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tes: ceux qui font arrivez de nos jours font fans doute préférables aux autres plus éloignez. Celui du dernier fiége de Tournai vient ici tout à propos.

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De toutes les places de nos frontiéres de la Flandre, celle-ci pouvoit être placée au nombre des plus fortes & des plus importantes, & dont la confervation nous devoit être la plus chére. Le Maréchal de Villars, qui s'attendoit à être attaqué, renforça fon armée aux dépens des garnifons. Celle de Tournai auroit pû être exceptée de la régle générale, parce qu'elle fe trouvoit hors de la ligne. En retirant une partie de fa garnifon & de fes vivres, n'étoit - ce point avertir l'ennemi, qui feignoit de vouloir venir à lui d'inveftir cette importante place & d'en faire le fiége? C'est ce qui arriva. Hautefort de Surville, Lieutenant Général, y commandoit; c'étoit un fort brave homme. La défense de Lille où il avoit brillé fous le Maréchal de Boufflers étoit un préjugé favorable pour lui; mais il fit voir en cette occafion qu'il eft difficile, pour ne pas dire impoffible, de trouver un Général irréprochable également en tout, & qui réuffiffe auffi-bien en commandant ? que fous les ordres d'un autre. La ville fe rendit en fort peu de tems. Il n'y a pas dequoi s'en étonner: on fit trois attaques; c'eft trop pour une garnifon fi foible. Il fallut se rendre; mais avant d'en venir là, il eût dû fe prémunir de vivres un peu plus qu'il ne fit, & les faire entrer dans fa citadelle, où il eût pû tenir très-longtems. On l'avoit dégarni, il eft vrai, de fes vivres, mais il en eût trouvé chez le bourgeois de gré ou de force; il prit un ton trop bas, & emploia encore des gens pour cette recherche qui le trompérent. Il fe trouva, après être entré dans la citadelle, qu'il n'avoit que pour un mois de vivres. Il ne le donna que trop à connoître par une efpéce de négociation qui ne fut nullement approuvée. Il fut donc réduit à foutenir dans fa citadelle avec plus de monde qu'il ne lui en falloit, pour faire durer fes vivres & amufer l'ennemi pour le reste de la campagne. L'expédient étoit celui qu'Annibal eût dû prendre, & qu'il ne prit pas, faire de grandes forties, perdre beaucoup de monde, & en faire beaucoup perdre aux affiégeans, qui commirent une très-grande imprudence en faisant le fiége de cette fortereffe: puifqu'ils favoient eux-mêmes, (& les affiégez ne l'avoient fait que trop connoître,) qu'il n'y avoit que pour un mois de vivres. Or s'il n'y en avoit que pour ce tems, ils devoient la tenir bloquée. Pouvoient-ils espérer de la prendre en moins de tems, puifqu'étant bien munie de vivres, elle eût pû tenir fix mois de tranchée? Je reprens maintenant la fuite de mes réfléxions.

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Hannon avoit pris le bon parti. Les Romains ne pouvoient lui échaper. Il s'étoit fi bien pofté, & fi bien précautionné dans fon camp, qu'il n'avoit rien à craindre de l'audace défefpérée d'un ennemi qui veut périr, lorfqu'il n'a plus que cela à faire; n ais la faim qui preffoit ceux de la ville, renverfa toutes fes espérances. Il fe vit dans la fâcheufe néceflité de fortir de fon camp, & de courre les rifques d'une bataille rangée, quoiqu'il eût pû prendre un autre parti, où le hazard eût eu beaucoup moins d'influence. L'on va voir, fi je ne me trompe, qu'il prit le plus déraisonnable. Qui doute qu'il ne lui eût été plus avantageux d'attaquer & d'infulter les Romains dans leurs lignes; leurs forces étant défunies & difperfées en plufieurs quartiers par une circonvallation, qui étoit d'autant plus difficile à garder qu'ils avoient la contrevallation à défendre contre les forties & les attaques de ceux de la ville. Encore un coup le Général Carthaginois prit le pire des deux partis, en préfentant la bataille aux Romains, c'eft-à-dire qu'il leur fournit l'occafion de combattre à leur avantage, par la réunion de prefque toutes leurs forces.

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Tom. I.

G

S. v.

§. v.

Ordres de bataille des Romains & des Carthaginois devant Agrigente. Le terrain que les uns & les autres occupoient. Victoire des Romains.

E qui détermina Hannon à mettre tout en rifque, fut le combat qui devança cette bataille. Comme il ne connoiffoit pas les Romains, ni leur façon de combattre, il engagea un combat où il remporta quelque avantage, mais qui n'étoit guére capable d'effraier des troupes braves & aguerries, & plus fufceptibles de honte que de crainte. Cette maxime n'eft pas toujours fûre; car le moindre avantage ou défavantage ne fait pas toujours l'effet auquel on s'attend. Il arrive fouvent le contraire: celui qui eft battu veut avoir fa revanche, & fouvent le victorieux fe trouve étonné d'une telle réfolution. Je ne difconviens pas qu'entre deux armées peu aguerries, & dans un commencement de guerre, ces fortes d'efcarmouches ne faffent quelque impreffion fur l'efprit des foldats, qui en font les témoins; car quoiqu'elles ne décident rien, & foient fort inutiles , on juge fouvent du gain ou de la perte d'une bataille fur ces fortes de riens, quand il ne s'agiroit que de la mort de deux ou trois hommes.

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Cette bataille. Comme il ne connoifloit

Notre Auteur paffe très-légérement fur les circonftances les plus capitales de cette ba taille. Ce défaut d'éxactitude, qui eft le péché originel des Hiftoriens Grecs & Latins, ne lui peut être imputé, puifqu'il dit lui-même que fes deux premiers livres ne font qu'une introduction à fa grande Hiftoire: je dirai pourtant que quelque exceffif qu'on veuille être en matiére de briéveté, il y a des occafions où jamais un bon abreviateur ne fupprime des circonftances femblables à celles qui manquent ici; puifque trois ou quatre lignes de plus fuffifoient de refte pour nous mettre au fait de ce qu'il nous importeroit très-fort de favoir. Il s'agit ici d'une grande bataille. Il eût dû nous ap→ prendre quelle étoit la fituation du païs où les deux armées combattirent, & ajouter l'ordre & la diftribution des troupes des deux partis; nous y fupplérons au rifque de quelques conjectures, & fûrement elles feront bonnes.

Chaque nation fuivit fa méthode dans l'art de fe ranger. Les Carthaginois fe formé rent fur deux lignes à leur infanterie 2, & la cavalerie fur les ailes 3, diftribuée par efcadrons & fur une feule ligne. Ces deux lignes d'infanterie compofoient deux maniéres de phalanges, c'eft-à-dire fans aucun intervalle entre les corps, ce qui ne me semble pas trop felon les régles de la bonne tactique. Ils ne fe rangeoient pas toujours fur deux phalanges. Ils fe mettoient quelquefois fur une feule. Les éléphans 4, fe formoient fur une ligne à la tête de tout & fur tout le front de l'infanterie.

Polybe ne fait aucune mention des armez à la légére. Il y en avoit fans doute. C'étoient des efcarmoucheurs qui combattoient avec des armes de jet, & qui difparoiffoient, dès

que les armées en venoient aux mains tant d'un côté que de l'autre. Ils les entreméloient quelquefois avec la cavalerie. C'étoit-là où devoit être leur véritable poste. Les Romains ne s'en apperçurent que tard. Voilà la difpofition de l'armée Carthaginoife. Ce font des conjectures il eft vrai; mais très-probables, puifqu'elles font fondées fur la tactique de ce peuple qui nous eft très-bien connuë.

La méthode des Romains dans l'art de fe mettre en bataille, étoit très-différente de celle des autres nations, elle leur étoit toute particuliére; c'eft celle que nous fuivons aujourd'hui: Ils combattoient fur deux lignes 5. & une referve 6. & par petits corps. féparez par des intervalles égaux à leur front. Ceux de la feconde étoient rangez vis-àvis les efpaces de ceux de la premiére. La troifiéme où plutôt la reserve étoit compo

fée

1

.6

A. De Patter fecit.

BLOCUS ET BATAILLE D'AGRIGENTE.

Pl.XVII.Tom.I.Pag. 51.

fée des Triaires, vieux foldats d'une valeur éprouvée, mais qui étoient en trop petit nombre pour mériter le titre de ligne, quoiqu'ils fuffent partagez par pelotons vis-àvis les intervalles des corps de la feconde ligne, la cavalerie 7. 8. fermoit les aîles de l'infanterie, les armez à la légere 9. partagez par petites pelotes fur tout le front de la premiere ligne. Voilà en fort peu de mots l'ordonnance des Romains & des Carthaginois & fur laquelle ils combattirent auprès d'Agrigente.. Mais ce n'eft pas là ce qui nous embaraffe le plus, c'eft de pouvoir déterminer la nature du païs, où les deux armées en vinrent aux mains. Car l'avantage de Hannon confiftoit bien plus à forcer les Romains écartez & féparez en plufieurs quartiers que de les combattre réunis & tous enfemble. Il n'y a que la connoiffance du terrain qui puiffe difculper le Général Carthaginois de la faute dont on peut le foupçonner. Deux raifons me portent à croire où les deux armées fe trouvérent refferrées à que cette affaire fe paffa dans un païs, tel que l'étoit Hannon, ne pouvoit fe fervir leurs ailes de telle forte que le plus fort, de l'avantage du nombre contre le foible, qui refferré de fon côté fe trouvoit fur un front tout femblable. Le foible hardi & entreprenant, qui fe rencontre dans des cas femblables, en profite ordinairement. C'eft une chofe que les Chefs d'armées doivent bien remarquer à la guerre; car en y ajoûtant une difpofition rufée, que l'autre n'a pas, il faut qu'il l'emporte néceffairement fur fon antagoniste.

que

les

Ces deux raifons naiffent des fuites du combat, & font voir manifeftement deux Généraux combattirent dans une plaine d'une très-petite étendue, écoutons Polybe. On fit avancer de part & d'autre les armées dans l'espace qui étoit entre les deux camps. Il falloit donc que le champ de bataille ne permit pas de s'étendre fur un grand front. Voilà le fujet des deux phalanges de Hannon. On comprend bien que ce qu'il avoit de plus que le Romain devoit être en feconde ligne. Si je voulois donner à mon lecteur une idée d'une étendue bornée, je ne me fervirois que de ces deux lignes; mais la feconde raifon eft bien d'une autre force & plus concluante: je la tire de la fituation du païs qui éxifte encore.

Les Carthaginois avoient leur camp entre l'Agragas & le Nypfa, deux petites rivié res, aiant Erbeffe fur leurs derriéres, & la partie de la circonvallation des Romains en front: c'étoit donc entre ces deux riviéres que l'affaire fe décida; Agrigente fe trouvant juftement dans la fourche & le confluant du Nypfa dans l'Agragas. Voilà, ce me femble, la difficulté levée, & le lecteur au fait.

Pour cette fois les Romains ne trouvérent rien de redoutable dans les éléphans; ils n'en fouffrirent pas grand mal. Ces animaux dûrent paffer entre les intervalles des corps, qui les laifférent aller, & tombérent fur l'infanterie Carthaginoife. Je ne dirai pas ce que fit la cavalerie de part & d'autre, mon Auteur n'en dit mot : puifque Hannon fut battu, il falloit qu'il ne fût guére plus fatisfait de fon infanterie que de fa cavalerie.

Les Romains battirent tout & pillérent tout. Ils eurent lieu de fe réjouir d'une fi grande victoire; & d'autant plus confidérable, qu'elle les délivroit de leurs plus grandes infortunes, & de la faim plus formidable que les dangers les plus évidens de la guerre.

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