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Pierres figurées, Marcaffites rares, Petrifications & Cristallisations extraordinaires, Coquillages de toutes les efpeces. Il eft vray que du nombre de ces fortes d'infidelitez on en pourroit excepter fon goût pour les Pierres : car il croyoit que c'étoient des Plantes qui vegetoient, & qui avoient des graines : il étoit mefme affez difpofé à étendre ce fifteme jufqu'aux métaux, & il femble qu'autant qu'il pouvoit il transformoit tout en ce qu'il aimoit le mieux. Il ramaffoit auffi des habillemens, des armes, des inftrumens de Nations éloignées, autres fortes de curiofitez, qui quoy-qu'elles ne foient pas forties immediatement des mains de la Nature, ne laiffent pas de devenir Philofophiques, pour qui fait philofopher. De tout cela ensemble il s'étoit fait un Cabinet fuperbe pour un particu lier, & fameux dans Paris; les Curieux l'eftimoient 45. ou soooo, livres. Ce feroit une tache dans la vie d'un Philofophe qu'une fi grande dépenfe, fi elle avoit eû tout autre objet: Elle prouve que M. de Tournefort dans une fortune auffi bornée que la fienne, n'avoit pû gueres donner à des plaifirs plus frivoles, & cependant beaucoup plus recherchez.

à

Avec toutes les qualitez qu'il avoit, on peut juger ailement combien il étoit propre à être un excellent Voyageur, car j'entends icy par ce terme, non ceux qui voyagent fimplement, mais ceux en qui fe trouve & une curiofité fort étenduë, qui eft affez rare, & un certain don de bien voir, plus rare encore. Les Philofophes ne courent gueres le monde, & ceux qui le courent ne font ordinairement gueres Philofophes, & par-là un voyage de Philosophe est extrémnement précieux. Auffi

nous comptons que ce fut un bonheur pour les Sciences que l'ordre que M. de Tournefort reçût du Roy en 1700. d'aller en Grece, en Afie & en Afrique, non feulement pour y reconnoistre les Plantes des Anciens, & peut-être auffi celles qui leur auront échappé, mais encore pour y faire des Obfervations fur toute l'Hiftoire Naturelle, fur la Geographie anciennè & moderne, & mefme fur les Mœurs, la Religion & le Commerce des Peuples. Nous ne repeterons point icy ce que nous avons dit fur ce fujet dans l'Hiftoire de 1700. Il eut ordre d'écrire le plus fouvent qu'il pourroit à M. le Comte de Pontchartrain, qui luy procuroit tous les agrémens poffibles dans fon Voyage, & de l'informer en détail de fes découvertes & de fes

avantures.

M. de Tournefort accompagné de M. Gundelscheimer, Allemand, excellent Medecin, & de M. Aubriet habile Peintre, alla jufqu'à la frontiere de Perfe, toûjours herborisant & obfervant. Les autres Voyageurs vont par mer le plus qu'ils peuyent, parce que la mer eft plus commode, & fur terre ils prennent les chemins les plus battus. Ceux, cy n'alloient par mer que le moins qu'il étoit poffible, ils étoient toûjours hors des chemins, & s'en faifoient de nouveaux dans des lieux impraticables. On lira bien-tôt avec un plaifirmeflé d'horreur le recit de leur defcente dans la Grotte d'Antiparos, c'est à dire, dans trois ou quatre abismes affreux qui fe fuccedent les uns aux autres. M. de Tournefort eut la fenfible joye d'y voir une nouvelle efpece de Jardin, dont toutes les Plantes étoient differentes pieces de Marbre encore naisLantes ou jeunes, & qui felon toutes les circon

ftances dont leur formation étoit accompagnée, n'avoient pû que vegeter.

Envain la Nature s'étoit cachée dans des lieux fi profonds & fi inacceffibles pour travailler à la vegetation des Pierres, elle fut, pour ainsi dire, prife fur le fait par des Curieux fi hardis.

L'Afrique, étoit comprise dans le deffein du Voyage de M. de Tournefort, mais la peste qui étoit en Egypte le fit revenir de Smirne en France en 1702. Ce fut-là le premier obstacle qui l'eût arresté. Il arriva, comme l'a dit un grand Poëte, pour une occafion plus brillante & moins utile, chargé des dépouilles de l'Orient. Il rapportoit, outre une infinité d'Obfervations differentes, 1356. nouvelles Efpeces de Plantes, dont une grande partie venoient se ranger d'elles-mefmes fous quelqu'un des 673. Genres qu'il avoit établis : il ne fut obligé de créer pour tout le reste que 25. nouveaux Genres, fans aucune augmentation des Claffes, ce qui prouve la commodité d'un fifteme, où tant de Plantes étrangeres, & que l'on n'attendoit point, entroient fi facilement. Il en fit fon Corollarium Inftitutionum Rei Herbaria, imprimé en 1703.

Quand il fut revenu à Paris, il fongea à repren dre la pratique de la Medecine, qu'il avoit facrifiée à fon Voyage du Levant, dans le temps qu'elle commençoit à luy réüffir beaucoup. L'experience fait voir qu'en tout ce qui dépend d'un certain gouft du Public, & fur-tout en ce genre-là, les interruptions font dangereufes, l'approbation des hommes eft quelque chofe de forcé, & qui ne demande qu'à finir. M. de Tournefort eut donc quelque peine à renouer le fil de ce qu'il avoit quitté; d'ailleurs il falloit qu'il s'acquitât de fes

anciens exercices du Jardin Royal, il s'y joignit encore ceux du College Royal, où il eut une place de Profeffeur en Medecine, les fonctions de l'Academie luy demandoient auffi du temps, enfin il voulut travailler à la Relation de fon grand Voyage, dont il n'avoit rapporté que de fimples Memoires informes & intelligibles pour luy feul. Les courses & les travaux du jour, qui luy rendoient le repos de la nuit plus neceffairé, l'obligeoient au contraire à paffer la nuit dans d'autres travaux, & malheureufement il étoit d'une forte conftitution, qui luy permettoit de prendre beaucoup fur luy pendant un affez long-temps, fans en être fenfiblement incommodé. Mais à la fin fa fanté vint à s'alterer, & cependant il ne la mênagea pas davantage. Lorsqu'il étoit dans cette mauvaise difpofition, il reçut par hazard un coup fort violent dans la poitrine, dont il jugea bien-toft qu'il mourroit. Il ne fit plus que languir pendant quelques mois, & il mourut le 28. Decembre 1708.

Il avoit fait un Teftament, par lequel il a laiffé fon Cabinet de Curiofitez au Roy pour l'ufage des Savans, & fes Livres de Botanique à M. l'Abbé Bignon. Ce fecond article ne marque pas moins que le premier fon amour pour les fciences; c'est leur faire un prefent que d'en faire un à celuy qui veille pour elles dans ce Royaume avec tant d'application, & les favorife avec tant de tendreffe.

Des deux Volumes in 4°. que doit avoir la Relation du Voyage de M. de Tournefort, le premier étoit déja imprimé au Louvre quand il mourut, & l'on acheve prefentement le fecond fur le manufcrit de l'Auteur, qui a été trouvé dans un état où il n'y avoit rien à defirer, Cet ouvrage, qui a

ELOGE DE M. DE TOURNEFORT. confervé fa premiere forme de Lettres, adreffées à M. de Pontchartrain, aura environ 200. planches en taille douce tres bien gravées, de Plantes, d'Antiquitez, &c. On y trouvera, outre tout le fçavoir que nous avons reprefenté jufqu'icy dans M. de Tournefort, une grande connoiffance de l'Hiftoire ancienne & moderne, & une vafte érudition dont nous n'avons point parlé, tant nos éloges font éloignez d'être flateurs. Souvent une qualité dominante nous en fait negliger d'autres, qui meriteroient cependant d'être relevées.

LETTRES

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