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de leur autorité le peut croire: pour moi je ne l'ai pas cru digne d'être mêlé avec ce que j'ai tiré des actes & des épitres des apôtres. Un fait n'eft ni plus certain, ni même plus vrai - femblable pour fe trouver dans un grand nombre d'auteurs nouveaux, qui fe font copiez les uns les autres. Quand tous les docteurs qui vivent aujourd'hui, s'accorderoient à dire que la fainte Vierge a vécu foixante-quinze ans ; cette opinion n'en feroit ni plus vraie, ni plus probable; puifqu'elle n'a aucun fondement dans l'antiquité, & que les faits ne fe devinent point à force de raisonner. Cependant comme les hommes aiment à fe déterminer, ce que le premier a avancé en devinant & difant: Peut-être : Il eft plus pieux de le croire ainfi : un autre dit qu'il eft vrai-femblable, un troifiéme l'avance comme certain, en citant les deux premiers: la foule s'y laiffe entraîner, & quiconque veut enfuite approfondir & remonter à la fource, eft un novateur & un curieux temeraire. C'est par la même raifon que j'ai dit fi peu de chofe des premiers papes : & que je n'ai point rapporté les actes de tant de martyrs fameux, dont on trouve des légendes. La vraie pieté nous fait aimer la verité, & nous contenter de ce que Dieu veut que nous fcachions: Je crains au contraire que plufieurs ne trouvent ici trop d'actes de martyrs, & rapportez trop longuement. Je n'ai pas mis néanmoins tous ceux que le R. P. Dom Thierry Ruinart Benedictin nous a donnez fous le nom d'actes finceres & choifis ; & j'en ai laiffé quelques-uns, où je n'ai rien vû de fingulier. Voilà les regles que j'ai voulu fuivre dans le choix des materiaux de cette hiftoire.

Quant à la maniere d'écrire, je vois deux methodes pratiquées par les auteurs: l'une de rapporter tout au long les paffages des originaux, en forte que l'auteur ne parle que pour en faire la liaifon : l'autre d'en prendre la fubftance; & compofer l'hiftoire d'un ftile égal & continu. La premiere methode eft celle des Centuriateurs & de Baronius ; & on peut dire auffi que M. Hermant dans fes vies l'a plus fuivie que l'autre : Elle paroît la plus füre & la plus folide. C'eft comme produire les pieces dans un : procès le lecteur n'a qu'à juger par lui-même. Mais cette methode engage à une grande longueur & à de fréquentes répetitions. Car comme le même fait eft fouvent rapporté par differens auteurs avec quelque diverfité de circonftances: il faut les rapporter tous autrement le lecteur ne feroit pas pleinement inftruit. De plus, en tranfcrivant les paffages entiers, on fe charge de tous les défauts du ftile des originaux: de leur obfcurité, de leur longueur, de leurs phrafes & de leurs paroles fuperfluës: ce qui ne fait que fatiguer le lecteur, quand ce ne feroit que par la bigarrure du ftile. Les ouvrages même les mieux écrits deviennent très-defagreables quand on n'en voit que des pieces hors de leur place. Car tout ce

qui fert de preuve à l'hiftoire, n'eft pas hiftoire, on la tire de toutes

fortes d'écrits, des lettres, des fermons, des panegyriques. Ce que faint Gregoire de Nazianze a dit fort éloquemment dans l'oraifon fu

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VII.

nebre de faint Bafile, devient froid & ennuïeux au milieu d' ne hiltoire, où l'on ne cherche que le fimple fait: au lieu que dans les difcours figurez, les faits ne font le plus fouvent que touchez, & toujours enveloppez & ornez: on ne les démêle qu'avec beaucoup d'application. Ainfi le lecteur de Baronius eft réduit à faire une étude penible, au lieu de l'inftruction facile qu'il cherchoit : c'eft plûtôt la matiere de l'hiftoire qu'il a bien mieux préparé, que l'hiftoire même. D'ailleurs on fe trompe fi l'on prétend que cette methode laiffe au lecteur la liberté entiere de juger: le choix des faits & des paffages dépend toujours de l'auteur; fouvent il fupprime ce qui eft contraire à fes préju gez: & quant aux paffages qu'il rapporte fouvent, il les détourne ou les affoiblit, par les réflexions & les differtations, que cette methode attire neceffairement. Car en rapportant les paffages, il faut expliquer les termes obfcurs, lever les contradictions, concilier les diverfitez. De tout cela enfemble réfulte une prodigieufe longueur des livres, qui eft un plus grand mal que l'on ne croit; puifque c'eft une des fources de l'ignorance: car qui a le loifir & le courage de lire tant de gros volumes?

L'autre methode eft d'écrire d'un ftile uniforme, prenant feulement la fubftance des originaux, fans s'affujettir à leurs paroles. C'eft celle', de M. Godeau, de M. Maimbourg, & de la plupart des hiftoriens ancicns & modernes ; & c'eft fans doute la plus agréable pour les lecteurs, mais ce n'eft pas la plus fûre. Quand l'auteur a l'efprit brillant, & Pimagination fertile, il a peine à fe contenir dans les bornes étroites de la vérité ; & à ne pas ajouter du fien quelques réflexions qui lui paroiffoient judicicufes; quelques fentences, quelques defcriptions, ou du moins quelques épithetes. J'ai cru prendre un milieu entre ces deux methodes, en écrivant d'un ftile fuivi, & qui n'eft qu'une narration continue: mais entploïant, autant qu'il m'a été poffible, les paroles des originaux, traduites fidelement en notre langue fur le gree & fur le latin. J'ai cru toutefois ne point donner d'atteinte à la verité en retranchant les paroles inutiles : & ajoutant celles qui m'ont paru neceffaires, pour éclaircir les paffages obfcurs. J'ai mis en marge les citations, afin que les fçavans puiffent juger fi mon hiftoire eft fidele: & j'exhorte tous ceux qui en font capables à la verifier & à lire euxmêmes les originaux. Les propres paroles des auteurs frappent tout autrement; & je puis m'être quelquefois trompé dans le choix ou la tradition. Mais j'écris principalement, comme j'ai dit, pour ceux qui ne peuvent pas lire les originaux ; faute d'avoir les livres en main, ou d'entendre affez bien le grec & le latin, ou d'avoir le loifir de lire les traductions françoifes qui en ont été faites, de comparer & de concilier

les auteurs.

C'eft en faveur de ces lecteurs que j'ai interrompu la narration par Extraits de quelques extraits de doctrine. J'ai cru faire plaifir à ceux à qui les livres ecclefiaftiques ne font pas familiers, en leur donnant dans un feul

doctrine.

livre ce qu'ils ne liroient jamais autrement; & qui ne doit pas leur être Indifferent, s'ils ont de l'amour pour la religion. Ils verront dans ces extraits plufieurs faits generaux de mœurs, de ceremonies & de traditions anciennes, qu'il feroit difficile de rapporter autrement, & qui ne devoient pas être omis, comme ce que j'ai tiré des apologies de faint Juftin & de Tertulien, & des autres ouvrages de ce dernier. On verra dans ces extraits les paffages les plus formels, pour prouver les veritez catholiques contre les heretiques des derniers ficcles. Enfin on y verra quels étoient ces grands hommes, qui ont établi & foutenu la religion; puifqu'après leurs actions rien ne les fait tant connoître que leurs paroles. Ces extraits font plus fréquens & plus longs dans les premiers fiecles, dont l'autorité eft plus grande, & qui fervent de fondement à toute la fuite. Il eft difficile quand on veut être chrétien de résister à la tradition conftante des difciples des apôtres. D'ailleurs les auteurs les plus anciens font en petit nombre, & la plupart fi peu connus, que leurs ouvrages paroîtront à plufieurs des curiofitez: car qui connoît la lettre de faint Clement pape & le livre du pafteur, hors les fçavans de profeffion? Cependant ce que j'en ai tiré & de faint Clement Alexandrin peut donner l'idée de la veritable pieté ; & montrer que ce n'eft pas une invention des moines, ni un rafinement des derniers temps. Le feul inconvenient que je trouve aux extraits en general, c'eft qu'ils allongent mon ouvrage que je fouhaitois extrémement faire court pour le rendre utile.

Je ne mets pas au nombre de ces extraits les formules de foi & les canons des conciles: elles me paroiffent des parties neceffaires de l'hiftoire, pour faire entendre le dogme & la difcipline. C'eft comme dans une hiftoire profane les traitez de paix & d'alliance, les loix &les reglemens de police, dont il faut au moins mettre la fubftance. Ces pieces ne font pas agréables, il eft vrai; mais je n'écris ni un pɔëme, ni un roman, & je demande des lecteurs férieux & attentifs. Les actes des martyrs m'ont paru neceffaires, afin qu'un fi grand objet fît fur les efprits unc auffi forte impreffion qu'il le merite; & j'ai cru les devoir rapporter dans leur fimplicité originale, parce que ce font des pieces autentiques pour la plupart, des interrogatoires en bonne forme & des procès verbaux de quetion, qui feroient preuve en juftice. Par le plaifir qu'ils m'ont donné, j'ai jugé qu'ils en donneroient à quiconque aime le vrai & le naturel; & je ne vois point de lecture plus propre à nourrir la picté. Ces avantages m'ont paru préferables à l'uniformité & à l'élegance du ftile. Après les martyrs les plus grands fpectacles font les moines : c'eft pourquoi j'ai mis affez au long la vie des premiers & des plus illuftres, m'arrêtant plus aux vertus qu'aux miracles. Quoique ces vies foient affez connues, & entre les mains de tout le monde : j'aurois cru en les omettant, omettre une partie confiderable de mon fujet, qui ne comprend pas moins les mœurs que la difcipline & la doctrine. Or les mœurs s'apprennent bien mieux

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VIII. Regles de chronologie.

par les exemples finguliers, que par des obfervations generales: rien ne fait tant connoître les hommes que le détail de leurs difcours & de leurs actions. Au refte je ne me propose point de ne dire que des chofes

nouvelles.

Je n'ai pas cru devoir remonter jufqu'à la naiffance de J. C. parce que fon hiftoire eft affez connue des chrétiens, & on ne la peut mieux apprendre que par la lecture continuelle des évangiles. Quiconque s'inagine la pouvoir mieux écrire, ne l'entend pas ; & nous n'en fçavons rien ou prefque rien, que ce qui eft dans le texte de l'écriture. Il n'en pas de même de l'hiftoire des apôtres; outre les actes, il y a plufieurs faits confiderables dans les épitres de faint Paul, & dans les auteurs étrangers du même temps, comme Jofeph & Philon. Joseph fur tout eft précieux, par le foin qu'il a pris d'écrire la ruine de Jerufalem, & de verifier ainfi fans y penfer les propheties de J. C.

cft

Quant à l'ordre des temps, je n'ai pas cru m'y devoir attacher trop fcrupuleufement. Il ne convient qu'à un hiftorien contemporain comme Tacite, de faire des annales : écrivant des faits qu'il connoît dans un grand détail, & dont la proximité rend les dattes certaines. Ainfi qui fe propoferoit l'hiftoire ecclefiaftique depuis le concile de Trente, ou même depuis celui de Conftance, auroit raifon de la ranger par annales. Mais de vouloir réduire ainsi des actes très-anciens, dont fouvent on ne fçait le temps que par conjectures, & fouvent on l'ignore abfolument: c'eft fe donner une grande peine, au hazard de fe tromper, & d'induire les autres en erreur. Auffi malgré l'érudition profonde & le travail immenfe de Baronius, on a trouvé de grands mécontes dans fa chronologie, & le R. P. Pagi entre les autres, vient de nous donner un gros volume pour corriger ceux des quatre premiers ficcles. Toutefois Baronius lui-même n'a pû fixer tous les faits: il y en a un grand nombre qu'il n'a rangé fous certaines années que par occafion, fans leur donner de datte certaine ; parce qu'en effet il eft impoffible de la fçavoir: comme quand il place la retraite de faint Bafile & de faint Gregoire de Nazianze l'an 363. après la mort de Julien l'apoftat: il auroit pû la mettre tout auffi bien cinq ou fix ans plûtôt. Cependant le lecteur qui veut être déterminé, s'arrête à cette autorité ; & croit fans l'examiner, que chaque fait eft arrivé dans l'année qu'il voit en tête de la page. Dans les faits même les plus certains, il n'eft pas toujours à propos de fuivre exactement l'ordre des années: autrement l'hiftoire tombera dans une extrême féchereffe, étant interrompuë à tous momens & comme hachée en menuës parcelles, chacune fera peu d'impreffion, & ne donnera aucun plaifir. Il faudra paffer inceffamment d'Orient en Occident, de Rome à Antioche; quitter un concile commencé en Italie, pour en voir un autre en Afrique: inferer une ligne pour marquer la mort d'un pape ou d'un empereur: tout cela fans liaifon ou par des tranfitions forcées. Il vaut bien micux anticiper quelques années, ou y remonter, pour reprendre un

dont

fait important dès fon origine, & le conduire jufqu'à la fin. Le meilleur ordre eft celui qui conduit l'efprit le plus naturellement, pour entendre les chofes, & les retenir ; & l'on remedie à la confufion en marquant les dattes.

Mais il eft de la bonne foi de ne les marquer que quand on les fçait, & il n'eft pas du devoir d'un hiftorien de paffer fa vie à les rechercher. Cependant l'émulation des fçavans du dernier fiecle a pouffe la chronologie à une telle exactitude, que la vie de Noé n'y fuffisoit pas. Il faudroit calculer exactement toutes les éclipfes dont on a connoiffance, & fixer leurs places dans la periode Julienne. Sçavoir les époques de toutes les nations, leurs differentes efpeces d'années & de mois, & en faire la réduction à la nôtre: examiner toutes les infcriptions des marbres antiques & des médailles : corriger les faftes confulaires : conferer toutes les dattes qui fe trouvent dans les hiftoriens ; & quand on defcend plus bas, venir aux cartulaites & aux titres particuliers. Quand finiront ces recherches? Et comment s'affurera-t'on de ne s'être point mécompté? Encore peut-on les fouffrir dans des faits dont il importe de fçavoir le temps; mais combien y en a-t'il qui ne font d'aucune conféquence? Combien de difputes fur le fens d'une infcription ou fur l'occafion d'une médaille, qui au fonds ne nous apprend rien; pour fçavoir l'âge d'un empereur, le jour précis de fa mort; d'autres faits femblables, dont on ne veut rien conclure, finon que Baronius ou Scaliger fe font trompez. N'eft-ce point là ce que faint Paul appelle 1. Tim. VI. 14. languir après des questions qui ne produifent que des jaloufies & des querelles? On retient bien plus les faits que les dattes dans notre propre vie fouvent nous nous fouvenons d'avoir fait ou dit telles chofes en tel lieu, avec telle perfonne, en telle faifon; fans nous fouvenir du jour, ni de l'année. La plupart des hiftoriens, & fur tout les hiftoriens facrez ont écrit ainfi, & n'ont marqué les temps, que quand ils étoient néceffaires, comme les dattes des propheties. Il importe pour la fuite de la tradition de fçavoir la fucceffion continue des papes & des autres évêques des fieges apoftoliques; aufli les anciens nous l'ont-ils fidelement confervée. Mais il eft impoffible de fçavoir la durée de chaque pape pendant les deux premiers ficcles; & quand on la fauroit, l'utilité en feroit petite; puifqu'on ne fçait prefque rien de leurs actions.

Voilà les raifons qui m'ont empêché de m'enfoncer dans les recherches de chronologie, afin d'avoir plus de temps pour examiner la fubftance des faits, & les mettre en évidence. Je me fuis fervi du travail de ceux qui m'ont précedé, fans toutefois les fuivre aveuglement; j'ai marqué les dattes qui m'ont paru folidement établies; je n'en ai point mis aux faits dont je n'ai point trouvé le temps certain, & je les ai placez dans les intervales les plus vrai-femblables; toujours prêt à corriger mes fautes, quand je les aurai reconnues. J'ai fuivi les mêmes regles pour la géographie je m'en fuis rapporté à ceux qui

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