Il m'eft bien doux de voir, genereute Princeffe Qu'en mon fort rigoureux votre cœur s'intereffe Mais je ne puis payer ces tendres fentimens Que du trifte recit de mes cruels tourmens; Et puifqu'il faut enfin par cette confi lence Vous prouver aujourd'hui toute ma confiance, Madame, connoiflez, & l'époux, & le Roi Dont on veut vous offrir, & le trône, & la foi. Sur tout dans mon difcours, dépouillé d'artifice, A ma fincerité rendez cette juftice,
Que ce ne fera point pour éloigner vos yeux Du rang que vos vertus m'arrachent en ces lieux. Du cruel Melgoris je reçûs la naiflance,
Seul fruit de fon hymen, il cherit mon enfance, Et me voyant l'objet des vœux des plus grands
Il voulut d'un époux me remettre le choix. Mon cœur n'abufa point de cette confiance, Du Roi de Getulie il craignoit la puiffance, Et pour mieux l'attacher à mon pere,
Je le fis preferer pour lui donner ma foi.
Cet hymen fe conclût, & dans moins d'une an
Je mis au jour le fruit de ce trifte hymenée ; Melgoris auffi-tôt fut confulter les Dieux Pour favoir de mon fils le deftin glorieux. Princeffe, c'eft ici la caufe déplorable, Des larmes dont je rends la fource inépuisable: L'impitoyable Ciel, jaloux de mon repos Sur le fort de mon fils s'expliqua par ces mots : Melgoris, de ta fille un Heros vient de naître Que cent peuples divers reconnoîtront pour maître,
Dont on admirera les travaux glorieux, Cheri par les vertus des hommes & des Dieux;
Mais qui malgré tes foins, & malgré ta pru
Doit te ravir un jour la fuprême puiffance. Ce Monarque effrayé des menaces des Dieux, Rentre dans fon palais, agité, furieux;
Sa tendreffe pour moi change en haine implaca ble,
Des arrêts du deftin il croit mon cœur coupable; Il fait prendre Albius mon époux malheureux Et condamne mon fils au fort le plus affreux. Mes prieres mes cris, mes larmes ni mes plains
Ne peuvent l'attendrir ni diffiper fes craintes, Et preffé d'être enfin de fon fang le bourreau Par fon ordre mon fils a la mer pour tombeau. Que deviens-je au recit de ce crime effroyable, Mon pere me parût un monftre épouventable, Et craignant pour les jours de mon cher Albine Je courus le chercher, mais il ne vivoit plus; Il avoit fçû d'Habis la trifte deftinée, Et croyant qu'à le fuivre on m'avoit condamnée pouvant nous vanger par un illuftre effort, Ce Prince infortuné s'étoit donné la mort.
A ce dernier malheur, jugez, jugez, Madame, Quel fut le defpoir où je livrai mon ame:
Pour fuivre mon époux, cent fois j'armai mon
Et cent fois Melgoris empêcha mon trepas, Mais le cruel, helas! ne conferva ma vie Que pour jouïr des maux dont elle eft poursuivic; Le fujet de mes pleurs pouvoit feul le charmer, Dans cet affreux palais il me fit enfermer. Depuis ce jour fatal aux tourmens condamnée J'y pleure les malheurs où je fus deftinée.
Je ne puis exprimer la furprife, & l'horreur. Que ce recit funefte a jetté dans mon cœur. Que votre fort, helas! grande Reine, eft à plaindre
Mais moi-même, à mon tour, que ne dois-je pas
craindre ? Etrangere en ces lieux, fans appui, fans amis, Quel efpoir de fecours pourra m'être permis? Vous le favez, Madame, une guerre mortelle. Sembloit dans Garama devoir être éternelle.. Depuis fix ans entiers les cruels Lybiens Accabloient nos fujets des plus honteux liens. Quand mon pere du vôtre implora l'afsistance Melgoris avec joie accepta l'alliance, Et lui fit propofer par fes Ambaffadeurs D'unir par notre hymen, leurs Etats
Qu'à ces conditions il offroit une armée, Sous le jeune Hefperus à vaincre accoutumée. Mon pere fe voyant preffé de toutes parts, L'orgueilleux Lybien menaçant nos remparts, Conclut fans balancer le fatal hymenée, Où je fuis en ce jour malgré moi condamnée. Cependant Helperus, heros cheri des Dieux, Dont on ignore encore le rang & les aïeux, Choifi par Melgoris pour finir nos allarmes Vint bien-tôt attacher la victoire à nos armes. De nos triftes fujets il ranima les cœurs, Fit trembler la Lybie,& vainquit nos vainqueurs Et fa rare valeur dans le cours d'une année Nous fit voir par la paix la guerre terminée.. Mais tandis que chacun oublioit fes malheurs- J'abandonnois mon ame aux plus vives douleurs Je voyois approcher la cruelle journée Ou je devois quitter les lieux ou je fuis née.. Je l'avouerai, Madame, une fecrette horreur Au nom de Melgoris, s'emparoit de mon cœur ;; J'avois fçû d'Hefperus la déplorable hiftoire Des maux dont vous gardez la funefte memoire.. J'admirois vos vertus, je plaignois vos malheurs,, Et vous étiez fouvent la caufe de mes pleurs.. Il fallut cependant par une loi fevere..
Me réfoudre à quitter ma patrie, & mon pere: Je partis, & d'hier arrivée en ces lieux, Melgoris un moment s'eft offert à mes yeux; Et voulant profiter de l'inftant favorable, Où son air n'avoit rien d'un tyran redoutable, Après ce qu'exigeoit envers lui mon devoir J'ofai lui demander le bonheur de vous voir : Il me parut furpris de mon impatience Mais craignant qu'un refus montrât fa défiance Madame, il me permit de venir aujourd'hui Vous jurer que mon cœur eft plus à vous qu'à lui. Je ne fais cependant ce que l'on doit attendre Du bruit que dans ces lieux le peuple fait répandre. On dit Habis vivant, & qu'échappé des eaux Il vient pour vous vanger, & finir tous vos maux,
Déja jufques à moi, ce bruit s'eft fait entendre, J'en ignore la caufe, & je crains de l'apprendre, Je fais trop de mon fils le deplorable fort, Le genereux Phefrès fut temoin de fa mort. Et je ne pense pas qu'il m'eût fait un mystere Du falut d'une vie à mes defirs fr chere: Ce Phefrès que l'on voit cheri de Melgoris que j'avois choifi pour élever mon fils, Condamnant de fon Roi l'injuftice & la rage Voulant fauver Habis courut fur le rivage, Afin de l'arracher à la fureur des eaux ; Quel fpectacle, grands Dieux ! trifte jouet des flots, 11 vit long-tems fon corps errer à l'avanture Et dans un gouffre affreux trouver fa fepulture. En vain donc l'on voudroit me donner quelque efpoir Je fuis trop fûre, helas! de ne le plus revoir. Mais, quand des Dieux enfin la fuprême puissance Auroit fauvé les jours de tant de violence, Melgoris aujourd'hui veut-il moins fon trepas; Et fi pour fe vanger mon fils armoit fon bras, Sur qui porter fes coups? fur un Roi ? fur un Pere § Que malgré les fureurs mon cœur encor revere :
Ah! s'il faut à ce prix qu'Habis me foit rendu, Que pour moi cet efpoir à jamais foit perdu. J'aime mieux mille fois, dans le fort qui
m'accable Le voir mort innocent, que vivant & coupable. ERIXES NE.
Ah! de tant de vertus les Dieux feront touchez. AXIAN E.
A me perfecuter ils font trop attachez.
Mais bien-tôt de ces bruits Phefrès viendra m'inftrui
Par fon ordre déja Narbas m'eft venu dire
Qu'en mon appartement on ne me retient plus, Et que ce changement vient des foins d'Hefperus. On dit que ce heros à me fervir s'empreffe: J'ignore dans mon fort quel motif l'intereffe: Je ne l'ai jamais vû.
Peut-être que les Dieux, Pour finir vos malheurs, l'ont conduit en ces
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