Imágenes de páginas
PDF
EPUB

face. Si c'eft de la cavalerie qui charge & qui s'abandonne fur cette Colonne, on la chauffera à bout touchant. C'eft là la premiére civilité, le premier compliment, & ce compliment fera un peu long & fort ennuieux; parce que le cavalier étant plus élevé, il fera auffi vû & falué des rangs de derriére, & paffé encore par les pertuifanes, les hallebardes & les efpontons dont ma Colonne fe trouve fraifée. Ajoutez encore les compagnies de grenadiers, qui peuvent s'introduire dans les efpaces des efcadrons, & les chauffer en flanc. Encore une fois, les uns comme les autres fe trouveront-ils bien d'une telle reception? Ne voilà-t-il pas une façon de combattre bien mauvaise & bien foible, puifqu'on ne peut autrement l'attaquer que par une autre semblable qui puiffe en foutenir le choc & le heurt. Cette Colonne ainfi combattue, comme je l'ai dit, fera toujours chemin, pénétrera & paffera fur le ventre de tout corps qui ofera fe présenter devant & lui couper retraite, ce que le quarré ne fera jamais j'entens ici le quarré vuide, car le plein dont on fe fervoit il y a près de deux fiécles avoit quelque convenance avec la Colonne.

CHAPITRE III.

De Pordre quadrangulaire oppofé à la Colonne. Analyfe de ces deux évolutions. Que le feu de la premiére eft inférieur à celui de la Seconde, quoique plus foible en nombre d'hommes.

L

É bataillon quarré plein étant maffif, car c'eft fur celui-là que quelques Officiers ont commencé à ouvrir les yeux depuis mon Livre des Nouvelles découvertes fur La Guerre ; ce bataillon, dis-je, étant maffif & épais, ne fçauroit fes mouvoir ni manœuvrer, (car il ne s'agit pas ici du quarré vuide, qui eft pis encore,) fes mouvemens font lourds & graves, & tout d'une piéce; tout terrain n'eft pas propre à cette forte d'évolution: il lui en faut, pour ainfi dire, un fait exprès, comme à la phalange, & lorfqu'on le rencontre il faut y refter, s'il plaît à l'ennemi de nous y combattre; s'il faut marcher, on ne va pas longtems fans trouver des obstacles, qui ne permettent plus de fuivre cet ordre : & s'il faut le changer pour en prendre un autre, il eft dangereux de le faire l'ennemi fur les bras, foit qu'il vous fuive ou qu'il vous harcelle. Si le quarré eft plein, il eft propre pour le choc & pour enfoncer : mais les angles font foibles, & le choc en eft moins violent; s'il eft vuide, il est fujet à fe rompre de lui-même, à fe défordonner & à fe confondre, pour peu qu'on foit obligé de doubler le pas, & l'on n'a pas befoin de l'ennemi pour faire cette œu vre, à moins qu'on en ufe comme fit Xénophon, ce que nous expliquerons.

Je fuppofe même qu'on foit favorifé du terrain, comment remédier à un inconvenient qui peut arriver, & qui arrive toujours lorsqu'on eft attaqué? Car fi l'ennemi fait plus d'effort en un endroit qu'en l'autre, & qu'il s'y trouve plus de gens tuez, ce n'eft plus un quarré, mais une confufion : la cavalerie furvenant là-deffus, comme on manque de cette arme, qui feule peut lui réfifter, je veux dire de ma pique ou pertuifane, je laiffe à penfer ce qui en peut arriver; & fi ce quarré eft à centre vuide ce qui ne peut fe faire que par un grand corps de troupes, je défie les plus habiles d'y apporter du reméde. Car lorfque c'est à centre plein, il y en a, quoique difficile à appliquer, fi ce corps eft même rompu à un de fes angles il ne fçauroit fe remettre. Je

conclus

[blocks in formation]

Nde Putter fecit.,

QUARRE PLEIN DE 3600.HOMMES ATTAQUE PAR UNE COLONNE DE 1200.

conclus dé là que le quarré vuide & plein ne font pas meilleurs l'un que l'autre ; & fi nous n'avons rien de plus parfait, comme en effet nous n'avons pas autre chofe, où en fommes-nous ?

Xénophon reconnut par une expérience de plufieurs mois de marche & d'attaque dans fa fameufe retraite des dix mille, les défauts de l'ordre quadrangulaire vuidé quoiqu'il fût fur plus de feize de hauteur auffi l'abandonna-t-il comme impraticable, il s'en tint au plésion, c'est-à-dire au quarré long; difons mieux, il forma deux Colonnes à une certaine diftance l'une de l'autre, & les bagages entre-deux, fans remplir & fermer les intervalles d'entre les deux Colonnes en tête & en queue des équipages. L'armée, dit l'Auteur, continua fa marche à travers une plaine, fuivie de Tifaphernez avec de fréquentes attaques. On reconnut alors qu'une armée sur quatre fronts eft très-incommode" lorfqu'il faut faire retraite avec un ennemi fur les bras ; car les faces oppofées à l'ennemi venant à fe confondre, ou à cause d'un défilé, qui eft trop étroit on à cause d'une montagne, ou lorsqu'il faut traverser un pont, on eft étouffé fans pouvoir avancer dans la preffe, & l'armée eft hors de combat. Au fortir de là les ailes venant à s'étendre, le milieu demeure vuide; ce qui fait perdre courage aux foldats à la vie de l'ennemi: outre que chacun se pressant pour passer le premier dans les défilez, on lui donne beau jeu pour nous attaquer. Comme les Généraux Grecs eurent remarqué ce défaut, ils firent un corps de réserve de 600. hommes, en fix compagnies, avec les Chefs de centaine, de cinquantaine & de dixaine: quand les côtez venoient à se resserrer, ils demeuroient à la queue, ou filoient fur les flancs de part & d'autre pour éviter l'embarras; & lorsqu'ils commençoient à prendre du terrain à droit & à gauche ils rempliffoient & couvroient l'intervalle d'entre les côtez, c'est-à-dire d'entre les deux Colonnes, felon qu'il étoit plus grand on plus petit. Ils ne fe brouilloient point anffi avec le reste des troupes dans les défilez, mais paffoient l'un après l'autre par compagnies ; & fi l'on avoit befoin du fecours en quelque endroit, ils y accouroient auffi-tôt. On voit clairement que ce corps de 600. hommes faifoit tantôt l'avant-garde ou l'arriére-garde, ou fe partageoit felon le befoin, fans fe joindre aux Colonnes des côtez pour former le quarré. Si l'ordre quadrangulaire eft défectueux dans une retraite, à quoi peut-il être bon, puifqu'il n'a été inventé que pour cela? L'on va démontrer qu'il eft encore moins propre pour le combat.

Imaginons-nous un quarré de 3000 ou de 3600 hommes, je foutiens qu'il eft plus foible & moins en état d'attaquer & de fe défendre qu'une Colonne de mille. Cette propofition ne femble-t-elle pas paradoxe? Elle ne l'eft pourtant pas, c'eft au contraire une vérité auffi certaine qu'une démonftration de mathématique. Suppofons le quarré A, & la Colonne B. Si A eft attaqué, je mets en fait qu'on effuiera moins de feu du quarré A, que de la Colonne B. La raifon eft, qu'il n'y a tout au plus que fept ou huit rangs de chacun des côtez C, qui puiffent tirer, & dont on puiffe faire ufage pour les feux. Tous ces rangs qui rempliffent l'efpace D, contre le grand C, & le petit quarré E, font en état de fe fervir de leurs armes, & de foutenir la force du choc, fi l'on n'en excepte les angles; mais il faut convenir en même tems que les 1296 hommes, qui rempliffent le centre du quarré E, font tout-à-fait inutiles dans le combat, finon pour fortifier & fervir comme d'appui contre l'effort & le heurt de la Colonne, les huit ou dix premiers rangs D, qui ferment & embraffent le quarré E, fuppofant toujours que les 3600. hommes forment un quarré plein & parfait, qui fait 60. files en tout fens.

Si l'on m'objecte que ce corps quadrangulaire fournit un feu égal à chacun de fes côtez, & que la Colonne B n'a que fes deux faces F pour feux, & que celui de G & de H eft très peu de chofe, j'en demeure d'accord; mais on fçait que le propre de

bij

la

la Colonne eft dans l'action. Il ne s'agit pas de tirailler, mais d'en venir d'abord aux coups d'armes blanches, & de joindre l'ennemi, & alors le feu n'a plus lieu, & il n'y en a aucun à effuier: d'ailleurs à proportion du quarré plein de 3600 hommes, contre une Colonne de 1200, il faut qu'on avoue que le feu de ma Colonne eft infiniment plus grand; car cette Colonne n'attaque qu'un des côtez du quarré, les trois autres ne voient rien de ce qui se passe au côté attaqué; on n'en a donc rien à craindre, & cependant les deux faces F de la Colonne voient tout le côté du quarré fur lequel elle tombe, & par là on ne peut difconvenir que le feu de ce corps ne foit fupérieur à celui du côté attaqué.

Outre les avantages que j'ai alléguez plus haut, il n'y a pas un feul homme d'inutile, foit pour le choc, foit pour le feu, foit pour la légéreté de fes mouvemens. Si la Colonne tombe de tout fon poids fur un des angles du quarré, elle l'emportera & le fera fauter hors; que fi cet angle eft enlevé, comme en effet il ne fçauroit résister contre le choc de cette efpéce de bélier, elle le pénétrera, le mettra en défordre & en confufion; que fi ce quarré eft à centre vuide, car nous ne pratiquons que celui-là encore fur quatre ou cinq de hauteur, il ne tiendra pas un inftant, & le mal eft fans reméde. Que fi l'on m'allégue l'éxemple quadrangulaire de toute notre infanterie après que les Alliez eurent forcé nos lignes en Flandres en 1708, j'ai la réponse toute prête; c'eft que les ennemis le respecterent, & n'eurent pas le courage de l'attaquer, & c'eft en avoir bien peu que de ne l'avoir pas fait. fait. Par mon principe, le foible, mais très-foible, battra le fort fans difficulté: car pour peu qu'on foit au fait de ma Colonne, cela fe comprend affez.

Je demande fi Craffus fit le trait d'un Général bien fenfé dans la guerre contre les Parthes; il leur alla au-devant dans une plaine rafe & pelée, à la tête d'une armée formidable. Il avoit fept légions, 4000. chevaux, & autant d'infanterie légére. Que fait-il pour fe faire battre? Plutarque nous l'apprendra; il nous donne l'ordre & la diftribution de chaque arme de l'armée Romaine, & nous fait voir clairement l'ignorance de Craffus. L'Auteur femble pourtant admirer cette ordonnance, mais à deux pas de là il en fait voir l'abfurde, fans y prendre garde: Il fit un corps de bataille quarré, dit-il, qui faifoit face de tous côtez, & dont chacun des côtez préfentoit douze cohortes. Chaque cohorte avoit près d'elle une compagnie de chevaux, afin que chaque partie de ce bataillon put être foutenue à propos par la cavalerie, & que tout ce corps en étant également remparé, chargeât avec plus de fûreté & d'audace.

Un homme qui ne fera pas du métier, s'imaginera que cet ordre eft la plus belle chofe du monde, & c'eft pourtant la plus grande ignorance qui foit jamais tombée dans l'efprit d'un Général d'armée : car par cette difpofition infenfée, Craffus trouva le fecret de rendre inutiles les deux tiers de fon infanterie. En effet peu s'en falloit que cet ordre de bataille quadrangulaire ne fût à centre plein: quand même il eût été plus vafte, l'ennemi ne s'en fut pas moins moqué, & ne l'eût pas moins envelopé & détruit par fes feuls archers à cheval, comme cela arriva car carracolant & l'environnant de tous côtez, fans le joindre, il l'accabla d'un orage de fléches; de forte que ce quarré ridicule & immobile fe trouva en butte aux traits redoutables des Parthes, fans pouvoir avancer ni reculer. C'est ainfi que cette armée, compofée de l'élite des forces Romaines, fut totalement détruite & anéantie par un nombre d'archers infiniment inférieurs, c'est-à-dire par la moindre partie de l'armée des Parthes.

Si l'on m'objecte que les peuples de l'Afie & les Egyptiens, peut-être avant eux, ont fouvent combattu par gros bataillons pleins & quadrangulaires à leur infanterie féparez par intervalles de l'un à l'autre, comme cela fe voit dans la bataille de Cyrus contre Créfus, & dans celle de Cunaxa entre Cyrus le jeune & Artaxerxès, qui fe angea par corps quadrangulaires à droite de fa cavalerie. Cela ne conclut pourtant pas

« AnteriorContinuar »