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Quand il fut en Philofophie, il prit peu de goût pour celle qu'on luy enfeignoit ; Il n'y trou voit point la Nature qu'il fe plaifoit tant à obferver, mais des idées vagues & abftraites, qui fe jettent, pour ainfi dire, à côté des chofes, & n'y touchent point. Il découvrit dans le Cabinet de fon Pere la Philofophie de Descartes, peu fameufe alors en Provence, & la reconnût auffi-tôt pour celle qu'il cherchoit. Il ne pouvoit jouir de cette lecture que par surprise & à la dérobée, mais c'étoit avec d'autant plus d'ardeur; Et ce Pere qui s'oppofoit à une étude fi utile, luy donnoit fans y penfer une excellente éducation,

Comme il le deftinoit à l'Eglife, il le fit étudier en Theologie, & le mit mefme dans un Seminaire. Mais la destination naturelle prévalut. Il falloit qu'il vit des Plantes, il alloit faire fes études cheries ou dans un Jardin affez curieux qu'avoit un Apoticaire d'Aix, ou dans les Campagnes voisines, ou fur la cime des Rochers. Il penetroit par adreffe ou par prefens dans tous les lieux fermez où il pouvoit croire qu'il y avoit des Plantes qui n'étoient pas ailleurs; fi ces fortes de moyens ne reüffiffoient pas il fe refolvoit pluftôt à y entrer furti& un jour il penfa eftre accablé de pierres par des Païfans qui le prenoient pour un voleur.

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vement,

Il n'avoit guere moins de paffion pour l'Anatomie & pour la Chimie que pour la Botanique. Enfin la Phyfique & la Medecine le revendiquerent avec tant de force fur la Theologie, qui s'en étoit mise injustement en pof

feffion, qu'il fallut qu'elle le leur abandonnât. Il étoit encouragé par l'exemple d'un Oncle paternel qu'il avoit, Medecin fort habile & fort eftimé, & la mort de fon pere arrivée en 1677. le laiffa entierement maître de fuivre fon inclination.

Il profita auffi - tôt de fa liberté, & parcourut en 1678. les Montagnes de Dauphiné & de Savoye, d'où il rapporta quantité de belles Plantes feches qui commencerent fon Herbier,

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La Botanique n'eft pas une fcience fedentaire & pareffeufe, qui fe puiffe acquerir dans le repos & dans l'ombre d'un Cabinet, comme la Geometrie & l'Hiftoire, qui tout au plus, comme la Chimie, l'Anatomie & l'Aftronomie, ne demande que des operations d'affez peu de mouvement. Elle veut que l'on coure les Montagnes & les Forests, que l'on graviffe contre des Rochers efcarpez, que l'on s'expofe aux bords des Précipices. Les feuls Livres qui peuvent nous inftruire à fond dans cette matiere ont été jettez au hazard fur toute la furface de la Terre & il faut fe refoudre à la fatigue & au peril de les chercher & de les ramailer. De-là vient auffi qu'il eft fi rare d'exceller dans cette fcience; Le degré de paffion qui fuffit pour faire un Savant d'une autre efpece, ne fuffit pas pour faire un grand Botanifte, & avec cette paffion mefme, il faut encore une fanté qui puiffe la fuivre, une force de corps qui y réponde. M. de Tournefort étoit d'un temperament vif, laborieux, robufte, un grand fonds de gayeté natuselle le foutenoit dans le travail, & fon corps

auffi-bien que fon efprit avoit été fait pour tanique.

la Bo

En 1679. il partit d'Aix pour Montpellier, où il fe perfectionna beaucoup dans l'Anatomic & dans la Medecine. Un Jardin des Plantes établi en cette ville par Henry IV. ne pouvoit pas, quelque riche qu'il fût, fatisfaire fa curiofité

courut tous les environs de Montpellier à plus de dix lieues, & en rapporta des Plantes inconnues aux gens mefmes du Pays. Mais ces courfes étoient encore trop bornées, il partit de Montpellier pour Barcelone au mois d'Avril 1681. il paffa jufqu'à la S. Jean dans les Montagnes de Catalogne, où il étoit fuivi par les Medecins du Pays, & par les jeunes Etudians en Medecine, à qui il démontroit les Plantes. On eut dit prefque qu'il imitoit les anciens Gimnofophiftes qui menoient leurs Difciples dans des deferts, où ils tenoient leurs écoles.

Les hautes montagnes des Pirenées étoient trop proches pour ne le pas tenter. Cependant il fçavoit qu'il ne trouveroit dans ces vaftes folitudes qu'une fubfiftance pareille à celle des plus aufteres Anachoretes, & que les malheureux habitans qui la lui pouvoient fournir n'étoient pas en plus grand nombre que les Voleurs qu'il avoit à craindre. Auffi fut-il plufieurs fois dépouillé par les Miquelets Efpagnols. Il avoit imaginé un ftratageme pour leur dérober un peu d'argent dans ces fortes d'occafions; il enfermoit des Reaux dans du pain qu'il portoit fur luy, & qui étoit fi noir & fi dur, que quoyqu'ils le volaffent fort exactement, & ne fuffent pas gens à rien dedaigner, ils le luy laiffoient

avec mépris. Son inclination dominante luy faifoit tout furmonter; ces Rochers affreux & prefque inacceffibles, qui l'environnoient de toutes parts, s'eftoient changez pour luy eti une magnifique Bibliotheque, où il avoit le plaifir de trouver tout ce que fa curiofité de mandoit, & où il paffoit des journées délicieut fes. Un jour une méchante Cabane où il couchoit, tomba tout à coup, il fut deux heures enfeveli fous les ruines, & y auroit peri fl l'on cût tardé encore quelque temps à le rea

tirer.

Il revint à Montpellier à la fin de 1681. & de-là il alla chez luy à Aix, où il rangea dans fon Herbier toutes les Plantes qu'il avoit ta maffées de Provence, de Languedoc, de Dau phiné, de Catalogne, des Alpes & des Pirenées. Il n'apartient pas à tout le monde de comprendre que le plaifir de les voir en grand nombre, bien entieres, bien confervées, difpo fées felon un bel ordre dans de grands Livres de papier blanc, le payoit fuffisamment de tout ce qu'elles luy avoient coûté.

Heureufement pour les Plantes M. Fagoní alors premier Medecin de la feuë Reyne, s'y étoit toûjours fort attaché, comme à une partie des plus curieufes de la Phifique, & des plus ef fentielles de la Medecine, & il favorifoit la botanique de tout le pouvoir que luy donnoient fa place & fon merite. Le nom de M. de Tour nefort vint à luy de tant d'endroits differens & toûjours avec tant d'uniformité, qu'il eût envie de l'attirer à Paris, rendez-vous general de prefque tous les grands talens répandus dans

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les Provinces. Il s'adreffa pour cela à Madame de Venelle Sous-Gouvernante des Enfans de France, qui connoiffoit beaucoup toute la famille de M. de Tournefort. Elle luy perfuada donc de venir à Paris, & en 1683. elle le prefenta à M. Fagon, qui dés la mefme année luy procura la place de Profeffeur en Botanique au Jardin Royal des Plantes, établi à Paris par Loüis XIII. pour l'inftruction des jeunes Etudians en

Medecine.

Cet employ ne l'empefcha pas de faire differens Voyages. Il retourna en Espagne, & alla jufqu'en Portugal. Il vit des Plantes, mais prefque fans aucun Botaniste. En Andaloufie, qui eft un pays fecond en Palmiers, il voulut verifier ce que l'on dit depuis fi long-temps des amours du mâle & de la femelle de cette efpece, mais il n'en put rien apprendre de certain, & ces amours fi anciennes, en cas qu'elles foient, font encore myfterieuses. Il alla auffi en Hollande & en Angleterre, où il vit & des Plantes & plufieurs grands Botaniftes, dont il gagna facilement l'eftime & l'amitié. Il n'en faut point d'autre preuve que l'envie qu'eut M. Herman, celebre Profeffeur en Botanique à Leyde, de luy refigner fa place, parce qu'il étoit déja fort âgé. Il luy en écrivit au commencement de la derniere Guerre avec beaucoup d'inftances, & le zele qu'il avoit la fcience qu'il profeffoit, luy faifoit choisir un Succeffeur, non feulement Etranger, mais d'une Nation ennemie. Il promettoit à M. de Tournefort une Penfion de 4000 livres de Meffieurs les Etats Generaux, & luy faifoit efperer une augmentation quand il feroit encore mieux connu.

pour

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