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Com te

bourg,

tre pour fe défendre; ne faut-il pas que le plus fort ou le plus brave l'emporte fur l'autre? Qu'on faffe l'analyse des batailles de nos jours du plus grand éclat, du moins du plus grand nombre; mais qu'on la faffe en connoiffeur, on verra fans furprise, que le hazard, le nombre ou la valeur plutôt que la fcience y ont eu la meilleure part.

Qu'ils ne fe choquent donc pas fi nous voions clair, fi nous parlons comme nous voions, & fi nous ofons décider nettement & fans rien craindre fur ce que nous voions & fur ce que nous touchons. Qu'il nous foit permis de nous fervir de nos connoiffances, d'en faire l'ufage qu'il nous plaît d'en faire, & d'apprendre aux autres ce que nous découvrons; il nous femble que ces fortes d'occupations font fort innocentes, qu'ils ne nous condamnent pas fi, fans avoir plus d'efprit qu'eux, nous éxerçons ce que nous en avons fur des matiéres aufquelles ils ne fe font pas appliquez, parce que leur attention eft trop partagée, & qu'ils font trop occupez de leurs plaisirs & de leur fortune.

Mais comme il n'y a perfonne d'infaillible en ce monde, & qu'il fe peut que nous nous foions mépris faute d'attention; nous prions nos Lecteurs d'y prendre bien garde, & d'éxaminer fans préoccupation fi nous ne nous fommes point trompez & contredits quelque part, & de me rien croire, comme dit Descartes, que ce que l'évidence oblige de

croire.

Si l'on compare la maniére dont je m'y fuis pris pour découvrir tant de véritez perdues par l'ignorance des tems avec nos pratiques d'aujourd'hui, je ne croirai pas avoir rendu un petit fervice à ceux de notre profeffion & à la patrie, comme difoit Caton de fes Ecrits militaires. Un des plus profonds & des plus habiles Guerriers de l'Europe, fade Schu- meux par tant de belles actions qui embraffent prefque toutes les parties lem- de la guerre, m'a fait l'honneur de m'écrire depuis peu touchant mon Genera- Livre des Nouvelles Découvertes fur la Guerre, & fur celui-ci. . J'aurois fouhaité, me dit-il dans fa lettre écrite d'Hannover, de terre », que mes affaires m'euffent permis de m'en retourner par la France » pour m'entretenir avec vous, Mr. Il est à fouhaiter que votre Commentaire fur Polybe, & votre nouveau Systême de difcipline militaitaire & de tactique paroiffent bientôt, comme vous le promettez. Je le répéte encore, j'aurois fouhaité tout au monde pour avoir aujourd'hui un tel Ouvrage. Tous les gens de guerre, & fur tout ceux » qui ont affez de connoiffance pour en profiter, ne fauroient affez

hades armées

de la Ré

pub. de

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Venife. "

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30 vous en remercier.

Je n'ai pas eu d'autre deffein dans cet Ouvrage, que de mériter un tel remerciment: j'ofe m'y attendre en quelque façon. C'est toute la récompenfe que je demande d'une fcience dont l'objet eft fi grand & fi noble. Je n'ai eu d'autre deffein, dis-je, que de perfectionner cette fcience autant qu'il a dépendu de moi, & de découvrir nos erreurs, fans:

rien craindre, encore une fois, & fans trop me mettre en peine des plaintes de ceux qui font les plus ardents à les foutenir.

Je conviens avec le Pére Malebranche, qu'il n'y a rien de plus rare que de trouver des perfonnes capables de faire de nouveaux Systêmes dans les Sciences: cependant, dit-il, il n'est pas fort rare de trouver des gens qui s'en foient formez quelqu'un à leur fantaisie. Mais de grace de quoi s'agit-il? D'un Système général de science militaire, dira-t-on, dont jufqu'ici perfonne ne s'étoit encore avifé, qui combat toutes les pratiques généralement fuivies de tout ce qu'il y a de grands Capitaines depuis près de deux fiécles; cela eft férieux: mais je demande à ceux qui fe fcandalifent de ma conduite & de ma hardieffe, fi depuis ce tems-là on n'a rien changé dans notre méthode, même dans les plus grandes parties de la guerre, & fi l'on n'a pas abandonné certains ufages pour en prendre de tout nouveaux ? L'on n'en difconviendra pas peut-être: puifque chaque guerre a produit quelques nouveautez bonnes ou mauvaises, & particuliérement dans la tactique. Qu'on ne dife pas que ces altérations & ces changemens étoient de peu d'importance, & qu'elles ne confiftoient que dans des moiens de perfection qui ne changeoient en rien le fond des chofes, & qui ne tendoient qu'à les rendre plus éxactes & plus fûres dans leurs opérations.

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Nous favons parfaitement le contraire par les Auteurs militaires, & par les Hiftoriens qui ont écrit depuis plus de deux fiécles; c'est là qu'on voit les méthodes différentes, les plans gravez, les ordres de ba tailles, & les diverfes pratiques dans l'art de fe ranger & de combattre: & ce qui prouve manifeftement combien nous étions peu verfez dans la tactique, & combien on en reconnoiffoit le faux & l'abfurde c'eft qu'on revenoit fouvent aux mêmes usages qu'on avoit abandonnez; on les quittoit enfuite pour d'autres qui ne valoient guéres mieux.

Il n'y a guéres plus d'un fiécle & demi que la cavalerie combattoit fur un feul rang; celui qui propofa cette méthode, dont la Noue se moque, n'étoit-il pas fou? Et ceux qui la reçûrent étoient-ils plus fages? Il eft pourtant certain qu'avant ce tems-là on combattoit par escadrons, on reprit ces efcadrons, mais fi gros & fi profonds qu'on les auroit pris pour ceux des anciens Perfes. On fe fouvint que les Grecs & les Romains les faifoient plus petits, parce que le propre de la cavalerie eft l'action & la célérité de fes manoeuvres, que les mouvemens graves ne conviennent pas à cette forte d'arme, & que les flancs font fi foibles qu'il n'y a rien de plus aifé à une petite troupe que d'en battre une très-groffe, fi celle-ci s'avife de laiffer le front, & de s'abandonner fubitement fur le flanc.

Henri IV. fentit bien ce défaut, il fit fes efcadrons plus petits, & en diminua la profondeur; & bien qu'ils fuffent meilleurs, ils ne laiffoient pas que d'être trop gros. Guftave-Adolphe, qui paffe pour plus grand Maître que Henri IV. c'eft beaucoup dire, changea tout dans la ca

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valerie & dans l'infanterie, & s'en trouva bien. Voilà l'époque des petits efcadrons chez les Modernes, mais non pas celle des pelotons que Guftave inferoit parmi fa cavalerie; elle fe trouve à la bataille de Pavie fous le régne de François I.

A l'égard de l'infanterie, elle étoit très-mal rangée. J'y remarque une infinité de changemens & d'ordres tous bizarres & tous mauvais; lorfqu'on s'avifa un peu tard, c'est-à-dire sous le même Gustave de fuivre la méthode Romaine fur deux lignes & une réserve, les bataillons en quinconce; le Prince Maurice l'avoit pratiquée avant ce grand Capitaine, mais avec moins de perfection. On remarquera pourtant que ces deux grands hommes combattirent toujours fur dix & fur douze de hauteur à leur infanterie, & bien qu'ils euffent deux tiers de Moufquetaires dans chaque corps, bien loin de s'amufer à tirailler fans s'aborder felon la ridicule méthode d'aujourd'hui, ils en venoient tout auffi-tôt aux mains fans autre cérémonie, & nous faifons tout le contraire dans la maniére de nous ranger comme dans celle de combattre. Ce qu'il y a de plus fâcheux dans une méthode fi timide, c'eft qu'une difpofition quelque bonne qu'elle puiffe être, eft tout comme rien, puifqu'aucun des partis n'en vient aux prifes, fi les Henris, fi les Gustaves, fi les Turennes, fi les Condez & les Luxembourgs levoient la tête hors de leurs tombeaux, ne fe moqueroient-ils pas de nous?

Une méthode fi bizarre dans la maniére de ranger & de faire combattre nos bataillons, eft tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais & de plus meurtrier: & l'on trouve étrange que je n'y applaudiffe pas. Il faut donc fe conduire en toutes chofes non par la voie de l'éxamen, mais par celle de la coûtume & de l'autorité. Si cet éxamen nous eft interdit, où en fommes-nous? Sur cela j'ai à citer un paffage de Montagne: Qui voudra fe défaire, dit-il, de ce violent préjugé de la coùtume, il trouvera plufieurs chofes reçues, qui n'ont d'autre appui que la barbe chenue & les rides de l'ufage qui les accompagne: mais ce mafque arraché, rapportant les chofes à la raison, il fentira fon jugement tout bouleverse, & remis pourtant à plus fûr état.

Si je propofe des loix & une méthode de combattre toute nouvelle, je ne les tire pas toutes de ma tête; elles ont été en vigueur autrefois : elles ne font donc pas nouvelles, ce n'eft donc qu'un retour aux anciennes, à quelque chofe près.

Je ne cherche point à ruiner nos inftitutions les plus admirables, les plus belles, les plus sages & les plus utiles à l'Etat, aux peuples & aux troupes. Par exemple, on ne me verra pas proposer la fuppreffion des Etapes, qui étoient une invention Romaine, & des Hôpitaux, comme on a fait, malgré les oppofitions des gens fages. Franchement ce n'est point difcerner ce qui vaut la peine d'être réformé d'avec ce qui n'en eft pas digne. Les Princes les plus éclairez font fouvent furpris faute d'attention. C'est de ces fortes de changemens dangereux qui portent

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fur la ruine des peuples & des troupes, dont on doit fe plaindre, & revenir le plus promptement qu'il eft poffible aux anciens ufages; ce font ceux-là qu'on doit conserver bien loin de les anéantir. Tout ce que je propofe tend uniquement au bien de l'Etat & de la Milice. Il ne s'agit pas ici d'antiquité, ni de nouveauté, mais d'éxaminer fi nos fentimens font vrais & fufceptibles de démonstration, & fi ceux qui en fuivent de tout contraires font dans l'erreur ou dans leur bon fens. Si les coûtumes reçûes font pernicieuses, dit un Auteur, il ne faut pas fe récrier lorfqu'on le fait voir; & fi les opinions nouvelles font droites & juftes, faut-il s'opiniâtrer à conferver les premiéres pour rejetter les autres, qui font une fource de falut?

On n'allégue pas feulement l'argument de la nouveauté & de la fingularité; mais on nous demande encore, fi nous en favons plus, fi nous avons plus d'esprit & de difcernement que tant de grands Hommes, que tant d'habiles Ecrivains, Rois, Princes, Généraux d'armées, & tant d'autres qui ont traité de la science des armes, parmi lesquels les Anciens fe font diftinguez; qu'on ne remarque rien dans ceux-ci de mes principes & de ma méthode, ni prefque rien à cet égard de ce que j'ai traité dans mon Livre des Nouvelles Découvertes, peut-être moins encore dans ce grand Ouvrage. Cependant, difent-ils, on doit regarder ces Auteurs tant anciens que modernes comme des gens qu'il faut croire, du moins ceux qui ont écrit depuis vingt-cinq à trente ans jusqu'à celui où nous vivons, & ces gens-là font en très-grand nombre. J'en appelle à la raifon, qui eft le juge commun entre ces grands Hommes & tous les autres hommes. Ils favoient beaucoup en ce tems-là, mais ils ignoroient ce que nous favons en celui-ci. En tout cas nous imitons les grands Capitaines, contre lefquels le nombre n'est d'aucune confidération. La vérité perdroit bientôt sa cause, si elle étoit décidée à la pluralité des voix.

D'ailleurs ce qui nous refte des Auteurs dogmatiques de l'antiquité, fe réduit prefque à quatre Abréviateurs, mais habiles & judicieux. A l'égard des autres, qui formeroient une jufte Bibliothéque, outre qu'ils ne font pas moins Abréviateurs, les preuves de leur peu de capacité se tirent manifeftement de leurs Livres; les meilleurs, car ils ne font pas tous mauvais, ont prefque tout tiré de Végéce. D'ailleurs, qui en a lû un peut fe vanter de les avoir tous lûs; en un mot ce font des gens dont les derniers ne font que copier les premiers, au ftile & à la bigarrure près. Le meilleur de tous, & dont je fais un très-grand cas, je l'admire même quoique très-abrégé, eft fans doute Montécuculi, qu'il feroit à fouhaiter que l'on lút & que l'on méditât plus qu'on ne fait.

Lorfqu'il s'agit de rejetter certains fentimens, il faut auparavant fe mettre à l'efprit, que le difcernement du vrai & du faux étant une chofe fort difficile, on doit aller la bride un peu haute avant

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que de décider, fur tout fi l'on n'est pas plus éclairé fur l'un que fur l'autre. Lorfqu'on n'eft pas habile, le meilleur & le plus prudent eft de ne pas décider fur les opinions d'autrui fans donner des preuves, ou éxaminer les matiéres. Jufques ici beaucoup de Décideurs se font présentez, mais aucun n'a donné des preuves. On n'a oppofé que la nouveauté, & la prescription des ufages communément reçus, tant les préjugez ont de force & de pouvoir. Le croira-t-on, que malgré la folidité de mes raisons appuiées fur des faits d'expérience les plus remarquables, enfin fur des démonftrations les plus fûres, on craint encore, au moins le gros des Officiers Généraux, comme les autres qui ne le font pas, que la fcience du Général d'armée dans fes principales parties ne foit incertaine & peu fûre, & qu'il n'y ait pas trop à s'y fier. On le craint avec raifon de la routine, mais on peut fe fier à la science dont nous avons à traiter dans cet Ouvrage. Les principes de celles-ci font certains, fimples, & démontrez par la raison & par l'expérience.

Cette fimplicité & cette évidence ne me laiffent aucun lieu de douter, que le tems & la guerre feront peu à peu abandonner les principes méchaniques dont nous fommes fi fort entêtez: fi quelqu'un qui ne le fera pas, fans avoir égard à l'Auteur de ces nouveautez, mais feulement aux véritez qu'il démontre, les met une fois en pratique; c'est là le vrai moien de la décision. Ne doutons pas un feul inftant que cela n'arrive. Je ne fuis pas même encore fi vieux, que je ne puiffe espérer de dire, fur la nouvelle de quelque victoire remportée par ma Colonne, que femblable à la pierre à aiguiser, fans couper moi-même, je fers à faire couper.

Fungor vice cotis, acutum

Reddere que ferrum valet, exfors ipfa fecandi.

Je n'ofe rien dire ici des fecours que j'ai trouvez, pour tout ce qui ne regarde pas la Guerre, chez mes Voifins & mes bons Amis les Bénédictins. Ils ont eu trop de peine à me pardonner la juftice que j'avois rendue à leur Congrégation dans mes Nouvelles Découvertes. Je me garderai bien déformais de me commettre avec leur modeftie. Mais Dom Thuillier & Dom le Seur, fon Camarade d'étude, dûffent-ils gronder, je ne puis m'empêcher de reconnoître, qu'ils ont fait pour moi, je ne dis pas beaucoup car ils ne me pafferoient pas cette vérité; mais tout ce que je pouvois attendre & de leur amitié, & de leur zéle pour le progrès, l'avancement & la perfection des Sciences.

J'oubliois d'avertir qu'aux pages 194. & fuivantes de ce volume, dans la Note, il m'eft échapé de faire une cenfure des mots d'intrépide & d'intrepidité, qui, toutes réfléxions faites, m'a paru, mais trop tard, un peu trop févére. Je m'étois mis en tête que l'homme intrépide

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