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Premié

re expédition

CHAPITRE PREMIER.

Premiere expédition des Romains hors de l'Italie. Meffine eft fur-
prife par les Campaniens & Rhege
Rhege par quatre mille Romains.
Rome punit cette derniere trahison. Les Campaniens ou Mamer-
tins battus par Hiéron Préteur de Syracuse, implorent le fecours
des Romains & l'obtiennent, quoique coupables de la même perfi-
die, que les Rhéginois. Défaite des Syracufains & des Cartha-
ginois. Retraite de Hiéron.

E fut donc la dix-neuvième année après le combat naval donné près de la ville d'Ægofpotame dans l'Hellefpont, & la feiziéme des Ro- avant la bataille de Leuctres, l'année que les Lacédémoniens, par les mains foins d'Antalcide firent la paix avec les Perfes, que Denys l'ancien l'Italic. après avoir vaincu les Grecs d'Italie fur les bords de l'Ellépore, fit le

hors de

fiége de Rhege, & que les Gaulois s'emparérent de Rome, à l'exception du Capitole (a): Ce fut dis-je cette année que les Romains

(a) Les Gaulois s'emparerent de Rome, à l'exception du Capitole.] Tite-Live donne souvent dans le merveilleux. C'eft dommage. Sans cela fon Hiftoire eût été beaucoup moins défectueufe. I compofe des victoires imaginaires par haine, par jaloufie ou par efprit flateur, pour rehauffer la gloire ou couvrir la honte de fa nation. Sa partialité éclate fur-tout dans la victoire qu'il fait remporter à Camille fur les Gaulois, dans le tems qu'on étoit à pefer l'or pour la rançon du Capitole que les Gaulois tenoient affiégé après s'être rendu maîtres de Rome. Notre Auteur ne dit pas un feul mot de cette prétendue victoire. Si Polybe en eût eu la moindre nouvelle, il en eût dit quelque chofe,de peur de choquer les Romains par la fuppreffion d'un fait de cette nature. Auroient-ils fouffert, ces fiers Républicains, qu'il s'éloignât des autres Hiftoriens, s'il y en eût eu quelqu'un qui en eût parlé? ne lui auroient-ils pas reproché qu'il cherchoit à étouffer leur gloire & à mettre leur honte dans tout fon jour?

Mr. Dacier dans la préface de fon Plutarque, prétend que Tite-Live n'a point impofe à la poftérité fur cette victoire de Camille. Les preuves qu'il allégue contre l'opinion de Polybe ne me paroiffent pas fondées. Il fuffit, dit-il, que Plutarque a Tite-Live pour garant, notez que le premier a copié le fecond, d'ailleurs, continuet-il, Polybe n'ayant écrit fon Hiftoire qu'après l'Olympiade 157. près de 240. ans après cet exploit de Camille, on peut croire qu'il n'étoit pas mieux

aiant

inftruit que Tite Live, qui avoit écrit la fienne
avant la premiere année de l'Olympiade 189. c'eft-
à-dire 124. ou 125. ans après Polybe. Quoi? cet-
te antériorité de tems de Polybe fur Tite-Live
doit être comptée pour rien? Ce favant homme
foupçonne que Polybe, ami de Scipion, avoit
en vûe d'éclipfer la gloire de Camille, dont l'é-
clat pouvoit diminuer celle de fon Héros. Ce
foupçon eft-il bien légitime? De grace qu'on
me fafle voir un feul Hiftorien Latin qui ait re-
levé Polybe fur cela, au lieu que l'opinion de
Tite-Live eft combattue & repouffée par des
Hiftoriens anciens. Suetone & Juftin lui font
formellement contraires. Dacier cite le premier
& ne dit mot du fecond. Le bon eft que Plu-
tarque fe dédit dans fon traité de la fortune des
Romains. Si ce que Polybe écrit, dit-il,
chant les Gaulois qui prirent Rome eft vrai. Da-
cier fait bouclier de ce si. Il dit qu'il marque
fon doute: cela marque plutôt que ce fait de
Camille étoit de l'invention de Tite-Live & qu'il
n'en avoit aucun garant. D'ailleurs Plutarque
vivoit dans un fiécle inquifiteur & flateur, il n'o-
foit trop appuyer fur le fentiment de Polybe, de
peur de déplaire aux Romains, outre que les ou-
vrages de Tite-Live étoient révérez parce qu'ils
commençoient à vieillir. Les fables les plus im-
pertinentes & les plus faufies prennent à la longue
la place de la vérité, & impofent aux efprits cré-
dules On croyoit alors à Rome ce qu'on igno-
roit du tems de Polybe.

tou

L'Hifto

,

aiant fait une tréve avec les Gaulois aux conditions qu'il plût à ceux-ci d'éxiger après avoir contre toute efpérance regagné leur patrie & avoir un peu augmenté leurs forces, déclarérent enfuite la guerre à leurs voifins. Vainqueurs de tous les Latins, ou par leur courage, ou par leur bonheur, ils portérent la guerre chez les Tyrrhéniens, de-là dans les Gaules & enfuite chez les Samnites, qui à l'Orient & au Septentrion confinent au païs des Latins. Quelque tems après, & un an avant que les Gaulois fiffent irruption dans la Gréce (a), fuffent défaits

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L'Hiftorien Romain eft démenti par deux autres dignes de foi, Juftin & Suetone; celui-ci dit que Drufus emporta de la Gaule, où il commandoit en qualité de Propréteur, tout l'or qui avoit été donné autrefois aux Gaulois, qui affiégeoient le Capitole, & que cet or ne leur fut point arraché par Camille, comme la renommée le publie. Cela eft formel; cependant cette autorité ne paroit pas affez grave à Mr. Dacier pour tenir tête a celle de Tite-Live. Si ce paffage n'eft point d'un poids trébuchant, Juftin le fera pancher tout à fait. Les Ambaffadeurs Romains ayant traité les Etoliens avec beaucoup de hauteur, ceux-ci qui n'étoient pas autrement endurants, fe mocquérent de leurs rodomontades. Ne vous aviez pas de nous menacer, leur dirent-ils, eft-ce qu'il y a quelqu'un fur la terre qui puiffe ignorer que vous n'avez pú conferver votre ville de l'infulte des Gaulois ? Les en avez-vous chaffez les armes à la main, lorsqu'ils en furent les maîtres? Ce ne fut que par votre or que vous la rachetâtes.

Je m'étonne, que parmi un fi grand nombre de Savans anciens, & modernes, perfonne n'ait remarqué le ridicule répandu dans le récit que fait Tite-Live de cette affaire de Camille. Je ne vois rien de plus mal inventé. Camille marche au fecours du Capitole, & entre dans Rome, dont les Gaulois font les maîtres. Il campe dans l'enceinte de fes murs, comme dans une vafte campagne, fans aucune oppofition de la part d'une grande armée qui y loge. Il laiffe là fon armée, monte au Capitole, lui en perfonne, au travers des ennemis. Il arrive dans le tems qu'on pefoit Por. Il s'oppofe à la capitulation, la rompt comme étant faite fans fes ordres, fait remporter cet or. Brennus Général des Gaulois fe plaint & s'emporte contre Camille: ils en viennent aux paro

les.

Les deux Chefs fe retirent, & le Romain tranquillement quoiqu'au milieu, & à la difcrétion de fes ennemis. Ils en viennent aux armes. Il fe donne un grand combat dans Rome même, où deux grandes armées fe trouvent au large. Brennus, qui craint l'événement d'un fecond engagement fe retire à la faveur des ténébres. -Le Général Romain, averti de fa retraite précipitéc, comme s'il en étoit à cent lieues, fe met à fes trouffes. Il le joint & donne la bataille de Gabies. Tite-Live qui fe défie de fa capacité dans le récit de l'ordre & des circonftances d'une ba

.

taille qu'il imagine, faute par deffus, comme il a fait pour le premier combat, de peur de donner dans quelque travers, fans penfer que tout ce qu'il nous a déja débité eft abfurde & digne d'être mocqué. Il nous apprend une des plus grandes victoires que les Romains aient jamais remportée, & nous laiffe là fans la moindre circonftance; cependant la défaite des Gaulois eft fi grande, fi entiere & fi prodigieufe, qu'il ne se fauve d'un maffacre fi effroiable pas même un Gaulois pour en porter la nouvelle aux autres. En vérité c'est trop préfumer de fon éloquence, que de la croire capable de nous perfuader de pareils contes.

(a) Avant que les Gaulois fiffent irruption dans la Gréce, fuffent défaits à Delphes.] Cette invafion des Gaulois eft célébre dans l'Hiftoire. Elle fe fit l'an de Rome 474. Brennus à la tête d'une armée compofée de Tectofages, de Troëmes & de Toliftoboges, tous Gaulois, & qui montoit à 150000. hommes d'infanterie & 20400. chevaux, partit de la Pannonie pour aller ravager la Gréce. Chemin faifant il fe foûmet l'Ionie & l'Illyrie, défait Softhene Roi de Macédoine qui vouloit l'arrêter, & contraint les Macédoniens de fe retirer dans les places fortes & de lui abandonner la campagne. Il prend enfuite la route de Delphes, dans le deffein d'en enlever tous les tréfors. Il ne fe faifoit aucun fcrupule d'y porter la main, quoiqu'ils fuffent confacrez à Apollon. Les richesses, difoit-il en plaifantant, ne font que pour nous autres pauvres mortels, les Dieux n'en ont que faire, accommodons-nous de ce dont ils ne fauroient faire aucun usage. Ils ne demandent que nos vœux

nos prieres, & nullement notre or notre argent, les Prêtres du Temple notre argent plutôt que nos vœux & nos prieres. Après cette dévote harangue, il marche vers les Thermopyles: mais les Grecs y avoient pofté un corps de troupes de 23000. hommes de pied & de 3000. chevaux, commandez par Callipus Général des Athéniens; & pour arrêter les Gaulois au paffage du Sperchio, ils avoient détaché mille foldats armez à la légére avec la plus grande partie de leur cavalerie, pour aller rompre les ponts que les Gaulois avoient conftruits fur cette riviere & fe camper en face de Brennus. Mais ce rufé Capitaine trouva d'abord moyen de fe tirer d'affaire. Dix mille hommes par fon ordre cotoïent la riviere jusqu'à un

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faits à Delphes & fe jettaffent dans l'Afie, les Tarentins craignant que les Romains ne tiraffent vengeance de l'infulte qu'ils avoient faite à leurs Ambassadeurs, appellérent Pyrrhus (a) à leur fecours. Les Romains s'étant foumis les Tyrrhéniens & les Samnites, & aiant gagné plufieurs victoires fur les Gaulois répandus dans l'Italie, ils penférent alors à la conquête du refte de ce païs, qu'ils ne regardoient plus comme étranger, mais comme leur appartenant en propre, au moins pour la plus grande partie. Exercez & aguerris par les combats qu'ils avoient foutenus contre les Samnites & les Gaulois, ils entreprirent Pyr

endroit où elle s'élargit & forme une efpece de lac, la paffent partie à gué, partie fur leurs boucliers, & vont au détachement qui épouvanté fe retire au camp des Thermopyles. Brennus avance de ce côté-là, les Grecs viennent à sa rencontre, la bataille fe donne, & Brennus battu ne trouve de falut que dans une prompte retraite. Sept jours après il tente le paffage du mont Oeta par un fentier étroit qui aboutiflant aux ruines de Trachines, conduifoit à un Temple de Minerve qu'il fe promettoit de piller: mais la garnifon de ce pofte fe défendit fì bien qu'elle fit échouer l'entreprise. Le Gaulois ne fe rebute pas, il tente une diverfion. Il détache 40000. fantaffins & 800. chevaux avec ordre d'aller ravager l'Etolie. Cet ordre s'execute avec barbarie. Les Etoliens qui étoient aux Thermopyles volent au fecours de leur patrie, & défont en effet au moins la moitié du détachement. Pendant ce tems-là Brennus, après avoir donné ordre à Acichorius d'attaquer de front les Grecs, quand après fon paffage il les attaqueroit en queue, paffe dans la Gréce interieure par un fentier que lui montrent les peuples Enians, & auffitôt fond fur les Grecs, qui aflaillis devant & derriere s'embarquent fur les vaiffeaux des Athéniens au port de Lamiac, & laiflent libre aux Gaulois le paflage des Thermopyles. Delà Brennus marche à Delphes avec 65000. kommes d'infanterie. Il falloit brufquer l'attaque: mais dans le confeil de guerre quelques Officiers trop mous furent d'avis que l'on devoit donner aux troupes le loifir de fe refaire, & malheureufement cet avis prévalut, de forte que les Delfiens eurent tout le tems de fe fortifier & de ramaffer du fecours. Les Gaulois fe difpofent à l'attaque de la ville: mais la garnifon compofée de 40co. hommes defcend de la montagne au devant de l'ennemi. On en vient aux mains, & les Gaulois auroient apparemment eu le deffus, fi le Ciel ne s'étoit mis du côté des Delfiens. Un orage terrible, au rapport de Paufanias, accompagné de foudres & d'éclairs, détacha du Parnafle de gros rochers, qui roulant fur les Gaulois jettérent dans l'armée tant de défordre & de confufion, qu'ils furent contraints d'abandonner le champ de bataille. La nuit fuivante une nouvelle fecouffe du Parnaffe acheva de les déconcerter. Ils fe retirent, & dans la marche une terreur panique les

rhus,

faififfant, ils fe battent Gaulois contre Gaulois fans fe reconnoître & font mordre la pouffiere à 10000. hommes. Dix mille autres périrent de de faim & de mifère. Les Etoliens qui fe mirent à leurs trousses en tuérent fix mille. Brennus criblé de bleffures fe fait apporter du vin, s'enivre & meurt. Acichorius mis en fa place repaffe le Sperchio, & arrivé dans la Dardanie il y eft fi maltraité, qu'à peine resta-t-il d'une armée fi nombreuse un feul Gaulois, pour porter à fes compatriotes la trifte nouvelle de leurs malheurs. Ainfi fe termina la fameuse expédition dont parle ici notre Auteur. Ce récit eft fort différent de ce qui fe lit fur cette matiere dans les Hiftoriens modernes. J'en ai l'obligation aux PP. Bénédictins qui impriment une nouvelle Hiftoire du Languedoc, où l'on trouvera ce fait appuié & revêtu de toutes ses cir

conftances.

(a) Appellérent Pyrrhus à leur fecours.] Ce peuple fe brouilla très-imprudemment & trèsmal à propos avec les Romains; il viola le droit des gens à l'égard de leurs Ambaffadeurs par un traitement injurieux & fi fale, dit Florus, qu'il n'eft pas même honnête à rapporter. Les Romains ne manquerent pas d'en tirer raison: mais les Tarentins s'apperçûrent bientôt que la partie n'étoit pas égale. Ils aimérent mieux appeller un Prince étranger à leur fecours que de faire la paix, & le tout à l'inftigation d'une troupe de miférables Demagogues qui vouloient gouverner & qui mirent tout en combustion. Qu'arriva-t-il de tout ce manége? Après une guerre de deux ou trois années, après un nombre de batailles & de combats très-après & très opiniâtres, dont le vainqueur fe trouvoit auffi mal que le vaincu; Pyrrhus fe dégoûta de cette guerre felon fa coûtume: il crut la Sicile plus aifée à conquérir, il y paffa & laiffa là les Tarentins en attendant que l'envie lui reprît d'y revenir & de fe conferver l'entrée de l'Italie. Par-là les Tarentins fe virent obligez de fubir le joug de Rome un peu plutôt qu'ils n'euffent dû s'y attendre: c'eft le fort des petits Etats qui veulent fe mefurer avec de plus puiflants qu'eux; ils deviennent tôt ou tard la proie du victorieux, ou de celui des deux dont ils ont imploré l'affiftan-,

cc.

rhus, le chafférent d'Italie, & défirent enfuite tous ceux qui avoient pris parti pour ce Prince.

Après avoir vaincu leurs ennemis & fubjugué tous les peuples de l'Italie, aux Gaulois près, ils conçurent le deffein d'affiéger les Romains qui étoient alors dans Rhége.

Ces deux villes Meffine & Rhége, toutes deux bâties fur le même détroit, eurent à peu près le même fort. Peu avant le tems dont nous venons de parler, les Campaniens qui étoient à la folde d'Agathoclés, charmez depuis longtems de la beauté & des autres avantages de Mef- Meffine fine, eurent la perfidie de s'en faifir, fous le beau semblant d'y vivre en eft furprife par bonne intelligence avec les citoiens. Ils y entrérent comme amis: mais les Camils n'y furent pas plûtôt, qu'ils chafférent les uns, maffacrérent les au- paniens. tres, prirent les femmes & les enfans de ces malheureux, felon que le hazard les fit alors tomber entre leurs mains, & partagérent entre eux ce qu'il y avoit de richeffes dans la ville & dans le païs.

4000.

Peu après, leur trahison trouva des imitateurs. L'irruption de Pyr- & Rhége rhus en Italie & les forces qu'avoient fur mer les Carthaginois, aiant par jetté la crainte & l'épouvante parmi les Rhéginois, ils implorérent la Roprotection & le fecours des Romains. Ceux-ci vinrent au nombre de mains. quatre mille fous la conduite de Décius Campanus. Pendant quelque tems ils gardérent fidélement la ville: mais éblouis de fes agrémens & des richeffes des citoiens, ils firent alliance avec eux, comme avoient fait les Campaniens avec les Meflinois, chafférent une partie des habitans, égorgérent l'autre, & fe rendirent maîtres de la ville.

cette tra

hifon.

Les Romains furent très fenfibles à cette perfidie. Ils ne purent y Rome apporter de reméde fur le champ, occupez qu'ils étoient aux guerres punit dont nous avons parlé: mais dès qu'ils les eurent terminées, ils mirent le fiége devant Rhége. La ville fut prise, on paffa au fil de l'épée le plus grand nombre de ces traîtres, qui prévoiant ce qui devoit leur arriver fe défendirent avec furie. Le reffe qui montoit à plus de 300. pris prifonnier & envoié à Rome, y fut conduit fur le marché par les Préteurs, battu de verges & mis à mort : éxemple de punition que les Romains crurent néceffaire pour rétablir chez leurs alliez la bonne opinion de leur foi. On rendit auffi aux Rhéginois leur païs & leur ville. Pour les Mamertins, c'eft-à-dire les peuples de la Campanie, qui s'étoient donné ce nom après avoir furpris Meffine, tant qu'ils furent joints avec les Romains qui avoient envahi Rhége, non feulement ils demeurérent tranquilles poffeffeurs de leur ville & de leur païs, mais ils inquiétérent fort les Carthaginois & les Syracufains pour les terres voisines, & obligérent une grande partie de la Sicile à leur paier tribut: mais ceux qui tenoient Rhége n'eurent pas été plutôt affiégez, que les chofes changérent de face. Car privez de leur fecours, ils furent eux-mêmes repouffez & renfermez dans leur ville par les Syracufains pour les raifons que je vais dire.

Tom. I.

B

La

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Com

ment

d'Hié

ron.

La diffenfion s'étant mife entre les citoiens de Syracufe & leurs mence- troupes, celles-ci s'arrêtant autour de Margane, élurent pour chefs Artémidore & Hiéron, qui dans la fuite les gouverna. Le dernier étoit alors fort jeune à la vérité, mais d'une prudence & d'une maturité qui annonçoit un grand Roi. Honoré du commandement, il entra dans la ville par le moien de quelques amis, & maître de ces gens qui ne cherchoient qu'à brouiller, il fe conduifit avec tant de douceur & de grandeur d'ame, que les Syracufains, quoique mécontens de la liberté que s'étoient donné les foldats, ne laifférent pas de le faire Préteur d'un consentement unanime. Dès fes premiéres démarches, il fut aifé de juger que ce Préteur afpiroit à quelque chofe de plus qu'à cette charge. En effet voyant qu'à peine les troupes étoient forties de la ville, que Syracufe étoit troublée par des efprits féditieux & amateurs de la nouveauté, & que Leptinés diftingué par fon crédit & fa probité avoit pour lui tout le peuple, il époufa fa fille, dans le deffein d'avoir toujours dans la ville par cette alliance un homme fur lequel il pût compter, lorfqu'il feroit obligé de marcher à la tête des armées. Pour fe défaire enfuite (a) des vétérans étrangers, efprits remuants & mal

(a) Pour fe défaire enfuite des vétérans étrangers.] De la corruption des moeurs au mépris des loix militaires, il n'y a qu'un pas à faire; & lorfque les châtimens ne fuivent pas de près les fautes de cette nature, on paffe bientôt à l'infolence qui s'accroît par l'impunité, d'où nait l'efprit de faction & de révolte. Cela va par dégrez. Lorfqu'un corps de mutins s'eft déclaré par quelque coup d'éclat, c'eft un mal fans remede, non dans un peuple corrompu & factieux dont les interêts font divifez & qui ne va pas du même branle, mais dans une milice corrompuë; & fi on le remarque bien, le mal commence toujours par les Officiers dont la négligence, la débauche & le luxe font les plus grands maux d'un Etat. Les foldats qui voient de telles gens à leur tête les méprifent; la défobéiflance eft une fuite de ce mépris, & les révoltes fuivent la défobéiflance. Le fupplice de quelques-uns des plus mutins n'eft d'aucun effet parmi un fi grand nombre de coupables. Hiéron comprit bien aifement qu'il n'en feroit jamais le maître, qu'ils étoient trop bien unis, & que le châtiment des plus coupables ne manqueroit pas d'irriter le refte.

Il n'ignoroit pas que les foldats n'avoient aucun droit à l'élection des Magiftrats, & qu'aiant été affez hardis pour s'arroger un pouvoir qui ne leur appartenoit pas, il n'y auroit rien dont ils ne fuffent capables, fi quelqu'autre auffi am bitieux que lui, s'avifoit d'employer les mêmes moiens de corruption pour fe faire élire & fe mettre en fa place. Cela lui parut de telle importance & pour les intérêts & pour ceux de la

inten

République, qu'il réfolut d'exterminer cette milice factieufe, dont la licence & l'efprit de rébellion ne pouvoit que corrompre les autres & les porter à prêter l'oreille à de plus grands changemens. Il en vint à bout par fon efprit & par fon adreffe: éxemple qui eût dû fervir de leçon aux Empereurs Romains pour les garentir des Cohortes Prétoriennes, lorfqu'ils s'apperçûrent que la difcipline militaire fe relâchoit par la licen-ce de Rome; au lieu qu'ils augmentérent le mal pour en avoir négligé le remede, foit par la crainte de remuer les efprits par une trop grande févérité, ou qu'en les rappellant à l'obfervation des loix militaires & à leur ancienne vertu, l'horreur de tant de crimes & leur tirannie ne les portaffent à fe defaire de tels maîtres, pour en délivrer Rome & le genre humain. Il falloit à ces mon-ftres des gens qui les imitaffent dans leurs vices. C'eût été une espece de miracle qu'un corps de troupes qui ne bougeoit d'une capitale, pût fe conferver pur au milieu d'une cour diffolue. Ce corps devint en peu de tems le réceptacle & l'azile d'une foule de fcélérats, de traîtres, de voleurs & d'affaffins. Ils portérent fi loin leur audace qu'ils égorgeoient leurs Empereurs pour en mettre d'autres en leur place, la plupart auffi lâches, auffi cruels & plus diffolus que leurs fol-dats. Ce qu'il y a de plus étrange, c'eft qu'après la mort de Sévére, ceux qui l'avoient égorgé, mirent l'Empire à l'encan & firent crier du haut du rempart de leur camp que l'Empire Romain étoit à vendre au plus offrant, & il trouva un acheteur, qui fut enfuite traité comme les autres. Rien n'étoit plus aifé que de s'en débaraffer. On:

cût

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