Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fure, ou tout au plus un a abouquel, qui vaut 44. parats à la Canée & 42. feulement à Retimo, L'empreffement de nos marchands, malgré les ordres que vous aviez donnez, Monfeigneur, de ne faire partir les Bâtimens que par rang, fit monter la mefure jufques à 60. ou 66. parats: ces parats font des pièces d'argent de mauvais alloi, de la valeur de fix liards de France, ou dix-huit deniers de Provence.

Outre les forêts d'Oliviers, il y a beaucoup de jardins au tour de la Canée, plantez tout de même que ceux du refte de la Turquie, fans ordre, fans fimetrie, fans propreté. Dans ces vergers négligez, les arbres ne donnent que de mauvais fruits: on n'y cultive que de méchantes efpéces & l'on ne fcait ce que c'eft que les greffer, Les Figues y font fades & les Melons n'y valent gueres mieux. Nous allâmes nous promener au Varrouil, pour voir le jardin du Gouverneur de la ville, dont on parloit comme du Paradis terreftre, Avant que de le décrire, il eft bon de remarquer que le Varrouil étoit autrefois le plus beau bourg de Candie. Les Turcs le brûlerent pendant le dernier fiége de la Canée,de peur que les Vénitiens ne s'y établiffent. Les Grecs, foit artifans, ou habitans de la Canée étoient obligez d'aller coucher toutes les nuits à ce bourg, ou plutoft à ce fauxbourg de la ville, dans laquelle ils revenoient le matin à l'ouverture de

la
porte de terre. On a voulu les obliger à le réta-
blir; mais comme leur mifére eft extrême, ils
n'ont fçû le rélever, & l'on n'y voit que de pito

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

2

yables reftes de l'incendie. Perfonne n'a profité de la deftruction du Varrouil, que nos François qui s'y ruinoient en plaifirs.

Le jardin de ce Gouverneur eft un petit bois d'Orangers, de Limons, & de Cédres entremêlez de Pruniers, de Poiriers & de Cerifiers. Les Orangers y font pour le moins auffi forts que dans les plus beaux vergers de Lisbonne, quoiqu'ils y foient encore plus négligez; malgré cette négligence, tous chargez de bois, ou mort, ou fuperfu, ils donnent des fleurs avec profufion, entaffées par gros bouquets les unes fur les autres. On ne cultive en Portugal que cette excellente espéce d'Oranger connue par toute l'Europe, fous le nom d'Oranger de Portugal, & que les Portugais nomment Oranger de la Chine: on ne la connoît pas en Candie, ni dans le reste de la Turquie. Dans ce pays-là chacun fe contente de ce qu'il a trouvé dans fon jardin & de ce qui y croît fans culture: auffi tout y eft fauvageon. L'Orange ordinaire du Levant eft la groffe Orange douce, ou plûtoft fade, couverte d'une écorce épaiffe, amére & comme fpongieufe. On y éleve des Bigarrades

C

& des Cédres ou Poncires : ces Poncires font de beaux fruits; mais on n'en fçauroit guéres manger s'ils ne font confits, & les Candiots n'ont pas l'efprit de le faire. Le jardin du Gouverneur de la Canée étoit entretenu, ou plutoft négligé par un malheureux moine Grec qui n'avoit pas feulement une chemife, & qui ne fçavoit ni lire ni écrire, non plus que trois ou quatre de fes confreres, que la gratelle devoroit. Ces pauvres gens

C

[ocr errors]

a Quintas, en Portugais.

b Naranca da China.

Malus Aurantia major C.

B. Pin. 436. d Caloyer.

nous prefentérent quelques branches d'Orangers chargées de fleurs & de fruits. Nous leur apprîmes à fe guerir par le moyen du foufre.

En revenant à la Canée, nous fumes fort incommodez de l'horrible puanteur des cimetières. Tout le monde fçait que les Turcs enterrent les morts fur les grands chemins; cette pratique feroit excellente, s'ils faifoient les foffes affez profondes: comme la Candie eft un pays fort chaud, on fent de très-mauvaises odeurs, quand on eft au deffous du vent les Turcs élevent une pierre à chaque bout de la foffe ; quelquefois c'eft un pilier de mar bre orné d'un turban, au lieu de chapiteau; on diftingue par là les endroits où l'on a enterré des perfonnes de quelque confidération.

Je ne fçaurois m'empefcher de parler ici de l'étonnement où nous fumes Mr Gundelfcheimer & moi, dans cette premiére promenade. Débarquez à la Canée, à peine eûmes-nous falué le conful, que nous courûmes à la porte de la ville, avec le Chancelier de la nation, pour voir quelles plantes produifoit cette belle terre de Candie, après laquelle nous foupirions depuis Marseille. Il croît dans les rues de la Canée une efpéce de ↳ Juliene à grande fleur & à feuilles luifantes, qui n'est pas à négliger: nous nous flations de trouver quelque chofe de plus rare hors de la ville, malheureusement nous n'en prîmes pas le chemin. Suivant les murailles à droite, nous paffàmes par des terres fi graffes, qu'elles ne produisent que du foin & d'autres plantes fort communes. Je m'imaginai être à Barcelonne; où, de même qu'à la Canée, tous les remparts font couverts de ces fleurs

• M. Efmenard.

Hefperis Cretica mariti

ma, folio craffo lucido, magno flore.

jaunes, que les Grecs n'ont pas crû pouvoir défi gner plus proprement que par le nom de a fleurs dorées. Notre étonnement augmentoit à mefure que nous avancions vers la mer, où nous esperions pourtant de mieux trouver nôtre compte. En effet, nous commençâmes à nous confoler à la veuë de l'Acanthe épineufe que nous n'avions veû que dans des jardins de l'Europe, & bien fouvent on n'a pas moins de plaifir à trouver une plante rare dans fon lieu naturel, que d'en découvrir une inconnue.

Cet endroit eft une efpéce de plage couverte de * Polium cotonneux de P. Alpin fameux Profeffeur de Padouë, qui la décrivit & la fit graver, il y a près de 50. ans, comme une plante differente de celle que C. Bauhin, célébre Profeffeur de Bafle, avoit nommée Gnaphalium maritime je puis affeûrer que ces deux plantes ne différent en rien. P. Alpin fuivant les apparences n'avoit pas veû la plante de C. Bauhin, quoiqu'elle foit très-commune en Italie fur les bords de la mer. On ne voit à la Canée fur la plage dont nous parlons, que e Chicorée épineufe, & Thym de Créte; mais ces deux plantes aiment les landes & les rochers. Je fus ravi de revoir en Candie le f Thym de Créte que j'avois obfervé depuis quelques années auprès de Seville & de Carmone en Andaloufie. Néanmoins comme nous nous attendions à quelque

[blocks in formation]

pour

chofe de plus extraordinaire, nôtre chagrin revenoit à chaque pas que nous faifions : car enfin, Monfeigneur, nous n'étions venus en Candie que herborifer, & c'étoit fur la foi de Pline & de Galien, qui ont préferé les plantes de cette Ifle à celles du refte du monde. Nous nous regardions de temps en temps fans ofer nous expliquer, hauffant les épaules, & pouffant des foupirs du fond du cœur, für tout en fuivant de petits ruiffeaux qui arrofent cette belle plaine de la Canée, tous bordez de jones & de plantes fi communes, que nous n'euffions pas daigné les regarder autour de Paris, nous qui n'avions alors l'imagination remplie que de plantes à feuilles argentées, ou couvertes de quelque riche duvet, & qui nous étions figurez que la Candie ne devoit rien produire que d'extraordinaire.

Nous trouvâmes dans la fuite de quoi nous dédommager de tous ces chagrins. Les environs de la Canée & fur tout ces hautes montagnes où l'on va chercher la neige dans l'été, font les plus fertiles de l'Ifle, & valent incomparablement mieux que le mont Ida, & les montagnes de Girapetra : non feulement celles de la Canée, produisent tout ce qui fe voit fur les autres; mais une infinité de raretez que l'on ne voit point ailleurs. a Theophrafre, Strabon, Pline & Ptolemée les ont nommées les montagnes blanches, à caufe de la neige dont elles font perpétuellement couvertes. Il femble même par un un paffage de Solin, que les monts

Cadifte & Dictynnée, faifoient partie de ces mon

2 Τα λευκά καλύμπρια όρη. Theophr. Hift. Plant, lib.4. cap. 1. Prol. lib. 3. cap. 17. Tù opn Avxù. Strab. Rer.

Geogr. lib. 1o. Albi montes.
Plin. Hift. nar. lib. 16.

cap. 33.
Selin. Polyhift. cap.11.

« AnteriorContinuar »