Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mât auffi aux Ptolémées, puifque ces Princes ne demandoient que mille piétons & deux cens chevaux; qu'une fi petite diversion ne diminueroit pas beaucoup les forces, puifqu'elle étoit en état de mettre fur pied trente ou quarante mille hommes: Polybe, disje, aiant parlé de la forte, le plus grand nombre fut d'avis que l'on envoiât du fecours aux Rois d'Egypte contre Antiochus, avec qui ils étoient en guerre ; & malgré les oppofitions que fit Callicrates le troifiéme jour, où fe devoit dreffer le Decret, cet avis alloit l'emporter, lorfque ce Général fit entrer dans le théâtre un Courrier, comme envoié par Marcius, avec des lettres, où le Conful exhortoit les Achéens de s'entremet- Id. p. tre pour ménager la paix entre les Ptolémées & Antiochus, ce qui étoit justement le fyftême que Callicrates avoit propofé dans le Confeil, & que Lycortas avoit combattu par des raifons fans replique.

Polybe alors voiant les deux Rois abandonnez, & n'ofant contredire les lettres, qu'il croioit venir de Marcius, fe démit entiérement du gouvernement des affaires. Je crains que les bons politiques ne pardonnent pas aifément ce dépit à Polybe. Il favoit de quoi Callicrates étoit capable; la mémoire de fon Ambaffade à Rome étoit encore toute re

il ne falloit pas ce femble être fort pénétrant pour foupçonner que les lettres qu'il montroit étoient feintes. Avoit-il oublié, ce qu'il rapporte lui-même dans fon premier Livre, que Mathos & Spendius avoient emploié le même artifice, pour affermir les révoltez d'Afrique dans leur rébellion? D'ailleurs les fecours que les Rois d'Egypte demandoient, faifoient une fi petite diftraction des forces de la République, qu'il n'étoit guéres probable que les Romains s'en offenfaffent. En tout cas il femble qu'un Magiftrat qui avoit jufqu'alors témoigné tant de fermeté, devoit plutôt s'expofer à tout leur reffentiment, que de laiffer fa patrie entre les mains d'un traître, qui leur étoit entiérement dévoué.

Les Ambaffadeurs des Ptolémées, fruftrez de leurs efpérances, montrérent au Confeil des lettres de leurs Maîtres, par lesquelles ces deux Rois demandoient qu'on leur accordât du moins Lycortas & Polybe; ce qui felon toutes les apparences ne leur fut pas refufé. Callicrates loin de s'y oppofer, fut fans doute ravi de fe débarraffer de deux hommes, qu'il trouvoit toujours en fon chemin, lorsqu'il vouloit trahir les intérêts & la liberté de fa République.

12724

Après la défaite de Perfée par Lucius Emilius, Callicrates s'avifa d'un autre ftratagême pour achever de décrier auprès des Romains ceux qu'il n'avoit pû réduire à fes fentimens. Non content d'avoir éloigné les Achéens de toute liaison avec le Roi de Macédoine, dans le tems que joints avec ce Prince ils euffent pû tenir tête aux Romains, & fixer peut-être des bornes à leurs conquêtes, il eut l'audace, quand il vit ceux-ci maîtres de la Macédoine, de leur déférer nommément tous ceux qu'il foupçonnoit avoir eu du panchant à fecourir Perfée. Sur cette dénonciation, il fut conclu que l'on écriroit aux Achéens d'envoier à Rome tous ceux qui étoient fufpects d'avoir été favorables au Roi de Macédoine, & deux des dix Députez, qui étoient partis de Rome pour régler les affaires de ce Roiaume, favoir C. Claudius & Cn. Domitius Enobarbus, al- Id. p lérent dans l'Achaïe, tant dans la crainte que les Achéens ne refufaffent de fe foumettre 1275aux lettres, qui leur avoient été écrites, & que Callicrates ne fût puni des calomnies qu'il avoit répandues contre les principaux de la République, que parce que dans les lettres, qui s'étoient rencontrées parmi les papiers de Perfée, on n'avoit rien trouvé de convaincant contre les Achéens dénoncez. Mais il y avoit trop longtems que l'on a- Pauan voit résolu à Rome de rabaiffer la fierté de ces Républiquains. Quoique l'on n'eût au- in 4cune preuve contre eux, on en enleva mille, entre lefquels étoit Polybe, & que l'on chaic. mana à Rome, pour les diftribuer enfuite dans différentes bourgades d'Italie. Pendant le féjour que fit Polybe, avant la difperfion, dans cette Capitale du monde, DLXXXF

An de Rome

Tom. I.

foit

Folyb.

T. II.

& feq.

foit que fa réputation l'y eût prévenu, foit que fa naiffance ou fon mérite le fit rechercher des plus grands de Rome, il gagna l'amitié de Fabius & de Publius, fils de LuP. 1455 cius Emilius Paulus, & adoptez par Publius Cornelius Scipion, fils de Scipion l'Afriquain. Il leur prêtoit ou empruntoit des Livres, & s'entretenoit avec eux fur les matiéres qui y étoient traitées. Charmez tous deux de fa profonde capacité, ils obtinrent du Préteur qu'il ne fortiroit pas de Rome, & qu'il demeureroit auprès d'eux. Comme la bienféance & la politeffe demandoit que Polybe eût plus de déférence pour l'aîné que pour le plus jeune, celui-ci en conçut quelque chagrin, & cherchoit l'occafion de s'en ouvrir à celui qui le lui caufoit.

Un jour qu'ils étoient fortis tous trois de la maifon, que Fabius s'en alloit au Barreau, & Publius avec Polybe d'un autre côté, après avoir fait un peu de chemin, Publius en rougiffant lui adreffa ces paroles: D'où vient, Polybe, que mon frère & moi mangeant à même table, vous n'interrogez que lui, vous ne répondez qu'à lui? Vous penfez apparemment de moi ce que j'apprens que mes Concitoiens en penfent, que je fuis indolent, inappliqué, & que je n'ai rien de Romain dans mes inclinations. Mais ce qui leur donne de moi cette idée, c'eft que je ne fréquente pas le Barreau. Et comment le fréquenterois-je? On me dit perpétuellement que ce n'eft pas un Avocat que l'on attend de la maifon des Scipions, mais un Général d'armée, & je fuis au défefpoir de ne rien favoir de ce qu'un tel homme doit faire.

gran

Polybe furpris qu'un jeune homme de dix-huit ans eût des fentimens fi relevez; gardez-vous bien, Scipion, répondit-il, de croire pour cela que je manque d'eftime pour vous. Je n'ai ces égards pour votre frére, que parce qu'il eft votre aîné, & fi je ne fais attention qu'à ce qu'il me dit, c'eft parce que je me perfuade que vous penfez tous les deux de la même maniére. Au refte ce que vous dites eft digne d'admiration, qu'un caractére trop doux & trop tranquille ne fiéd pas à un homme, qui fort d'une fi de maifon. Vous faites voir par là combien vos fentimens font au deffus de ceux du vulgaire. Hé bien, je me livre entiérement à vous, & je vous offre de tout mon cœur mes fervices, pour vous rendre capable de mener une vie digne du grand nom que vous portez. A l'égard des fciences communes, vous n'avez befoin ni l'un ni l'autre de mon fecours. Il aborde tous les jours de la Gréce ici un assez grand nombre de Maîtres de cette efpéce. Mais pour ce que vous difiez tout-à-l'heure que vous étiez fâché de ne pas favoir, je crois, fans me flater, qu'il n'y a perfonne qui foit plus en état de vous l'apprendre que moi.

Polybe parloit encore, lorfque Scipion lui prenant les mains: ah! Polybe, s'écriat'il, que ne vois-je le jour, où libre de toute autre affaire, & vivant avec moi, vous ne vous étudierez qu'à me former l'efprit & le cœur. C'eft alors que je me croirai digne de mes ancêtres. On ne peut exprimer le plaifir que fit à Polybe l'ardeur que ce jeune Patricien témoignoit pour marcher fur les traces de fes aieux; quoiqu'il craignît un peu que les grandes richeffes, qui étoient dans cette illuftre maifon, jointes aux mauvais éxemples de la jeuneffe Romaine qui étoit alors fort dérangée, ne gâtaffent un éléve de fi grande efpérance.

Tel fut le commencement de la liaifon qu'eut Polybe avec le deftructeur de Carthage & de Numance: liaifon fi intime & fi tendre, que jamais le jeune difciple ne le quittoit d'un moment, & qu'il préféroit à toutes chofes l'avantage de s'entretenir avec lui.

Auffi quelles leçons falutaires n'en reçut-il pas ? Ce grand Maître commença par lui infpirer une averfion extrême pour tous ces plaifirs dangereux, aufquels les jeunes Romains s'abandonnoient: & Scipion pendant cinq ans fe tint tellement en garde contre les

ap

[ocr errors]

appas de ces plaifirs, qu'il étoit regardé dans toute la ville comme un modéle de pudeur

& de modération.

De là il fut aifé de le faire paffer à la générofité, au noble défintéressement, au bel ufage des richesses, toutes vertus qu'il porta au fuprême dégré. La riche fucceffion qui lui étoit échûe par la mort d'Emilie, femme du grand Scipion, dont il étoit petit fils adoptif, il l'abandonna en entier à fa mére, qui, répudiée par L. Emilius, n'avoit pas de quoi foutenir la fplendeur de fon rang & de fa naiffance. Sans attendre les termes accordez par les loix pour le paiement de ce que l'on devoit à titre de dot, il fit donner par un banquier tout d'un coup vingt-cinq mille écus aux deux filles du grand Scipion, qui leur en avoit laiffé à fa mort cinquante mille, dont on ne leur avoit paié que la moitié. Tibérius Gracchus & Scipion Nafica, qui avoient épousé ces deux fœurs, étonnez d'une libéralité, dont on n'avoit pas d'éxemple à Rome, furent lui demander à lui-même, s'il étoit bien vrai qu'il eût donné ordre au banquier de leur remettre tout à la fois vingt-cinq mille écus; Scipion leur dit qu'il n'ignoroit pas quelle étoit l'indulgence des loix fur ces fortes de paiemens, qu'entre étrangers il étoit permis d'en profiter; mais qu'avec des amis & des parens, il falloit en user plus fimplement & avec plus de grandeur d'ame. Ce fut dans le même efprit qu'il céda à Fabius fon frére la part qu'il avoit dans la fucceffion de leur pére Lucius Emilius, & cette part étoit de plus de foixante mille écus.

Ce même frére ne pouvant fatisfaire aux frais d'un fpectacle de gladiateurs qu'il avoit donné au peuple à la mort d'Emilius, Scipion donna quinze mille écus pour en acquitter du moins la moitié. Après la mort d'Emilie fa mére, quoique ce qu'elle avoit de bien vînt de fa pure libéralité, il ne laiffa pas de l'abandonner tout à fes foeurs. Au camp devant Numance, Antiochus Roi de Syrie, lui aiant envoié de magnifiques préfens, il ne voulut pas les recevoir en fecret, comme avoient coûtume de faire les autres Commandans d'armée; il les reçut du haut de fon Tribunal, & commanda au Quefteur de les coucher fur les regiftres publics, promettant de les diftribuer à tous ceux de la valeur defquels il auroit plus à fe louer.

Pour ce qui regarde la religion de ce tems-là, il faut convenir, à l'honneur de Po lybe, qu'avec lui, Scipion ne devint pas fi dévot, que l'étoit, au moins en apparence, fon aieul le grand Scipion, qui paffoit les nuits dans les Temples, & que l'on difoit avoir des communications intimes avec Jupiter. On peut affûrer, fans crainte de juger témérairement , que notre Hiftorien n'avoit nulle foi à ces Divinitez qui avoient des yeux fans voir, & des oreilles fans entendre. Il cherchoit dans les régles de la prudence, de la politique & de la guerre, les raifons de tous les événemens, & foutenoit fans détours, que quiconque avoit recours pour cela aux Dieux ou à la fortune, n'avoit point affez d'efprit pour les découvrir, ou vouloit s'épargner la peine de les chercher. Les Divinitez que Lycurgue & Scipion feignoient d'invoquer, & dont ils fe vantoient d'être infpirez, étoient, felon lui, une invention ingénieuse, pour rendre plus fouple & plus docile la multitude, à qui ces beaux dehors impofent & font aifément illufion. Il croioit en une providence qui difpofe de tout, & conduit tout à fes fins; mais pour la fortune, à laquelle alors on rapportoit tout, il tranche le mot & dit, fans fe contraindre, que c'eft une chi

mére.

Comme rien n'eft plus ordinaire aux Grands que de dédaigner ceux qui leur font inférieurs, & de s'imaginer que tout leur eft dû, & qu'ils ne doivent rien à personne ; Polybe ne recommandoit rien tant à fon difciple que la modeftie, l'affabilité & la politeffe, jufqu'à l'exhorter de ne jamais revenir de la place chez lui, qu'il ne fe fût fait un ami.

[merged small][ocr errors]

Il ne s'appliquort pas moins à lui former le corps que l'efprit. L'un eft prefque auf fi néceffaire que l'autre à un homme deftiné à conduire les armées. En vain fauroit il toutes les régles & toutes les rufes de la guerre, fi fon corps, accoûtumé à une vie molle & voluptueuse, fe refufe à la peine & au travail, il ne fera jamais Capitaine que de nom. L'exercice que notre Hiftorien croioit le plus propre à endurcir le corps aux travaux, on s'attend bien que c'étoit la chaffe. Mais chaffer avec Polybe, c'étoit moins un divertiffement qu'une étude: car il ne faut pas douter qu'il ne fit dans la campagnę avec Scipion ce que Philopamen faifoit avec lui.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

,, Quand ce grand homme, dit Polybe lui-même dans Tite-Live, étoit en voiage, ,, & qu'il rencontroit quelque paffage difficile à franchir, il jettoit les yeux de tous les côtez pour bien reconnoître la nature du pofte: puis s'il étoit feul, il fe demandoit à lui-même; ou s'il étoit en compagnie, il demandoit à ceux qui étoient avec lui: fi l'ennemi paroiffoit ici, & qu'il nous attaquât ou de front, ou par notre droi"te, ou par notre gauche, ou par nos derriéres, que ferions-nous? Lequel vaudroit mieux ou fe mettre en ordre de bataille, ou fe rompre & ne prendre qu'un ordre de marche? Combien de troupes faudroit-il emploier? De quelle forte d'armes nous fer,, virions-nous ? Où mettrions-nous les bagages & notre monde inutile au combat? » Quelles ou combien de troupes feroit-il bon de détacher pour les garder? Seroit-it », avantageux d'avancer, ou ne feroit-il pas mieux que nous fiffions retraite ? S'il fal,, loit camper, où nous établirions-nous? Quel efpace de ce terrain feroit-il à propos de retrancher? D'où tirerions-nous commodément l'eau, le bois, les fourages? Pour décamper, quel chemin feroit le plus für, & en quel ordre devrions-nous marcher? Quand on bat la campagne & que l'on chaffe de cette maniére, loin de perdre le tems, on revient chez foi plus favant, qu'on n'auroit pû y devenir par de fatiguantes

[ocr errors]

lectures.

On ne finiroit pas, fi l'on vouloit ramaffer toutes les inftructions que donnoit Polybe à Scipion fur l'honnête homme, fur le bon Citoien, fur l'homme d'Etat, fur l'homme de guerre, & qui font répandues en différens endroits ou de fon Hiftoire, ou des autres Hiftoriens. Il fuffit de remarquer que l'opinion conftante étoit, que ce RoPaufan. main n'avoit rien fait de bon, dont il n'eût l'obligation à Polybe, & qu'il ne faifoit de fautes que lorfqu'il agiffoit fans le confulter.

in Arcal. Polyb.

Scipion ne fut pas le feul à Rome, qui dut fe favoir gré d'avoir fuivi les avis de T. II. Polybe. C'eft encore à fes confeils que Démétrius fut redevable du thrône de Syrie, F. 1307. où jamais peut-être il ne feroit monté fans lui. Ce Prince avoit été envoié à Rome parmi les ôtages qu'Antiochus fon frère avoit été obligé de donner par le Traité de paix fait entre lui & les Romains fous le Confulat de Cn. Manlius. Après la mort d'Antiochus, il s'étoit préfenté devant le Sénat pour prier qu'on le remit en liberté, & n'en avoit pû rien obtenir: non que ce qu'il demandoit fût injufte, car le Roiaume lui appartenoit de droit après la mort de fon frére; mais parce que les Romains trouvoient leur compte à laiffer le fceptre entre les mains du jeune pupille qu'Antiochus avoit fait

'An de Rome:

DXC.

fon fucceffeur..

Avant que de reparoître devant ces fiers Sénateurs, il fit appeller Polybe, & ils délibérérent enfemble quelles mefures il y auroit à prendre en cette occafion. Celui-ci lui dit qu'il fe gardât bien d'échouer deux fois au même écueil: qu'il n'attendît rien que de lui-même, & qu'il ofât quelque chofe digne d'un Roi. Démétrius, fans lui répondre, confulta Apollonius, un de fes Confidens, fur le même fujet, qui fut d'un avis contraire. Il retourna donc au Sénat; mais le refus qu'il en fouffrit, lui aiant fait faire de nouvelles réfléxions fur le confeil de Polybe, il s'en ouvrit à Diodore, qui l'avoit élevé, & qui connoiffoit parfaitement l'état préfent de la Syrie. Diodore l'aflūra. que

rien n'étoit plus fenfé & plus judicieux que ce confeil, & que dans les conjonctures préfentes il n'auroit qu'à fe montrer dans la Syrie, pour que tout le Roiaume fe rangeât fous fon obéiffance.

Là deffus Démétrius fait revenir Polybe, & le prie de lui fournir des expédiens pour s'évader. Celui-ci donna cette commiffion à un de fes amis; nommé Menithylle, qui fur le champ s'étant tranfporté à Oftie, & y aiant trouvé un vaiffeau Carthaginois prêt de mettre à la voile, le fréta comme pour lui-même. Le jour venu pour s'embarquer & toutes les mefures prifes, pour que cette fuite ne vînt à la connoiffance de perfonne, Polybe, qui quoique malade alors, étoit éxactement informé de tout ce qui fe passoit, aiant appris que Démétrius donnoit un grand repas, & craignant que ce jeune Prince qui aimoit la table, ne laiffât échaper l'occafion, & ne rendit inutiles les précautions que l'on avoit eu foin de prendre, écrivit un petit billet, qu'il fit porter par un laquais à l'Echanfon de Démétrius, avec ordre de recommander à cet Echanfon de le faire lire au plutôt à fon Maître. Ce billet portoit: à force de différer, on court rifque de fe perdre, il vaut mieux éxécuter. Ôfez quelque chofe, hazardez, réuffite ou non, tout plutôt que de vous manquer à vous-même: foiez fobre, défiez-vous, ce font là les nerfs de la prudence.

Démétrius vit d'abord à quelle fin & de quelle part cet avis lui venoit. Il fait femblant de fe trouver mal, fort de la maifon avec ceux qui étoient du complot, donne fes derniers ordres, court à Oftie, s'embarque & fait route fi heureusement, qu'au fixiéme jour il étoit au détroit de Sicile. On ne fut à Rome qu'il étoit échapé que qua- tre jours après qu'il en fut parti. C'eft ce même Démétrius, qui fit aux Juifs une guerre fi cruelle du tems des Macchabées, & qui donna lieu au Traité d'alliance, que cette nation fit avec le peuple Romain.

[ocr errors]

Ce fut auffi apparemment à Rome que Polybe compofa la plus grande partie de fon Hiftoire, ou du moins qu'il affembla des Mémoires pour la compofer. Où pouvoitil mieux s'inftruire des événemens qui s'étoient paffez pendant tout le cours de la feconde guerre Punique, que dans la maifon des Scipions? C'étoit fous le Confulat de Publius Cornelius, bifaieul de celui qui avoit adopté fon éléve, que cette guerre avoit commencé; c'étoit lui qui commandant à la bataille du Tefin y avoit été bleffé dangereufement, bleffure qui fut en partie caufe de la perte de celle de Trébie, où il étoit encore, & qui fut donnée contre fon avis. Cn. Scipion fon frére, l'année fuivante, avoit gagné en Espagne la bataille de Ciffa, & pris prifonniers les deux Chefs des Carthaginois & des Efpagnols, Hannon & Indibilis. Ces deux fréres joints ensemble en Efpagne, & rendant aux villes les ôtages qu'Annibal en avoit tirez pour les mettre en dépôt à Sagonte, avoient mis la plupart des peuples de ce Roiaume dans le parti des Romains. Publius Cornelius Scipion, aieul de notre Publius, étoit Tribun militaire à la bataille du Tefin, & y fauva la vie à fon pére. C'est encore lui qui à la bataille de Zama contraignit Annibal d'avouer qu'il étoit vaincu, & qu'il n'y avoit plus d'autre reffource pour les Carthaginois que de demander au plutôt la paix. L. Emilius Pauhus, aieul naturel de Scipion Emilien, commandoit l'aîle droite à la bataille de Cannes.. Enfin il faudroit faire toute l'Hiftoire de la feconde guerré Punique, pour montrer tou- · te la part qu'y eut la famille des Scipions

Polybe ne pouvoit non plus rien ignorer de ce qui s'étoit fait de part & d'autre dans la guerre de Perfée. Emilius Paulus, pére de fon difciple, en avoit eu tout l'honneur, & lui-même avoit été présent à tout. Il en eft de même de toutes les affaires étrangères qui fe pafférent du tems qu'il étoit à Rome, ou qu'il accompagnoit Scipion. Toujours à portée de voir par lui-même, ou de recevoir les nouvelles de la premiére main,

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »