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eft oppofé forme une plaine, on juge alors que c'eft un endroit propre pour y dreffer une batterie (10, que l'ennemi n'aura garde de laiffer en repos, de peur d'en être longtems incommodé; & que pour s'en délivrer par un bon effort de ce côté-là, l'attaquer & s'en rendre le maître pour féparer les deux aîles des deux autres, il ne pourra faire le coup que par de l'infanterie (9), foutenue d'autant d'efcadrons (11) que la petite plaine en peut contenir. Il jugera alors qu'il faut pofter de l'infanterie fur cette petite éminence, foutenue de la cavalerie (12) pour oppofer des armes femblables.

S'il fe préfente enfuite des terrains variez & mêlez de petites plaines, de champs clos, de maifons tant d'un côté que de l'autre fur tout le front de l'infanterie, il les obfervera avec attention. S'il y en a qui lui paroiffent difficiles à forcer du côté de l'ennemi, il jugera bien que l'ennemi s'y poftera, qu'il n'abandonnera pas un tel avantage, & qu'il y auroit trop de témérité à les attaquer. Il doit donc par imagination fortifier ces endroits moins que les autres, c'eft-à-dire qu'il doit les tenir un peu moins garnis d'infanterie que ceux qui lui paroiffent plus foibles, où il doit approcher fes réserves (13), & obferver les emplacemens les plus commodes & les plus avantageux, pour y établir des batteries. Si en avançant plus avant jufqu'à la gauche (14), & au ruiffeau (15) qui la couvre, il voit que le païs eft ras & ouvert, & propre pour les manœuvres de cavalerie, il trouvera que la cavalerie eft bien placée felon la méthode ordinaire, obfervant pourtant fi les bords du ruiffeau font bordez de haies & d'arbres touffus: fi les bords de l'autre côté ne font pas garnis comme ceux d'en deçà, il jugera alors que l'ennemi pourroit y loger de l'infanterie, & y établir un feu fur le flanc de cette afle, & prendre même des revers; il penfera alors d'enlever cet avantage à l'ennemi, non feulement en propofant de rafer & de couper ces haies, ces taillis ou ces arbres, mais de pofter de l'infanterie ou des dragons (16) fur les flancs des deux aîles de la cavalerie.

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Par ces obfervations il comprendra bientôt qu'on s'eft campé, en bien des endroits, tout au contraire de ce qu'on doit pratiquer felon les régles de la guerre; qu'une partie de la cavalerie, qui fe trouve poftée à une aîle, auroit dû être placée au centre, ou vers le centre, & l'infanterie occuper fon terrain. C'eft la nature des lieux qui doit régler le campement & l'emplacement de chaque arme. On ne peut pas camper par tout, & dans toutes fortes de fituations, felon l'ordre ordinaire de bataille; car lorsqu'on fe trouve l'ennemi fur les bras, l'on fe voit obligé de changer tout l'ordre, & un tel remuement d'armes eft très-dangereux. On fait tout à la hâte, les corps transportez d'un terrain à un autre font déforientez, ils ne fe reconnoiffent plus, au lieu qu'ils connoiffoient leurs premiers poftes d'où l'on vient de les retirer.

Un champ de bataille, quelque bon & quelque avantageux qu'il puiffe être, perd tout le mérite de fa fituation fi chaque arme n'eft en fa place, c'eft-à-dire poftée au terrain qui lui convient. Les Généraux qui lévent un peu la tête au-deffus de ceux du commun, fe contentent de fuivre ces régles, & croient avoir avancé beaucoup: en effet c'eft beaucoup; mais ceux qui excellent dans le coup d'œil, qui l'ont fin & prompt, vont fort au-delà; ils s'apperçoivent bientôt, par les obfervations qu'ils font fur la nature des lieux, qu'il faut qu'une arme foit foutenue par l'autre. Mais comme cela doit être par tout, & dans toute forte de terrains, nous nous réfervons de le démontrer dans le cours de cet ouvrage. Revenons à notre fujet.

Ce feroit peu, & ne faire les chofes qu'à demi, que de s'en tenir à ce que je viens de dire. On doit fe retirer dans fa tente, méditer très-profondément fur ce qu'on aura remarqué, l'accompagner de réfléxions, former un projet & un ordre de bataille felon la nature du terrain. C'eft la premiére journée; on ne s'inftruit pas moins à la feconde ;' on monte à cheval pour reconnoître le païs jufqu'aux grandes gardes; on s'informe des

noms

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A. de Putter.

PLAN DE DEUX ARMEES EN BATAILLE POUR L'INTELLIGENCE DU COUP D'ŒIL.

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noms des villages, des hameaux & des maifons; on remarque les chemins, les ruiffeaux, les bois, les marais, les hauteurs; enfin on ne laiffe rien échaper, & l'on médite fur tout ce qui peut être favorable ou défavantageux à l'ennemi, s'il marchoit à nous, ou fi l'on avoit quelque deffein d'aller à lui, ou fi l'on n'auroit pas mieux fait de fe pofter ailleurs que dans l'endroit que l'on a choifi; ce qui n'eft pas difficile à remarquer: car il y a quelquefois certains camps, où l'on va plutôt par coûtume que par raifon, parce qu'un grand Capitaine les aura occupez, fans favoir que ce qui étoit bon de fon tems ne vaudra rien dans un autre.

La Flandres eft aujourd'hui toute changée, le païs eft fi couvert 'qu'il ne différe en rien de la Lombardie & du Mantouan, & je fuis perfuadé qu'à la premiére guerre la cavalerie fera d'un beaucoup moindre ufage que l'infanterie: cela n'empêchera pas d'en lever beaucoup, & d'en inonder le païs fans aucune néceffité. On ne trouve pas tou jours des Turennes qui fe contentent de peu.

Les fourrages forment beaucoup le coup d'œil, & l'affinent extrêmement: on ne doit pas en manquer un feul; comme on va plus avant du côté de l'ennemi, lorfqu'on fourrage devant foi, on voit tout le païs qui eft entre nous & lui. ¡Si l'armée décampe, & fe met en pleine marche, on doit alors éxaminer l'ordre des colonnes, le païs qu'elles traverfent, & l'efpace à peu près qu'il y a de l'une à l'au

tre.

On fe demande alors, fi l'ennemi par une marche fecrette & accélérée venoit tout d'un coup tomber fur la tête de notre marche, quel parti prendroit notre Général, ou quelle réfolution prendrois-je moi-même fi j'étois à fa place? Voilà une colonne de cavalerie engagée dans un païs brouillé & parfemé de défilez, où elle ne fauroit agir. Si l'ennemi lui oppofoit de l'infanterie, que ferois-je? Comment m'y prendrois-je pour la retirer d'un tel coupe-gorge, & d'un pas fi dangereux, pour la tranfporter d'un lieu en un autre, où elle pût être de quelque ufage?

De l'autre côté je m'apperçois qu'une colonne d'infanterie marche tranquillement à travers la plaine, où elle aura peut-être en tête une partie de la cavalerie ennemie; ce n'eft peut-être pas la faute du Général que les chofes arrivent de la forte, parce que le païs change à tout moment. Peut-être feroit-on mieux dans les marches de partager les deux armes dans les colonnes, c'est-à-dire qu'on devroit mêler l'infanterie avec la cavalerie; en forte que l'une ne marchât jamais fans l'appui de l'autre, pour être préparé à tout événement: cela me femble dans les régles. Sans cette précaution tout eft perdu. Si l'ennemi profite d'une marche pour engager une affaire, on eft d'autant plus furpris que ces fortes d'entreprises font très-rares & toujours fûres. Il faut fe ranger, fe mettre en bataille dans ces cas inopinez; la fituation des lieux doit me régler, dira cet Officier appliqué & méditatif, cette fituation est maîtresse de l'ordre pour placer chaque arme au terrain qui lui convient. Comment s'y prendre, puifque la cavalerie fe trouve embarquée dans un terrain qui n'eft propre qu'à l'infanterie? Comment faire? C'est ce que nous ne dirons pas ici: mais dans le cours de cet ouvrage, où l'on verra par quels moiens & par quelle méthode un Général d'armée pourra fe tirer d'intrigue en pareille occafion. Voilà un grand fujet de fe former le coup d'œil; mais comme je veux couler cette matiére à fond, nous ne prétendons pas en demeurer-là: car on n'eft pas toujours à la guerre, & on ne la fait pas toujours: s'il falloit l'attendre pour fe former dans l'art de voir en guerrier, à peine trois ou quatre campagnes fuffiroient-elles.

J'ai dit que la chaffe étoit un bon moien pour fe former le coup d'œil; mais tout le monde n'eft pas agité de cette paffion, quelque noble & honnête qu'elle foit. Les voiages peuvent nous être à peu près de la même utilité. Je n'en ai pas fait un que je n'aie mis à profit, foit par coûtume, foit par inclination au métier. inclination au métier. On foupçonnera peutêtre que c'étoit auffi pour trouver la fortune. Mais non, jamais je ne l'ai cherchée. Quel

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Quelquefois elle s'eft présentée fur ma route; mais comme elle n'étoit pas d'humeur à marcher de compagnie avec l'honneur, la franchise, la probité, & quelques autres vertus militaires que je méne affez volontiers avec moi, je l'ai envoiée porter fes faveurs à d'autres, qui moins difficiles s'en font accommodez aux conditions qu'elle a voulu, j'ai continué mon chemin, ne penfant qu'au coup d'œil dont eft question.

&

Lors donc que l'on eft en voiage, on éxamine en marchant tout le païs qui fe trouve à portée de la vûe, toute la ligne du terrain le plus éloigné, comme toute l'étendue de celui où nous fommes. On campe par imagination une armée fur le terrain qui fe découvre le plus devant nous, & que nous voions en face. On en considére les avantages & les défauts, on voit ce qui peut être favorable à la cavalerie; ce qui eft propre à l'infanterie; je fais la même chose dans le païs qui eft en deçà, je forme imaginairement les deux ordres de bataille, & imaginairement je mets en œuvre tout ce que je fai de tactique & de rufes de guerre. Par cette méthode je me perfectionne le coup d'œil, je me rends le païs familier, & je me fortifie dans l'art de faifir promptement les avantages des lieux, ou ce qui peut y être défavantageux; outre que j'avance en connoiffances & en favoir, & que je paffe mon tems fans aucun ennui, en fatisfaifant ma paffion. Passons maintenant aux obfervations fur la défenfive & fur l'offenfive, par rapport à la guerre d'Eryce.

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§. V.

Qu'une guerre de défensive ne peut être estimée, fi l'offensive ne s'g

trouve fouvent mêlée.

va

N voit fouvent des Généraux à la tête d'une armée formidable, & d'une telle difproportion de forces avec celles de l'ennemi, qu'on diroit qu'elle le va engloutir, & lui faire fon épitaphe, & cependant on paffe toute une campagne, & fouvent plufieurs de fuite, fans rien faire, fans avancer d'un pas, quoique la valeur foit égale des deux côtez. Les Anciens & les Modernes nous fourniffent une infinité de ces fortes d'éxemples. D'où vient cela? C'eft que l'un, bien que plus foible,est plus habile & plus rufé que l'autre. Mais cette inégalité de forces ne devroit-elle pas produíre quelque chofe de plus que ce que l'on voit? Eft-ce toujours un Agéfilas, un Aléxandre, qui d'une hardieffe inconcevable en apparence, attaquent un grand Empire, chacun à la tête d'une petite armée contre un nombre innombrable de Perfes efféminez? Non, je ne fuppofe pas un tel contrafte, où il n'y a ni inftruction ni profit pour les gens de guerre, je fuppofe tout le contraire dans ce que je vais traiter : deux nations belliqueufes, un Amilcar contre un Conful Romain, tous les deux hardis, braves, entendus & déterminez, dont l'un habile plie fous un plus habile. On alléguera qu'une grande armée contre une autre beaucoup moindre, mais favorifée de l'avantage des lieux, ne pourra rien, parce qu'en comparant la foible avec la forte il y aura équilibre dans toutes les deux. Voici donc ce que nous avons penfé là-deffus, ou ce que les faits, que notre Auteur rapporte en grand nombre, & ce que notre propre expérience nous ont appris.

Un Général d'armée, confommé dans la fcience de la guerre, hardi, entreprenant, fin, rufé, fage, d'un grand fens, & d'un coup d'œil admirable, tel enfin que Barcas, fe trouvant réduit à vingt mille hommes contre foixante mille d'une valeur égale, n'a garde d'agir offenfivement, & haut à la main, en pleine campagne, la partie ne feroit pas tenable: quoique M. de Turenne nous ait fait voir le contraire au combat de Moltzeim, & en bien d'autres occafions; mais comme ce grand Capitaine étoit un de ces

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