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I X.

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en ont fait une étude particuliere. Mais j'ai foigneufement obfervé de nommer les lieux conformément à l'ufage de chaque temps. Pendant ces premiers ficcles, je dis toujours la Gaule, la Germanie, grande Bretagne, la Lufitanic. Il me femble que c'eft faire un anacronifime. de parler autrement, & de nommer France ou Angleterre les païs où les Francs & les Anglois n'étoient pas encore. J'ai été plus embarraffe pour la traduction des noms propres, qui ne font pas familiers en notre langue ; & j'ai mieux aimé pour la plupart les laiffer entiers, comme on les prononce en grec & en latin, que de les trop défigurer, ou en rendre la prononciation incommode. Quant aux noms de dignitez & de fonctions, ou de certaines chofes qui regardent les mœurs, je les ai fouvent laiffez dans leur langue originale, les expliquant par circonlocution, plûtôt que de les rendre par les mots qui fignifient parmi nous des chofes approchantes, mais qui tiennent trop de nos moeurs. Ainfi je ne dis point un colonel, mais un tribun: je dis des licteurs, plûtôt que des fergens : je ne parle ni de gentilshommes, ni de bourgeois, mais de nobles, de citoïens, d'efclaves, enfin je conferve le caractere des mœurs antiques, autant que notre langue le peut fouffrir, & peut être avec un peu trop de hardieffe.

En general, j'ai moins fait d'attention à l'exactitude du ftile qu'au fonds des chofes, & j'efpere que le lecteur équitable prendra le même peu d'écrits des efprit: qu'il ne cherchera dans l'hiftoire ecclefiaftique que ce qui y eft; & qu'il s'appliquera plûtôt à en profiter, qu'à la critiquer. Quelquesuns trouvent mauvais que l'hiftoire ne dife pas tout. Pourquoi, difentils, avons-nous fi peu de chofe des apôtres, de leurs premiers difciples, des premiers papes; pourquoi les anciens ne nous ont-ils pas expliqué plus en détail les ceremonies, la difcipline & la police des églifes : les dogmes même de la religion? C'étoit la plainte des Ce nturiatcurs. Aveugles, qui ne voïoient pas que ces plaintes attaquent la Tom. 1. pref. providence divine, la promeffe de Jefus-Chrift d'affifter perpetuelle ment fon églife! Adorons avec un profond refpect la conduite de la fageffe incarnée, fans rien defirer au de-là de ce qu'il lui a plû de nous donner. C'eft fans doute par de très-folides raifons que Jefus-Chrift lui-même n'a rien écrit, & que fes apôtres ont écrit fi peu. Il y en a fept dont nous n'avons pas un mot, & plufieurs dont nous ne favons que les noms. Mais ce que les actes nous racontent de faint Pierre & de faint Paul fuffit pour nous faire juger des autres. Nous y voïons comment ils prêchoient aux Juifs, aux gentils, aux ignorans, aux fçavans: leurs miracles, leurs fouffrances, leurs vertus. Quand nous fraurions le même détail des actions de faint Barthelemi ou de faint Thomas, nous n'en tirerions pas d'autres inftructions: la curiofité feulement feroit plus fatisfaite mais elle eft de ces paffions que l'évangile nous apprend à mortifier. Au contraire le filence des apôtres eft d'une grande inftruction pour nous. Rien ne prouve mieux qu'ils ne cherchoient

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point leur propre gloire : que le peu de foin qu'ils ont pris de conferver dans la memoire des hommes les grandes chofes qu'ils ont faites. Il fuffiroit pour la gloire de Dieu & pour l'inftruction de la pofterité, qu'une petite partie fût connue: l'oubli qui enfevelit le reste, est plus avantageux aux apôtres que toutes les hiftoires: puifqu'il ne laiffe pas d'être conftant, qu'ils avoient converti des peuples innombrables. Tant d'églifes que nous voyons dès le fecond ficele dans tous les pays du monde, ne s'étoient pas formées toutes feulcs ; & ce n'étoit pas par hafard qu'elles confervoient toutes la même doctrine & la même difcipline. La meilleure preuve de la fageffe des architectes & du travail des ouvriers, eft la grandeur & la folidité des édifices.

Les difciples des apôtres fuivirent leurs maximes: Saint Clement Alexandrin fi proche de leur tems, en rend ce témoignage remarquable: Les anciens n'écrivoient point pour ne fe pas détourner du foin d'enseigner, ni d'employer à écrire le tems de méditer ce qu'ils devoient dire. Peut-être auffi ne croyoient-ils pas que le même naturel pût réuffir en l'un & en l'autre genre. Car la parole coule facilement & enleve promptement l'auditeur: mais l'écrit eft expofé à l'examen rigoureux des lecteurs. L'écrit fert à affurer la doctrine, faifant paffer à la pofterité la tradition des anciens: mais comme de plufieurs matieres l'aiman n'attire que le fer; ainfi de plufieurs lecteurs les livres n'attirent que ceux qui font capables de les entendre. Ce font les les de S. Clement. Il faut avouer toutefois que nous avons perdu un grand nombre d'anciens écrits, fans compter ceux dont Eufebe & Les autres font mention expreffe ; on ne peut douter que les évêques des grands fieges, & les papes en particulier n'écriviffent fouvent des lettres fur diverfes confultations : on en peut juger par celles du pape S. Corneille que S. Cyprien & Eufebe nous ont confervées, & par celles du pape S. Jules au fujet de S. Athanafe. Mais la perte de tant d'écrits fi précieux n'eft pas arrivée fans cette même providence, fans laquelle un paffereau ne tombe pas à terre.

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Laiffant donc les vains défirs, appliquons-nous à profiter de ce qui nous refte, & confiderons dans toute la fuite de l'hiftoire eccle- Utilité de l'hiffiaftique la doctrine, la difcipline, les mœurs. Ce ne font point ici des raifonnemens ni de belles idées, ce font des faits pofitifs qui n'en font pas moins vrais, foit qu'on les croye ou non, qu'on les étudie, ou qu'on les néglige. On voit une églife fubfiftante fans interruption par une fuitte continuelle de peuples fideles, de pafteurs & de miniftres, toujours vifibles à la face de toutes les nations, toujours diftinguće, non feulement des infideles par le nom de Chrétienne, mais des focietés heretiques ou fchifmatiques par le nom de Catholique ou Univerfelle. Elle fait toujours profeffion de n'enseigner que ce qu'elle a reçû d'abord, & de rejetter toute nouvelle doctrine : que fi quelquefois elle fait de nouvelles décisions & employe de nouveauxm ots,

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XI. Difcipline.

ce n'eft pas pour former ou exprimer de nouveaux dogmes, c'eft feulement pour déclarer ce qu'elle a toujours crû, & appliquer des remedes convenables aux nouvelles fubtilitez des heretiques. Au refte elle fe croit infaillible en vertu de la promeffe de fon fondateur; & ne permet pas aux particuliers d'examiner ce qu'elle a une fois décidé. La regle de la foi eft la revelation divine, comprise non feulement dans l'écriture, mais dans la tradition, par laquelle elle connoît même l'écriture.

Quant à la difcipline, nous voyons dans cette hiftoire une politique toute fpirituelle & toute celefte. Un gouvernement fondé fur la charité, ayant uniquement pour but l'utilité publique, fans aucun interêt de ceux qui gouvernent. Ils font appellez d'enhaut: la vocation divine fe déclare par le choix des autres pasteurs & par le confentement des peuples. On les choifit pour leur feul merite, & le plus fouvent malgré eux: la charité feule & l'obéiffance leur font accepter le miniftere, dont il ne leur revient que du travail & du peril; & ils ne comptent pas entre les moindres perils celui de tirer vanité de l'affection & de la veneration des peuples, qui les regardent comme tenant la place de Dieu même. Cet amour refpectueux du troupeau fait toute leur autorité, ils ne prétendent pas dominer comme les puiffances du fiecle, & fe faire obéir par la contrainte exterieure: leur force eft dans la perfuafion : c'eft la fainteté de leur vie, leur doctrine, la charité qu'ils témoignent à leur troupeau par toutes fortes de fervices & de bienfaits qui les rendent maîtres de tous les cœurs. Ils n'ufent de cette autorité que pour le bien du troupeau même; pour convertir les pecheurs, reconcilier les ennemis, tenir tout âge, tout fexe dans le devoir & la foumiflion à la loi de Dieu. Ils font maîtres des biens comme des cœurs, & ne s'en fervent que pour affifter les pauves; vivant pauvrement eux-mêmes, & fouvent du travail de leurs mains. Plus ils ont d'autorité, moins ils s'en attribuent; ils traitent de freres les prêtres & les diacres, ils ne font rien d'important fans leur confeil & fans la participation du peuple. Les évêques s'affemblent fouvent pour délibérer en commun des plus grandes affaires, & fe les communiquent encore plus fouvent par lettres ; en forte que l'églife repandue par toute la terre habitable n'eft qu'un scul corps parfaitement uni de créances & de maximes.

La politique humaine n'a aucune part à cette conduite. Les évêques ne cherchent à fe foutenir par aucun avantage temporel, ni de richeffes, ni de credit, ni de faveur auprès des princes & magiftrats; même fous pretexte du bien de la Religion. Sans prendre de parti dans les guerres civiles, fi frequentes en un empire electif, ils recoivent paifiblement les maîtres que la providence leur donne, par le cours ordinaire des chofes humaines, ils obéiffent fidelement aux princes payens & perfecuteurs, & résistent courageufement aux princes Chrétiens, quand ils veulent appuyer quelque erreur ou troubler la discipline,

Mais leur réfiftance fe termine à refufer ce qu'on leur demande contre les regles, & à fouffrir tout & la mort même, plûtôt que de l'ac. corder. Leur conduite eft droite & fimple, ferme & vigoureufe fans hauteur, prudente fans fineffe ni deguifement. La fincerité eft le caractere propre de cette politique celefte: comme elle ne tend qu'à faire connoître la verité, & à pratiquer la vertu, elle n'a befoin ni d'artifices ni de fecours étrangers: elle fe foutient par elle-même, Plus on remonte dans l'antiquité ecclefiaftique, plus cette candeur & cette noble fimplicité y éclate; enforte que l'on ne peut douter que les apôtres ne l'ayent infpirée à leurs plus fideles difciples, en leur confiant le gouvernement des églifes; s'ils avoient eu quelqu'autre fecret, ils leur auroient enfeigné, & le tems l'auroit découvert. Et qu'on ne s'imagine point que cette fimplicité fût un effet de peu d'efprit ou de l'éducation groffiere des apôtres & de leurs premiers difciples; les écrits de S. Paul, à ne les regarder même que naturellement, ceux de S. Clement pape, de S. Ignace, de S. Policarpe, ne donneront pas une opinion mediocre de leur efprit ; & pendant les fiecles fuivans on voit la même fimplicité de conduite, jointe à la plus grande fubtilité d'efprit, & la plus puiffante éloquence.

Je fçai que tous les évêques, même dans les meilleurs temps, n'ont pas également fuivi ces faintes regles, & que la difcipline de l'églife ne s'eft pas confervée auffi pure & auffi invariable que la doctrine. Tout ce qui gift en pratique, dépend en partie des hommes, & fe fent de leurs défauts. Mais il eft toujours conftant, que dans les premiers fiecles, la plupart des évêques étoient tels que je les décris, & que ceux qui n'étoient pas tels, étoient regardez comme indignes de leur miniftere. Il eft conftant que dans les ficcles fuivans on s'eft toujours proposé pour regle cette ancienne difcipline: on l'a confervée ou rappellée autant que l'ont permis les circonftances des lieux & des temps. On l'a du moins admirée & fouhaitée : les vœux de tous les gens de bien ont été pour en demander à Dieu le rétablissement; & nous voyons depuis deux cens ans un effet fenfible de ces prieres. C'en eft affez pour nous exciter à connoître cette fainte antiquité, & nous encourager à l'étudier de plus en plus.

Enfin la derniere chofe que je prie le lecteur de confiderer dans cette hiftoire, & qui eft plus univerfellement à l'ufage de tous, c'est la pratique de la morale Chrétienne. En lifant les livres de pieté anciens & modernes, en lifant l'évangile même, cette penfée vient quelquefois à l'efprit: Voilà de belles maximes, mais font-elles pratiquables? des hommes peuvent-ils arriver à une telle perfection? En voici la démonftration: ce qui fe fait réellement eft poffible, & des hommes peuvent pratiquer avec la grace de Dieu ce qu'elle a fait pratiquer à tant de faints, qui n'étoient que des hommes. Et il ne doit refter aucun doute touchant la verité du fait: on peut s'affurer, que tout ce que j'ai mis dans cet ouvrage eft auffi certain, qu'aucune hiftoire que nous ayons.

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On verra donc ici tout ce que les philofophes ont enfeigné de plus excellent pour les mœurs, pratiqué à la lettre & par des ignorans, des ouvriers, de fimples femmes. On verra la loi de Moïfe bien au-deffus de la philofophie humaine, amenée à fa perfection par la grace de J. C. Et pour entrer un peu dans le détail, on verra des veritablement humbles, méprifant les honneurs, la réputation, contens de paffer leur vie dans l'obfcurité, & l'oubli des autres hommes. Des pauvres volontaires, renonçant aux voyes légitimes de s'enrichir; ou même fe dépouillant de leurs biens pour en revêtir les pauvres. On verra la douceur, le pardon des injures, l'amour des ennemis, la patience jufqu'à la mort & aux plus cruels tourmens, plûtôt que d'abandonner la verité. La viduité, la continence parfaite, la virginité même, inconnuë jufqu'alors, confervée par des perfonnes de l'un & de l'autre fexe, quelquefois jufques dans le mariage. La frugalité & la fobrieté continuelles, les jeûnes frequens & rigoureux, les veilles, les cilices, tous les moyens de châtier le corps & de le réduire en fervitude: Toutes ces vertus pratiquées, non par quelques perfonnes diftinguées, mais par une multitude infinie. Enfin des folitaires innombrables, qui quittent tout pour vivre dans les deferts, non feulement fans être à charge à perfonne, mais le rendant utiles même sensiblement, par les aumônes & les guerifons miraculeufes; uniquement occupez à dompter leurs paffions, à s'unir à Dieu, autant qu'il eft poffible à des hommes chargez d'un corps mortel. Mais je ne prétens pas en être cru fur ma parole: jugez-en vous-mêmes, Lifez & voyez.

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