne veuille lire feulement pour paffer le tems, & pour fe former à un babil infructueux & inutile. Quand il avoit lû les préceptes & les régles des tactiques, il ne faifoit nul cas d'en voir les démonftrations par des plans fur des planches, mais il en ,, faifoit l'application fur les lieux mêmes & en pleine campagne. Car dans les marches il obfervoit éxactement la pofition des lieux hauts & des lieux bas, toutes les coupures ,, & les irrégularitez du terrain, & toutes les différentes formes & figures que les batail"lons & efcadrons font obligez de fubir à caufe des ruiffeaux, des ravins & des défilez qui les forcent de fe refferrer ou de s'étendre; & après avoir médité fur cela en lui,, même, il en communiquoit avec ceux qui l'accompagnoient. En général il paroît ,, que Philopomen avoit une inclination trop forte pour les armes, qu'il embraffoit la » guerre comme une profeffion qui donnoit plus d'étendue à la vertu; & en un mot » qu'il méprifoit ceux qui ne s'appliquoient pas à ce métier, comme gens oifeux & inutiles.

[ocr errors]

C'eft en abrégé les préceptes les plus excellens qu'on fauroit donner à un Prince, à un Général d'armée, & à tout Officier qui veut parvenir & monter aux grades les plus éminens de la milice. Cette méthode eft unique, & rend, comme dit fort judicieusement le Traducteur, la pratique des préceptes bien plus aifée dans l'occafion, que de voir les plans fur des planches. Plutarque accufe & blâme même Philopamen d'avoir porté la paffion de la guerre au-delà des bornes raifonnables. M. Dacier ne manque pas de lui applaudir. L'un & l'autre jugent très-peu équitablement de ce grand Capitaine, fans favoir trop bien ce qu'ils difent: comme fi la fcience de la guerre n'étoit pas immenfe, qu'elle ne renfermât pas prefque toutes les autres dans fon tourbillon, & que pour en acquérir la connoiffance il ne fallût pas une application longue & pénible. Plutarque n'étoit pas guerrier, fon Traducteur encore moins: ni l'un ni l'autre n'a pris garde que Philopoemen étoit favant comme la plupart des grands Capitaines, & qu'il s'attachoit à l'étude de la Philofophie & de l'Hiftoire, fi néceffaire aux gens de guerre: pourquoi trouver mauvais qu'un homme s'applique & fe livre entiérement à l'étude des fciences qui ont rapport à fa profeffion? Celle des armes n'eft pas seulement la plus noble, elle eft encore la plus étendue & la plus profonde, & par conféquent elle éxige une plus grande application; ce que fait ce grand Capitaine pour fe former le coup d'œil, eft une chofe très-néceffaire & très-importante pour le commandement des armées, de là dépend le falut & la gloire d'un Etat.

On ne peut douter que la tactique, ou l'art de mettre les armées en bataille, de les camper & de les faire combattre, ne foit tout à fait roiale. Quelle raifon avoit Annibal de mettre Pyrrhus, Roi des Epirotes devant Scipion, & immédiatement après Alé xandre, quoique celui-ci ne fût pas fi habile? Il n'en eut fans doute point d'autre, finon que le premier avoit excellé pardeffus tous dans cette grande partie de la guerre, quoique Scipion ne lui cédât pas fur ce point, comme il le fit voir à Zama. Annibal y fut-il moins éxercé que les deux autres? Philopomen voioit que l'étude de la tactique & les principes d'Evangelus ne lui ferviroient de rien, s'il n'y joignoit le coup d'œil fi néceffaire au Général d'armée: fa méthode nous a toujours plû, & nous l'avons toujours pratiquée dans nos voiages comme dans l'armée.

§. III.

§. III.

Qu'il ne faut pas attendre l'occafion de la guerre pour fe former le coup d'œil, qu'on peut l'apprendre & l'acquérir par l'exercice de la chaffe. Eloge de Machiavel.

I'

L y a plufieurs chofes néceffaires pour parvenir à cette connoiffance, une très-grande application à fon métier, c'est là la bafe; on prend enfuite une méthode: quoique celle du Capitaine Grec foit bonne, nous croions avoir beaucoup enchéri, où du moins trouvé ce que l'Auteur Grec a négligé de nous apprendre plus particuliérement. L'on ne fait pas toujours la guerre. Il ne faut pas s'imaginer non plus qu'on puiffe s'y rendre habile par la feule expérience, fur laquelle la capacité de la plus grande partie des gens de guerre eft fondée aujourd'hui; elle ne fait que perfectionner, & ne fert prefque de rien, fi l'on ne joint l'étude des principes: car la guerre étant une fcience, elle s'apprend comme toutes les autres où l'on ne fauroit fe rendre habile, fi l'on n'y commence par l'étude de ces principes. Deux fiécles de guerre perpétuelle fuffiroient à peine pour nous conduire par l'expérience des faits; il faut la laiffer en propre aux ames ordinaires, & fournir aux grands Capitaines des moiens plus courts pour monter à la gloire fans la devoir à la capacité des autres, qu'on ne rencontre pas toujours. Il est donc néceffaire d'étudier la guerre avant que de penfer à la faire, & de s'appliquer toujours & fans ceffe lorfqu'on la fait.

J'ai dit plus haut qu'on ne fait pas toujours la guerre, j'ajoute encore que les armées ne font pas toujours affemblées & en mouvement: l'on eft au moins fix mois dans le repos d'un quartier d'hiver, & fix mois ne fuffifent pas pour nous former le coup d'œil pour la guerre. Il eft vrai qu'on l'apprend beaucoup plus dans les marches, dans les fourrages, & dans les différens camps & les divers poftes où les armées campent; les idées font plus nettes alors pour juger & réfléchir fur le païs que l'on voit, & les pratiques que l'on obferve; mais cela n'empêche pas que, par le fecours de l'efprit & de l'imagination, on ne puiffe en faire ufage ailleurs que dans les armées, & qu'on ne s'affine le jugement & la vûe à la chaffe, ou en voiageant. J'en puis parler par l'expérience que j'en ai faite.

Rien ne contribue davantage à nous former le coup d'œil que l'éxercice de la chaffe; car outre qu'il nous met au fait du païs & de fes différentes fortes de fituations, qui font infinies, & jamais les mêmes, on apprend encore dans ce bel éxercice mille rufes & mille chofes qui ont rapport à la guerre : mais la principale eft la connoiffance des lieux qui nous forme le coup d'œil, fans que nous y prenions garde ; & fi l'on s'éxerce à cette intention, pour peu de réfléxions qu'on y ajoute, on pourra acquérir la plus grande & la plus importante des qualitez d'un Général d'armée. Le grand Cyrus eut moins fon plaifir en vûe, en fe livrant tout entier à la chaffe pendant fa jeuneffe, que le deffein de se rendre propre pour la guerre, & pour la conduite des armées. Xenophon, qui a décrit fa vie, ne nous laiffe aucun doute là-deffus. Il dit que ce grand homme allant faire la guerre au Roi d'Armenie, raisonnoit fur cette expédition comme s'il fe fût agi d'une partie de chaffe entreprise dans un païs de montagnes. Ils'expliquoit ainfi à Chryfante, un de fes Officiers Généraux, qu'il envoioit dans les endroits les plus âpres, & dans les vallées les plus difficiles, pour en gagner les entrées & les ifsues, & couper la retraite à fes ennemis.,, Imagine-toi que c'eft une chaffe que nous allons faire, & que tu as la charge de demeurer aux toiles, tandis que je battrai la campa,, gne. Sur tout, fouviens-toi qu'il ne faut point commencer la chaffe que les paffa»ges ne foient occupez, & que ceux qui font en embuscade ne doivent pas être vûs,

[ocr errors]

Ee 3

» pour

[ocr errors]

,, pour ne pas effaroucher le gibier. . . . Garde-toi de t'engager dans le fort du bois, dont tu aurois peine à te retirer, & commande à tes guides, qu'à moins d'abréger ,, extrêmement le chemin, ils te conduifent toujours par les routes les plus faciles : car ,, en fait d'armée, le plus beau chemin eft toujours le plus court.

Que Xenophon ait romanifé cette Hiftoire de Cyrus pour nous donner un abrégé de fcience militaire traité hiftoriquement, peu nous importe, fi tout ce qui a rapport à cette fcience cft vrai & folide. Il veut nous faire connoître que la chaffe nous méne à bien des connoiffances; que c'eft un éxercice honnete, & très-néceffaire à ceux qui font nez pour commander comme pour obéir, parce qu'elle nous rend plus propres à foutenir les fatigues de la guerre, fortifie le tempérament, & forme le coup d'œil: car une connoiffance éxacte d'une certaine étendue de païs nous facilite celle des autres, pour peu qu'on les voie. Il ne fe peut qu'ils n'aient quelque conformité entr'eux > quoiqu'ils foient tous différens, & la parfaire connoiffance de l'un nous conduit à celle de l'autre, dit Machiavel dans fes Difcours politiques. Au contraire, ceux qui ne font point formez à cette habitude, ont beaucoup de peine à y parvenir: au lieu que les autres d'un coup d'œil apperçoivent l'étendue d'une plaine, l'élévation d'une montagne, la grandeur & l'aboutissement d'une vallée, & toutes les circonftances des différentes natures du terrain, anfquelles ils fe font formez autrefois par beaucoup d'expérience & d'étude. Je ne pense pas qu'aucun Auteur ait traité cette matiére que celui que je viens de citer; le refte est excellent: je vais le copier.

Rien n'eft plus vrai, continue-t-il, que ce que j'avance ici: s'il en faut croire TiteLive, & l'exemple qu'il nous met devant les yeux de la perfonne de Publius Décius, qui étant Tribun dans l'armée commandée par le Conful Cornelius contre les Samnites, il arriva que ce Général fe laiffa pouffer dans un vallon où l'ennemi auroit pû le renfermer: dans cette extrémité Décius dit au Conful, voiez-vous cette éminence qui commande les ennemis? c'eft un pofte qui doit fervir à nous tirer d'affaire, fi nous ne perdons pas un feul moment pour nous en rendre maîtres, puifque les Samnites ont eu l'aveuglement de l'abandonner. Et avant que Décius eût parlé de cette forte au Conful, Tite-Live dit que Décius avoit apperçû au travers des bois une colline qui commandoit le camp de l'ennemi; qu'elle étoit affez efcarpée & de difficile accès, pour des troupes pesamment armées; mais qu'elle étoit aifée pour des foldats armez à la légére. Que le Conful commanda au Tribun de s'en rendre maître, avec trois mille hommes qu'il lui donna; ce qu'aiant heureusement éxécuté, toute l'armée se sauva pour se mettre auffi en lieu de fureté, avec les troupes qu'il commandoit; ordonna à quelques gens de le fuivre, pendant qu'il y avoit encore un refte de lumiére, afin de découvrir les endroits gardez par l'ennemi, & ceux par où l'on pouvoit faire retraite ; & il alla à la découverte habillé comme un fimple foldat, afin que les Samnites ne s'apperçûffent pas que c'étoit un des Officiers Généraux qui battoit l'eftrade.

[ocr errors]

Si l'on fait réfléxion fur tout ce que Tite-Live dit ici, continue Machiavel, l'on verra combien il eft nécessaire à un bon Capitaine de favoir juger de la nature d'un païs: car fi Décius n'eût pas en cette connoiffance, il n'auroit pû favoir combien il étoit avantageux aux Romains de s'emparer de cette hauteur, & il n'auroit pu voir de loin fi elle étoit de facile on de difficile accès : quand enfuite il en fut le maitre & qu'il étoit queftion d'aller rejoindre le Conful, il n'auroit pû non plus découvrir de loin les poftes que l'ennemi gardoit, & ceux par où ils pouvoient faire retraite. Il falloit donc abfolument que Decius fût fort intelligent dans ces fortes de chofes ; car avec cette connoiffance il fauva l'armée Romaine en s'emparant de cette hauteur, & enfuite il trouva le moien de fe délivrer des ennemis qui l'environnoient dans ce pofte.

Il y a très-peu de gens de guerre capables de tirer d'un fait hiftorique les obfervations

qu'on

« AnteriorContinuar »