ces, lan, en eft une bonne preuve. Ce Capitaine brave & réfolu, fe trouvant engagé en rafe campagne contre dix-huit mille Suiffes, tous piquiers, s'en alla au-devant, quoiqu'il n'eût que fix mille chevaux & quelque infanterie à lui oppofer. Le choc fut rude, & Carmignole rompu & mis en fuite. Cet homme déterminé ne fe découragea point, la honte lui fervit d'aiguillon pour avoir fa revanche tout fur le champ. Il rallie fa cavalerie & revient à la charge; mais lorsqu'il se vit à une certaine distance de l'ennemi, il fait mettre pied à terre à fes gens-d'armes, qui étoient armez de toutes pié& fond fur l'ennemi ferré & en bon ordre. Il en vient aux mains, s'ouvre un paffage à travers cette forêt de piques, en gagne le fort, & ces piques deviennent inutiles & fans effet à caufe de leur trop grande longueur; les Suiffes font enfoncez, la tuerie fut d'autant plus affreufe, que les foldats des premiers rangs étant rompus, les autres dont les piques étoient à demi baiffées, ne pouvoient les préfenter à l'ennemi, qui les ferroit de trop près: ce qu'il y avoit de plus fâcheux & de plus trifte, c'eft que les rangs qui reftoient encore en entier preffoient en reculant ceux qui étoient derriére, & ceux-ci par un courage mal entendu pouffoient les autres qui les précédoient: de forte que le preffement réciproque des rangs & des files leur ôta le moien de mettre l'épée à la main, au lieu qu'ils euffent dû les lâcher. Le carnage fut tel, qu'il ne s'en eft guéres vû de pareil : de toute cette armée il ne refta que trois mille hommes, qui mirent armes bas; le reste fut étendu mort fur le champ de bataille. Cet éxemple, qui eft très-remarquable, eft une preuve de l'afcendant que l'audace & l'habileté ont fur le nombre, & l'avantage d'une arme fur l'autre. Cette action de Carmignole démontre évidemment la foibleffe d'un corps de piques, & prouve en même tems que la trop grande longueur d'une arme eft un défaut trèseffentiel, comme je le fais aflez voir dans mon Traité manufcrit des armes blanches-; c'est ce qui m'a fait préférer la pertuifanne à la pique. J'ai lû dans les Mémoires de Villars, qui eft un Auteur eftimable, & qui écrit plutôt les actions du Maréchal de Briffac, un des plus grands Capitaines de fon fiécle, que l'Hiftoire de fon tems; j'ai lû, dis-je, dans cet Auteur, un éxemple d'intelligence militaire qui me furprend, & qui m'en donne une grande idée, pour ne pas dire qu'il la remplit entiérement. Je n'ai garde de laiffer échaper un morceau de cette nature, vais le donner tel que je l'ai lû. " je que Je ne veux à ce propos oublier de représenter ici une nouvelle forte de combat le Maréchal avoit inventée, pour s'en fervir le jour de la bataille. Mais en premier ‚, lieu, dit-il, ” il faut fçavoir que Santia eft fitué en une grande campagne traversée de long en long, & jufqu'au-delà de la ville, d'un profond ruiffeau, large de fept à ,, huit pieds, duquel les ennemis avoient détourné l'eau. Le Maréchal donc, qui l'avoit piéça fort curieusement reconnu, à la même intention qui fe préfentoit lors, avoit délibéré de marcher avec l'armée tout le long de ce ruiffeau, qu'il farciroit d'ar,, quebuziers: & que d'autre côté il couvriroit l'armée par les flancs avec quarante chariots armez, chargez de vivres, chacun d'eux accompagnez de deux facres & dix arquebuziers, qui fortiroient & fe retireroient par les intervalles qu'il y auroit d'un chariot à l'autre. En tête d'un chacun bataillon, il y devoit avoir, au derriére des deux premiers rangs de piquiers, cent fort réfolus foldats, aiant chacun un bouclier & ,, une épée courte & large de quatre doigts, & bien affilée, avec commandement qu'en même tems que les bataillons s'entrechoqueroient avec les piquiers, de fe courber par deffous les nôtres; & ainfi courbez, fe jetter dans les jambes des ennemis, & leur tailler force jarretiéres rouges, eftimant que ce feroit une éxécution & une forme nouvelle de combat, qui donneroit grand avantage aux nôtres & le contraire aux » ennemis, lefquels étant inveftis ne pourroient laiffer les piques à leur défense. " " " n ij Sur Sur ce que j'ai dit plus haut du corps des piques, on comprendra ailément que l'invention de cet excellent Chef de guerre étoit très-bien imaginée, & d'un homme fçavant & profond dans l'infanterie, & qu'elle eft auffi très-facile dans l'éxécution, puifqu'il y en a même des éxemples. Ce que fit Fabien, Officier du régiment de Jacob, à la bataille de Ravenne, gagnée par Gafton de Foix, eft une action des plus hardies dont on ait jamais ouï parler. Cet Officier, un des plus grands & des plus forts hommes qu'il y eût en Europe, dit le Pére Daniel, fauta au milieu des ennemis, & prenant par le travers une longue pique qu'il tenoit, la baiffa avec tant de force (a) fur celles des piquiers Espagnols, au milieu defquels il étoit, qu'il donna le tems à ceux qui le fuivoient de fe jetter fur eux par cet efpace; c'est-à-dire que les piques fe trouvant baiffées, & les fers contre terre, les Efpagnols ne pûrent les relever pour les préfenter à ceux qui venoient après, qui les mirent fous les pieds, & fe jettérent fur les piquiers. C'eft ce que l'Hiftorien veut dire. C'eût été un miracle, fi celui qui fit un coup fi déterminé, n'y eût pas laiffé la vie. Si les piques des Efpagnols n'avoient pas été de la longueur ordinaire, ce brave Officier n'eût jamais penfé à une action fi hardie. Il y a certaine proportion dans les armes blanches qui en fait le fort ou le foible, particuliérement dans la pique. Je m'imagine qu'il n'y en a pas de plus parfaite & de plus avantageufe que celle que je propofe. Il eft certain qu'une arme qui paffe douze pieds dans fa longueur ne vaut rien. Elle eft fans force, fans action & fort embarraffante,elle péfe à la main par la raifon du levier : fes coups étant moins vifs & moins redoublez, on gagne aifément le fort des premiéres celles du fecond rang font encore moins à craindre, & les autres prefque immobiles; mes pertuifannes font plus courtes, & par conféquent plus fortes & plus aifées à manier, & les coups plus affûrez: il n'y moien d'y parer, ni de s'en garantir. Qu'on ait retranché cette arme par les confeils de il n'y a pas la multitude, cela ne me furprend point, la baionette pouvoit faire illufion pour un tems: mais qu'on continue dans cette erreur, voilà ce que je trouve de fort étrange. : (a) Je ne crois pas qu'il foit befoin d'une force fi extraordinaire pour faire ce que Fabien fit. Il faut que ne point ignorer ce que c'est que levier. Un enfant en feroit tout autant l'extraordinaire fe trouve feulement dans la hardieffe & dans l'intrépidité de cet Officier. Le plus grand hom-me de l'Europe eft fans doute un géant, & Fabien n'étoit pas un géant. L'Hiftorien eût pû emploier un autre terme qui donnât une idée un peu moins coloffale. Fin du Traité de la Colonne. TABLE C DES CHAPITRES Du Traité de la Colonne. P. 1. HAPITRE PREMIER. Inconvéniens de notre tactique. Quel- CHAP. II. De la Colonne, & de fes parties. Ce qu'on entend par cet ordre, & cette maniére de combattre. Ses avantages fur le quarré à CHAP. III. De l'ordre quadrangulaire oppofé à la Colonne. Analyfe battre. p. lxvj. CHAP. VII. Commandemens & maniére dont on croit que les Anciens formoient le Coin; s'il est vrai qu'il fût de figure triangulaire. CHAP. VIII. Raisons qui autorisent la Colonne, & les avantages de cette maniére de combattre. CHAP. IX. Autoritez & éxemples de la Colonne. CHAP. X. Suite du même fujet. Batailles de Leuctres & de Man- p. lxxvj. CHAP. XII. Des armes de l'infanterie. La pique en devroit être in- p. xcvj. DES CHAPIT RES ET OBSERVATIONS Contenus dans ce premier Tome. mains. Rome punit cette derniére trahifon. Les Campaniens on Mamertins battus par Hiéron Préteur de Syracuse, implorent le fecours des Romains, & l'obtiennent, quoique coupables de la même perfidie que les Rhéginois. Défaite des Syracusains & des Carthaginois. Retraite de Hiéron, OBSERVATIONS fur les deux combats de Meffine, S. I. Raifons de la premiére guerre des Romains contre les Carthaginois, §. IV. Paralléle de la neutralité que firent les Vénitiens en 1701. entre les Impériaux & les François avec celle de Hieron. Il est plus avantageux de fe déclarer que de de- CHAP. II. Matiére des deux premiers Livres qui fervent comme de préambule à 'Hiftoire de Polybe. Jugement que cet Hiftorien porte de Philinus & de Fabins, 30. CHAP III. M. Otacilius & M. Valerius Confuls, font alliance avec Hiéron. Prépa- ratifs des Carthaginois. Siége d'Agrigente. Premier combat d'Agrigente. Second §. IV. Embarras reciproque des Romains & des Carthaginois devant Agrigente. Im- portance de bien munir les places. Conduite que l'on doit tenir quand les munitions manquent Faute commife au fiége de Tournai, §. V. Ordre de bataille des Romains & des Carthaginois devant Agrigente. Le terrain §. VII. Blocus d'Agrigente. Il eft plus prudent de bloquer que d'affiéger en forme les villes d'une grande étendue. Quand les lignes font menacées, fouvent le plus für CHAP. IV. Les Romains fe mettent en mer pour la première fois. Maniére dont ils s'y prirent. Imprudence de Cn. Cornelius & d'Annibal. Corbeau de C. Duillius. Ba- taille de Mile. Petit exploit & mort d'Amilcar. Siéges de quelques villes de Sici- 78. §. IV. Le Dauphin. Le Corbeau démolisseur. Le Loup. Le Corbeau à griffes. 74. V. Corbeau à tenaille dont on fe fervoit pour accrocher & attirer le belier. Cor beau double pour en abaisser la tête & en rompre le coup. Corbeau des Tyriens, 75. §. VI. Corbeaux à laqs courans, & à pinces. Tellenon, S. VII. Le Polyfpafte & le Corbeau d'Archimède, CHAP. V. Echec réciproque des Romains & des Carthaginois. Bataille d'Ecnome. Ordonnance des Romains & des Carthaginois. Choc, & victoire des Romains, 84. ibid. ibid. CHAP VI. Les Romains paffent en Afrique, affiégent Afpis, & défolent la campa- §. III. Surprise du camp des Carthaginois par les Romains. Exemple de pareille furprife dans la guerre d' Alexandrie. Plus de gloire à entreprendre deux chofes, quand on §. V. Faute des Généraux Carthaginois. Il ne faut approcher d'une place affiégée que dans le deffein de la délivrer par quelque action de vigueur. Secours de Douay, 119. §. VI. Entreprises des camps. Qualitez néceffaires dans un Général pour ces fortes d'ac- S.. |