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leur union, dans leur preffement, & celui de fes rangs à la pointe de l'épée. Cette épaiffeur rend les flancs auffi forts, ou prefque auffi forts que le front. Par cette méthode le bataillon fe trouve en état de résister, de rompre tout bataillon qui ne combattra pas fur ce principe, & de fe mouvoir avec plus de facilité & de légéreté que les autres; au lieu qu'un corps, qui combat fur un grand front & peu de hauteur, manœuvre difficilement, & ne peut éviter le flottement fi ordinaire dans les corps rangez fur une trop grande étendue: à la guerre l'épaiffeur des files rémédie à tout, & augmente la force & la rapidité du choc. On doit regarder comme une maxime, que tout bataillon, qui attaque, rangé fur beaucoup de profondeur & peu de front, quoique plus foible, doit en furmonter un autre plus fort, rangé felon la méthode ordinaire, quoique celui-ci l'outrepaffe à fes aîles. En combattant de cette maniére, toute la force d'un bataillon eft en lui-même, fans que fa défaite influe fur ceux qu'il a à côté.

Je crois pourtant que cela ne fuffit pas, il faut quelque chofe de plus folide, & qui nous affûre davantage contre le grand nombre qui peut nous accabler & nous enveloper. Il est néceffaire d'appuier & de couvrir les petits corps par de plus gros, capables d'agir par eux-mêmes, & d'empêcher la ruine d'une ligne en les partageant fur tout fon front, particuliérement aux aîles & au centre. Quel eft donc votre deffein, me dira-t-on ? Si ce n'eft peut-être de changer tout l'ordre de notre tactique, & de faire voir par les défauts de notre méthode que les Anciens & nos péres après eux fe font trompez ? Je réponds à cela, que je ne prétens pas attaquer & renverfer notre méthode dans la façon de nous ranger & de combattre; mais quand l'on auroit ce renversement en vûe, le mal ne feroit pas fi grand; nos péres n'étoient pas infaillibles, & il paroît qu'on ne les croioit pas tels il y a deux fiécles, puifque chacun avoit fa méthode différente. Autre eft celle de François I. autre celle de Henri III. autre celle de Henri IV. & la nôtre d'aujourd'hui eft différente de celle du fiécle de ce grand Capitaine. Qui peut avancer fans témérité, pour ne pas dire fans folie, que nous avons atteint la perfection? Je crois aut contraire, fauf le refpect que je dois aux habiles de notre fiécle, que nous en fommes fort éloignez; il doit être permis de faire quelques pas en avant pour voir l'objet de plus près tâchons d'y atteindre autant qu'il dépend de nos forces, puifque les intelligens conviennent que nous n'y fommes pas encore arrivez. Ceux-là font bien plus à croire que cette foule de gens fans étude & fans application, qui s'en tiennent à ce que nos Maîtres nous ont enfeigné, ou n'ont pas même été à leur école.

Ils ont donné telles régles, ces Maîtres, ils ont combattu fur tels principes que nous fuivons depuis deux fiécles; s'il y a eu quelques changemens, ils font de peu d'importance, foit dans les corps, foit dans les armes: d'accord; mais ils ont penfé, ceux qui font venus après, ont penfé auffi, & leurs fucceffeurs ont eu le même droit; pourquoi ne nous fera-t-il pas libre de penser à notre tour, & de faire ufage de notre efprit, d'enchérir fur eux, fi nous croions qu'ils fe font trompez? Il nous doit être permis, non feulement de le dire; mais encore de faire voir par l'oppofition de notre tactique à la leur, qu'il y a encore quelque chofe à faire après eux, quoique nous reconnoiffions qu'ils étoient de grands hommes, & qu'ils ont approché de la perfection. Tâchons nous-mêmes d'en approcher un peu plus. C'eft beaucoup de nous mettre fur la route, il n'y a plus qu'à marcher.

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De la Colonne, & de fes parties. Ce qu'on entend par cet ordre, & cette maniére de combattre. Ses avantages fur le quarré à centre plein.

LA

A Colonne eft un corps d'infanterie ferré & fuppreffé, c'est-à-dire un corps rangé fur un quarré long, dont le front eft beaucoup moindre que la hauteur, qui n'eft pas moins redoutable par la pefanteur de fon choc, que par la force avec laquelle il perce & réfifte également par tout, & contre toutes fortes d'efforts. Les rangs & les files doivent être tellement ferrées & condenfées, que les foldats ne confervent qu'autant d'efpace qu'il leur en faut pour marcher, & fe fervir de leurs armes.

Ce quarré long eft formé de plufieurs bataillons à la queue les uns des autres, depuis un bataillon jusqu'à fix, fur plus ou moins de files ou de rangs, felon la fituation du païs où l'on se trouve obligé d'agir & de combattre; car lorfqu'on peut former deux Colonnes au lieu d'une trop forte, & fur un trop grand front dans un défilé, il est toujours plus avantageux d'obferver cette méthode pour éviter la confufion, & laiffer un écoulement aux fections rompues, ou faire place aux autres qui fuccédent dans un combat trop long & trop opiniâtré.

Je ne range pas ma Colonne felon le front ordinaire d'un bataillon, qui étant à quatre ou cinq de hauteur, marche fur plus ou moins de front felon sa force ou sa foibleffe.

Je me fixe à vingt, vingt-quatre, ou tout au plus à trente files dans un terrain libre ; mais dans un autre qui ne l'eft pas, comme dans un païs fourré & de défilez, elle peut fe maintenir dans fa force depuis trente files ou trente-quatre même jufqu'à feize: car je crois défectueux tout nombre plus grand ou plus petit. Je n'obferve pas le nombre pair, parce qu'il ne me femble pas fort néceffaire pour les évolutions qui lui font propres.

La Colonne, étant compofée de plufieurs bataillons, doit former plufieurs corps joints enfemble. J'appelle la premiére A, premiére fection. La feconde B, feconde fection; & la troifiéme C, troifiéme fection. Elle peut être compofée, comme je l'ai déja dit, depuis un bataillon jufqu'à fix, qui dans le combat ne laifferont aucun intervalle entr'eux. Il y aura fix Capitaines, fix Lieutenans, & fix Sergens à la tête: le reste des Officiers & des Sergens fera reparti aux flancs, ou fur les aîles des rangs.

Je partage également les Officiers & les Sergens à la tête, à la queue & aux flancs de chaque fection, & fur tout à celle de la queue C; afin que fi la colonne venoit à être envelopée, & attaquée de tous côtez, l'ennemi trouve une égale force & une égale réfiftance, fuppofé même que les deux premiéres fections vinent à être battues.

J'appelle les ailes des rangs, ou les flancs faces, parce que par le terme de flanc on entend les côtez foibles d'un bataillon ou d'un efcadron, au lieu qu'il n'y a rien de foible dans un corps comme la Colonne.

Les compagnies de grenadiers D, ne feront pas corps avec la Colonne. On doit les placer à la queue, ou à chacun des côtez de la derniére fection, étant une maxime conftante très-connue des Anciens, & qui ne l'eft pas moins parmi les Modernes, qu'il faut toujours féparer un corps d'élite & de réputation, & le faire combattre, fans le mêler avec un autre qui vaut moins. Le premier choc de la Colonne contre lequel nos ba

D

B

A. De Putter fecit.

LA COLONNE SUR TROIS SECTIONS.

Pl. 1. Tom.I.Pag. LIV.

taillons minces ne fauroient réfifter, quand même leur épaiffeur feroit triple, doit étre le fignal, foit pour faire partir les grenadiers après les fuiards, foit pour les jetter dans les efpaces d'entre les bataillons ou des efcadrons, ou pour tout autre ufage, felon qu'il plaira à ceux qui commandent d'en difpofer; ces petits corps fervent comme de fupport & de réferve à chaque Colonne : cette réserve se trouvant plus ou moins groffe felon le nombre des fections.

On me demandera peut-être pourquoi je ne mets pas plutôt les grenadiers à la tête de chaque fection, que de les en féparer comme je fais. C'eft que la tête de chaque fection étant formée d'un rang d'Officiers & de Sergens, & d'un autre des meilleurs foldats du bataillon, chacune eft affez forte pour foutenir & faire un bon effort, chaque tête fe trouvant hériffée des efpontons & des halebardes des Sergens, & le second alternativement mêlé de mes piques ou pertuifannes de longueur avec les baionettes au bout du fufil, & fraifée par tout des mêmes armes: ce qui doit fembler terrible à tout ennemi qui ne combat pas dans le même ordre, & qui n'est pas armé de la même forte. Quand le bon fens & les régles de la guerre ne nous feroient pas voir qu'il faut faire combattre féparément un corps qu'on diftingue d'un autre qui vaut moins, l'expérience nous obligeroit à fuivre cette méthode. La faute de Gorgidas, qui fut celui qui imagina, leva & difciplina le bataillon facré des Thébains; cette faute, dis-je, me difpoferoit à féparer dans le combat les grenadiers d'une Colonne. Gorgidas s'avifa de répandre & de méler ces braves gens fur tout le front de fa phalange, il s'en trouva mal. Pélopidas s'en étant apperçû, & aiant remarqué beaucoup moins d'ardeur & de courage dans ces troupes ainfi démembrées, qu'elles n'en avoient fait paroître à la journée de Tégyoù elles avoient combattu fans être mêlées avec d'autres, il ne les fépara pas, dit Plutarque, & ne les divifa plus; il s'en fervoit toujours comme d'un feul corps, à la tête duquel il commençoit toujours la charge dans les plus grandes occafions, le rangeant toujours fur une très-grande profondeur, comme nous voions dans les courfes de chariots, que plufieurs chevaux attellez à un char courent de plus grande vitesse que ceux que l'on poufSe feuls: non pas parce que partant tous ensemble, & faisant un même effort, ils fendent mieux l'air par leur nombre, mais parce que l'émulation & la jalonfie échauffent leur courage, & augmentent leur ardeur; il penfoit de même que les braves gens, fe fervant les uns aux autres comme d'aiguillon, étoient plus utiles, & combattoient plus courageusement ensemble que féparez. Là-deffus M. Dacier fait une remarque très-vraie & trèsfenfée, à laquelle les Experts dans le métier souscriront toujours: il est rare, dit-il, que le bon corrige le mauvais, & l'on voit ordinairement que le mauvais corrompt le bon, fur tout fi ce mauvais eft plus fort en nombre.

re,

On obfervera de compofer les Colonnes en tout ou en partie, fi elles font fortes, des plus braves régimens de l'armée, fans aucun égard au rang des corps, mais à leur valeur feulement, & au mérite de ceux qui les commandent.

Je fuppofe les bataillons, qui compofent la Colonne de 500. hommes, ou de 400. fufeliers, & 100. pertuifanniers, la compagnie des grenadiers, les Officiers & les Sergens non compris. Je la divife en deux manches, dont l'une s'appelle Manche de la droite, & l'autre Manche de la gauche. Je fubdivife encore chaque manche de cinq en cinq files; j'appelle les trois de la droite Divifions de droite, les trois de la gauche Divifions de gauche. Les deux premiéres des aîles, Divifions des ailes; les deux fuivantes, premiére divifion de droite, feconde de gauche; les deux derniéres du centre, troifiéme de droite, troifiéme de gauche; ce qui fait trente files.

Cette divifion eft abfolument néceffaire, foit pour fe remettre en ligne, foit dans le cours du combat, ou lorsqu'on veut partager la Colonne de la tête E à la queue F, pour en faire deux d'une feule, comme on voit dans la figure. Ce mouvement fe fait lorf

qu'une

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