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PREFACE.

pro

E fujet de l'hiftoire ecclefiaftique eft de reprefenter la fuite du Chriftianifine, depuis fon établiffement. Car la veritable religion a cet avantage, que l'origine en eft certaine, & la tradition fuivie jufqu'à nous, fans aucune interruption. Son origine eft certaine, puifqu'il eft conftant, par le témoignage même des infideles, que JESUS-CHRIST eft venu au monde il y a près de dix-fept cens ans. Nous avons entre les mains fon hiftoire écrite par fes difciples témoins oculaires: nous avons les pheties qui l'avoient promis fi long-tems auparavant ; & nous en fçavons les dattes & les auteurs, à remonter jufqu'à Moïfe, dont les livres font les plus anciens qui foient au monde. Il n'en eft pas de mê-. me des fables fur lefquelles étoit fondée la religion des Grecs & des autres anciens païens. Les poëtes qui étoient leurs prophetes & leurs théologiens, fe difoient bien en general inftruits par les mufes ou par d'autres divinitez: mais ils n'en donnoient aucune preuve ; ils n'ofoient même marquer les circonftances des faits merveilleux qu'ils racontoient, ni en citer les témoins. Aucun n'a jamais dit qu'il eût vû Jupiter changé en taureau ou en cygne, Neptune fecoüant la terre de fon trident; le chariot du Soleil ou de la Lune. Ce n'étoit que des contes de vieilles & de nourrices, confacrez par un refpect aveugle pour l'antiquité, & ornez par les charmes de la poëfic, de la mufique & de la peinture; & comme ces fables s'étoient formées en divers païs & en divers tems, elles étoient pleines d'une infinité de contradictions qu'il étoit impoffible d'accorder. Nous voyons la même chofe dans les Indes & chez tous les idolâtres modernes. Des hif

toires prodigicufes, & femblables aux fonges les plus extravagans, avancées fans aucune preuve, fans aucune circonftance de tems ni de lieux, fans aucun rapport à ce que l'on peut connoître d'ailleurs d'hiftoire véritable; fans fuite, fans liaison avec le prefent.

Il eft vrai que l'on fçait l'origine de la fuite du Mahometifme: mais auffi n'y voit-on rien que de naturel. Un homme hardi, habile & éloquent en fa langue, quoique d'ailleurs très-ignorant, a féduit des ignorans comme lui, fous prétexte de ruiner l'idolâtrie décrice depuis plufieurs fiécles; & leur a propofé une créance fans myfteres,&despratiques conformes à leurs mœurs. Il s'eft établi les armes à la main, & a fait des conquêtes que fes fucceffeurs ont pouffé plus loin: il n'y a rien là au-deffus du cours ordinaire des chofes humaines. Ceux qui ont attribué quelques miracles à Mahomet n'ont écrit que long-tems après; & lui-même qui doit en être crû, dit pour toute réponse à ceux qui lui

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I. Matiere de l'hiftoire eccle faftique.

demandent des preuves de la miffion; que Dieu ne l'a pas envoïé pour faire des miracles: & que Moïfe & JESUS en ont affez fait. Au reste nous ne voïons point que cette religion ait fubfifté en aucun lieu,nonfeulement fous la perfecution, mais fous une domination étrangere.

C'est donc le caractere propre de la vraie religion d'être également certaine & merveilleufe. Les miracles étoient néceffaires pour témoigner que Dieu parloit,& reveiller les hommes accoutumez à voir les merveilles de la nature fans les admirer. La preuve des miracles étoit neceffaire auffi, afin que la foi fût raifonnable,& differente de la credulité aveugle, qui fuit au hazard tout ce qui lui eft propofé comme merveilleux. Or la même bonté par laquelle Dieu a fait tant de miracles, pour nous rappeller à lui,en s'accommodant à notre foibleffe,l'a porté à les faire à la plus grande lumiere du monde : je veux dire dans les tems & les lieux les plus propres à en conferver la memoire. Moïfe a fait fes miracles en Egypte, dans la ville capitale, en préfence du Roi, dans le tems où lesEgyptiens étoient les plus fçavans&les plus polis de tous les hommes;& il en a eu pour témoin un peuple entier, qu'il a délivré, & à qu'il a donné des loix écrites par lui-même dans le même livre qui contient tous fes miracles. J. C. eft venu du tems d'Augufte, dans le fiécle le plus éclairé de l'empire Romain: dont il nous reste un fi grand nombre d'écrits, qu'il nous est beaucoup plus connu que chez nous le regne de Louis le jeune. J.C. devoit naître en Judée fuivant les propheties: il a enfeigné fa doctrine, & fait la plûpart de fes miracles à Jerufalem, qui en étoit la capitale : il y eft mort & reffufcité. Ses difciples fe font auffi-tôt répandus par tout l'empire Romain, & peu de tems après par tout le monde. Ils ont prêché d'abord dans les plus grandes villes, à Antioche, à Alexandrie, à Rome même : ils ont enfeigné à Athenes, à Corinthe, par toute la Grece : dans les villes les plus fçavantes,les plus corrompues, les plus idolâtres. C'eft à la face de toutes les nations, des Grecs,des barbares, des fçavans des ignorans, des Juifs, des Romains, des peuples & des princes, que les difciples de J. C. ont rendu témoignage des merveilles qu'ils avoient vûës de leurs yeux, oüies de leurs oreilles, & touchées de leurs mains,& particulierement de fa réfurrection. Ils ont foutenu ce témoignage fans aucun interêt, & contre toutes les raifons de la prudence humaine, jufques au dernier foupir ; & l'ont tous fcellé de leur fang. Voilà l'établiffement du Chriftianifme.

Qu'est-il arrivé depuis? Cette doctrine fi incroiable, cette morale fi contraire aux paffions des hommes, ont-elles pû fe foutenir? N'y a-t'il point quelque vuide, quelque interruption? Par où en avonsnous la connoiffance? Par une fucceffion fuivie de docteurs & de difciples, par des écrits publiez d'âge en âge, & confervez de main en main par des traditions qui ont paffé des peres aux enfans; par affemblées folemnelles en chaque province & en chaque ville, pour l'éxercice de cette religion, & par les bâtimens deftinez à ces ufages,

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dont quelques-uns fubfiftent depuis mille ans:tout cela fans aucune interruption. Depuis que S. Pierre & S. Paul ont fondé l'églife Romaine, il y a toujours eu à Rome un pape chef des Chrétiens; nous en fçavons toute la fuite & tous les noms jufqu'à Innocent XII. Nous avons la fuite de tous les évêques de Jerufalem, d'Antioche, d'Alexandrie de Conftantinople. Pour venir chez nous, nous connoiffons les évêques de Lyon depuis S. Pothin & S. Irenée; de Toulouse depuis S. Saturnin; de Tours depuis S. Gatien; de Paris depuis S.Denis;& les églifes même dont l'origine eft plus obfcure, ont une fucceffion connuë depuis environ mille ans. C'eft la preuve la plus fenfible de la vraie religion. Toute église qui remonte jufqu'aux premiers ficcles, montrant une fuite de pafteurs toujours unis de communion avec les autres églifes, & principalement avec l'église Romaine : toute églife qui a cet avantage, eft catholique. Au contraire on connoît les focietez des heretiques, parce qu'en remontant on trouve plûtôt ou plus tard le tems précis auquel ils fe font féparez de l'églife où ils étoient nez. La doctrine nouvelle ou particuliere eft fauffe: la veritable est celle qui a toujours été enfeignée par toute l'églife.

C'eft la matiere de l'hiftoire ecclefiaftique: cette heureuse fucceffion de doctrine, de difcipline, de bonnes mœurs. Si cette connoiffance n'eft pas également neceffaire à tous: du moins il n'y a perfonne à qui elle ne foit très-utile. Rien n'eft plus propre à nous confirmer dans la foi, que de voir la même doctrine que nous enfeignonsaujourd'hui, enfeignée dès le commencement par les martyrs,& confirmée par tant de miracles. Plus la difcipline eft entiere, plus elle eft venerable; foit dans la forme des prières, foit dans la pratique des jeunes, foit dans l'administration des facremens & les autres faintes ceremonies. Enfin les exemples des Saints nous font voir en quoi confifte la folide pieté ; & détruifent nos mauvaises excufes, en montrant que la perfection chrétienne eft poffible, puifqu'ils l'ont effectivement pratiquée. Ce font les trois parties que je me fuis propofé de reprefenter dans toute la fuite de cette hiftoire: la doctrine, difcipline, les mœurs.

la

Mon deffein n'eft pas de repaître la vaine curiofité de ceux qui ne cherchent qu'à voir des faits nouveaux ou extraordinaires: ou qui lifent par fimple amufement pour fe defennuïer: ils ont des hiftoires profanes, & des livres de voïages. J'écris pour les Chrétiens qui aiment leur religion, qui veulent s'en inftruire de plus en plus, & la reduire en pratique. Je n'écris pas toutefois pour les théologiens & les gens de lettres: ils apprendront mieux l'hiftoire ecclefiaftique dans les autres originaux dont je l'ai tirée. Si ce n'eft que quelqu'un encore nouveau dans cette étude veüille s'aider de mes citations, pour trouver plus facilement les pieces qu'il doit confulter. J'écris principalement pour ceux de quelque condition qu'ils foient, qui n'ont ri les connoiffances neceffaires, ni le loifir, ni la commodité de lire

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tant de livres ; mais qui ont de la foi, du bon fens, de l'amour pour la verité; qui lifent pour apprendre des veritez utiles, & en devenir meilleurs,qui veulent connoître le chriftianifme grand&folide comme il eft; & en féparer tout ce que l'ignorance & la fuperftition y ont voulu mêler de tems en tems. Je vois bien que cette hiftoire ne plaira pas aux petits efprits attachez à leurs préjugez, & toujours prêts à condamner ceux qui les veulent défabufer: détournant leurs oreilles 2. Tim. 1. v.3.4 de la verité pour fe tourner à des fables, cherchant des docteurs felon leurs defirs. Ils ne trouveront que trop d'autres livres felon leur goût. C'eft pour me rendre utile au commun des perfonnes fenfées que j'écris en françois,au hazard de ne pas affez bien exprimer la force du latin & du grec, & de m'écarter de la pureté de ma langue.

I I I.

Je ne compte pour preuves que les témoignages des auteurs oriChoix des faits. ginaux ; c'eft-à-dire de ceux qui ont écrit dans le tems même, ou peu après. Car la mémoire des faits ne fe peut conferver long-tems fans écrire: c'eft beaucoup fi elle s'étend à un fiécle, depuis que la vie des hommes eft bornée à foixante ou quatre-vingt ans. Un fils peut fe fouvenir après cinquante ans, de ce que fon pere ou fon aïeul lui auront raconté cinquante ans après l'avoir vû. Les faits qui paffent par plufieurs degrez n'ont plus la même fûreté : chacun y ajoûte du fien, même fans y penfer. C'eft pourquoi les traditions vagues de faits trèsanciens qui n'ont jamais été écrits ou fort tard,ne meritent aucune créance:principalement quand elles repugnent aux faits prouvez. Et qu'on ne dife point que les hiftoires peuvent avoir été perduës: car comme on le dit fans preuve, je puis dire auffi qu'il n'y en a jamais eu. Il en eft de même à proportion des auteurs qui ont écrit des faits plus anciens qu'eux de plufieurs fiécles: s'ils ne citent leurs auteurs, on a droit de les foupçonner d'avoir crû trop legerement des bruits popu laires.Mais quand un auteur grave nomme les auteurs plus anciens, dont il a tiré ce qu'il raconte,il en doit être crû, quoique les auteurs plus anciens foient perdus, Ainfi Eufebe tient lieu d'original pour les trois premiers fiécles, parce qu'il avoit quantité d'écrits que nous n'avons plus,dont fouvent il rapporte les propres paroles,& par ceux qui nous restent, nous voïons qu'il cite fidelement. Toutefois quand un auteur ancien en cite un plus ancien que nous avons, il faut toujours confulter l'original,& cette précaution eft encore plus neceffaire,quand celui qui cite eft moderne. Ainfi quoique Baronius non-feulement cite fes auteurs, mais en tranfcrive les paffages: je ne voudrois pas me contenter de fon autorité. Quiconque veut fçavoir fûrement l'histoire ecclefiaftique,doit confulter les fources d'où Baronius l'a tirée ; d'autant plus qu'il a donné pour autentiques des pieces dont la fuppofition a été reconnue depuis,& que les verfions des auteurs grecs, dont il s'eft fervi, ne font pas toujours fideles. Son travail ne laiffe pas d'être d'une très-grande utilité à l'églife; & je reconnois que c'eft fur ce fonds principalement que j'ai travaillé; tâchant d'y joindre tout ce que les fçavans ont découvert depuis un fiècle.

Les auteurs même contemporains ne doivent pas être fuivis fans examen, & c'est tout cet art d'examiner les preuves, que les gens de lettres nomment critique. Premierement il faut fçavoir fi les écrits font véritablement de ceux dont ils portent les noms. Car on en a fuppofé plufieurs, principalement pour les premiers fiécles. Quiconque est un peu inftruit ne s'arrête plus aujourd'hui aux prétendus actesde S.Pierre par S. Lin, & de S. Jean par Prochore, aux faux Hegefippes, aux décretales attribuées aux premiers papes:on a reconnu entre les ouvrages de la plupart des peres de l'églife, des fermons & des autres pieces, qu'on avoit fait mal-à-propos paffer fous leur nom. Quand l'auteur eft certain, il faut encore examiner s'il eft digne de foi : à peu près comme on examine des témoins en juftice. Celui dont le ftile montre de la vanité, peu de jugement, de la haine, de l'interêt, ou quelqu'autre paffion: merite moins de créance qu'un autre ferieux, modeste, judicieux, dont la vertu & la fincerité font d'ailleurs connues. Les hommes trop fins ou trop groffiers font prefque également fufpects: ceux-ci ne fçavent pas dire ce qu'ils veulent, ceux-là donnent fouvent pour veritez leurs penfées & leurs conjectures. Celui qui a vû est plus croïable que celui qui a feulement oui dire; & à proportion on doit préferer l'habitant du païs à l'étranger, celui qui rapporte fes propres affaires aux perfonnes indifferentes. Car chacun doit être crû fur fa doctrine, fur l'hiftoire de fa fecte : nul autre n'en eft jamais si bien informê, les étrangers & les ennemis font fufpects, mais on prend droit fur ce qu'ils difent de favorable au parti contraire.Ce qui eft contenu dans les lettres & les autres actes du tems, doit être préferé au recit des hiftoriens.C'eft pat ces regles que l'on doit fe déterminer fur les contradictions des écrivains contemporains. S'il n'y a que la diverfité,il faut les concilier: s'il eft impoflible, & que le fait foit important, il faut choifir. Je fçai qu'il eft plus commode pour l'hiftorien de rapporter les differentes opinions des anciens; & en laiffer le jugement aux lecteurs. Mais ce n'eft pas le plus agréable pour eux. La plupart cherchent des faits certains, ils ne veulent pas étudier, mais profiter des études d'autrui;& n'aiment pas à douter, parce que c'eft tonjours ignorer. C'est ce qui m'a fait prendre le parti d'omettre la plupart des faits douteux, d'autant plus que je ne manquois pas de matiere.

Mais je n'ai pas crû devoir rapporter tous les faits qui font bien prouvez: j'ai laiffé ceux qui m'ont paru inutiles à mon deffein;c'est-àdire, à montrer la doctrine de l'églife, fa difcipline & fes mœurs. Il eft vrai que dans les premiers ficcles tout m'a paru précieux, & j'ai mieux aimé en mettre plus que moins. J'ai même paffé les bornes de la fimple narration, en inferant des paffages ou des extraits affez longs des auteurs anciens. Mais j'ai confideré que l'hiftoire même profane nc confifte pas feulement en des faits exterieurs&fenfibles. Elle ne se contente pas de raconter les voïages,les batailles,les prifes de villes, la mort ou Ia naissance des princes:elle explique leurs deffeins, leurs confeils, leurs maximes; cette partie est d'ordinaire la plus agréable aux gens sensez,

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