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qui y avoit été préfent, vint trouver Luther, & lui fit des reptoches fur ce qu'il venoit de dire; il lui protesta qu'il n'avoit aucun commerce avec Muncer, & qu'il n'étoit point caufe de la fédition; qu'il n'approuvoit nullement ni l'efprit ni la doctrine de celui qui en étoit le chef: & par droit de repréfailles il dit à Luther que, c'étoit à lui à qui l'on pouvoir faire des reproches bien fondés; que pour lui, il ne pouvoit fouffrir fon opinion de la préfence réelle, qu'il fe contredifoit dans ce qu'il avoit écrit fur les facremens, qu'il avoit avancé des chofes qui convenoient plutôt à un JesusChrift imaginaire, qu'au véritable qui avoit été crucifié; qu'il étoit prêt à le prouver en public; & qu'il offroit de changer lui-même de fentiment, fi on lui montroit qu'il fût dans

l'erreur.

Luther, avec un air dédaigneux, le défia d'écrire contre lui; & la difpute s'étant échauffée affez vivement de part & d'autre, Luther tira de fa bourfe un écu d'or, & promit de le donner à Carloftad, s'il entreprenoit d'écrire : « Tenez, lui » dit-il, prenez-le, & écrivez contre moi le plus fortement » que vous pourrez. » Carloftad accepta la condition, prit l'écu d'or & le mit dans fa poche, en difant à ceux qui étoient préfens« Mes freres, voilà le figne & le gage du pouvoir

que je reçois contre le docteur Luther; je vous prie d'en être » témoins. » Enfuite ils fe touchérent dans la main, en fe promettant mutuellement de fe faire bonne guerre. Luther but à la fanté de Carloftad, & au bel ouvrage qu'il alloit mettre au jour: Carloftad fit raifon & avala le verre plein, ainfi la guerre fut déclarée à la mode du pays le vingt-deuxième d'Août 1524. L'adieu des combattans fut mémorable : « Puiffé-je te

voir fur la roue, dit Carloftad à Luther, puiffe-tu te rom» pre le cou avant que de fortir de la ville. » L'entrée n'avoit pas été moins agréable par les foins de Carloftad. Luther en entrant à Orlemonde fut reçu à grands coups de pierre, & prefque accablé de boue. Voilà le nouvel évangile : un cabaret produifit le chef des Sacramentaires.

L'électeur de Saxe, informé de tous ces troubles, ne laiffa pas long-tems Carloffad dans fes états, & lui donna ordre de fe retirer promptement. Martin Reinhard, miniftre de Jène, fut auffi chaffé. Dès que Carloftad fut parti, il écrivit aux habitans d'Orlemonde pour fe plaindre de ce que Luther l'avoit fait chaffer de la Saxe, fans garder les loix de la cha

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rité chrétienne, fans qu'on l'eût entendu ni vaincu. Sa lettre fut lue dans une affemblée du peuple, qui avoit été cons voquée au fon de la cloche; mais elle ne produifit bas beaucoup d'effet. Carlostad se retira à Strasbourg, & fit imprimer à Bafle deux livres qui déplurent également aux deux parties: le fénat de Zurich, troublé par la nouveauté des fentimens qui y étoient établis, fit défenfes de vendre & publier ces livres dans leur ville, malgré les oppofitions de Zuingle, qui foutenoit que tout le monde pouvoit fûrement les lire: ces ouvrages regardoient la préfence réelle, & Carlostad y foutenoit que le corps & le fang de Jefus-Chrift ne font point contenus dans la cène; que le terme Hoc dans les paroles, ne défigne pas le pain que Jefus-Chrift donna à fes difciples, mais montroit le Chrift lui-même. Le magiftrat de Strasbourg fit auffi défendre ces livres, & mettre en prifon ceux qui les avoient débités.

Nicolas Storck, & Thomas Muncer chef des Anabaptistes, continuoient auffi de répandre partout le venin de leur doctrine impie & féditieufe: outre ce que nous avons déja dit qu'ils foutenoient, qu'il ne falloit point baptifer les petits enfans, &qu'on devoit mépriser l'écriture fainte pour s'en tenir aux feuls mouvemens de l'efprit, ils vouloient de plus que tous ceux qui fe décla reroient pour eux, embraffaffent la liberté évangélique; qu'ils renonçaffent aux chofes du monde pour élever leur efprit à Dieu; qu'ils fe fiffent rebaptifer promptement, qu'ils maffacraffent tous ceux qui s'oppofoient à cette doctrine; qu'ils n'épargnaffent pas les magiftrats & les princes, qui oppriment fans autorité & fans raifon les élus de Dieu, d'autant que la nature veut que toutes chofes foient communes, qu'on ne faffe violence à perfonne, & que nous nous confidétions rous comme freres & comme libres, & encore moins les évêques & les pafteurs; ou au moins qu'on les chaffât & qu'on prît leurs biens, qu'on ruinât les monaftéres, & qu'on ôtât tous les abus qui régnoient dans l'églife de Dieu; que telle étoit la volonté du Pere fouverain, à qui nul ne pouvoit réfifter: ce qu'ils autorifoient de quelques paffages de l'écriture fainte, qu'ils expliquoient à leur maniére. Storck ajoutoit qu'un ange lui avoit révélé qu'il feroit affis fur le fiége de l'archange Gabriel, c'est-à-dire, felon fon explication, qu'il auroit l'empire du monde; qu'alors il feroit régner avec lui fes élus après avoir exterminé tous les impies, c'eft-à-dire ceux qui

ne

he fe feroient pas rebaptifer, & que pour jouir de ce bonheur il falloit recevoir le S. Efprit; mais que pour le recevoir, il falloit parler peu, être mal-propre dans fes habits, & fale dans fon manger & fa nourriture. On ne fçait pas ce que devint ce malheureux.

pour

Thomas Muncer étoit un homme extrêmement violent : il difoit que l'ange S. Michel lui infpiroit tout ce qu'il prêchoit, que Dieu l'avoit deftiné fonder avec le glaive de Gédéon un nouveau royaume à Jesus-Chrift, & failoit fi bien l'enthousiaste & l'infpiré, qu'on l'a toujours confidéré comme le chef des Enthoufiaftes. Chaffé d'Alftad, comme on a dit, il s'arrêta quelque tems à Nuremberg; & fans la fermeté du magiftrat, qui le chaffa de la ville, il auroit foulevé le petit peuple: il y fit néanmoins imprimer un livre séditieux, dont il répandit par-tout des exemplaires, ce qui cau fa de grands troubles en différens endroits.

De Nuremberg il fe refugia à Mulhaufen, où il avoit fait un grand nombre de partifans dès le tems qu'il demeuroit à Alftad. Il y augmenta fi fort fon parti, qu'il crut pouvoir tout entreprendre pour faire réuflir le deffein de fa monarchie univerfelle fur les ruines de toutes les puiffances. I déclara donc hardiment, par fes lettres & de vive voix, que Dieu ne vouloit pas fouffrir les oppreffions des fouverains & les injuftices des magiftrats; que le tems étoit venu auquel le grand Dieu lui avoit ordonné de les exterminer pour mettre en leur place des gens de probité; & pour réuffir dans ce projet, il gagna un prodigieux nombre de payfans & une infinité de fcélérats, dont il forma une armée qui porta la terreur en Allemagne & y fit d'horribles ravages. Les payfans de Souabe furent les premiers qui fe décla rérent, fur la fin de cette année 1524, contre le comte de Lupfen. Leurs exemples furent fuivis de leurs voifins, & en fort,peu de tems toute l'Allemagne fut embrafée de ce feu. Les états de l'empire, affemblés à Efling pour éteindre cet embrafement, propoférent une trève & des conditions, afin de donner quelque fatisfaction aux payfans, qui à la vérité furent tranquilles pendant quelque tems.

Les Anabaptiftes fe multiplioient auffi en Suiffe, & s'y rendirent fi forts, particuliérement dans le canton de Zurich, qu'il s'en fallut peu qu'ils n'y euffent établi leur fecte fur les ruines de la prétendue réforme. Ceux qui conduifoient cette Tome XVIII.

C

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3

affaire ne manquoient, ni d'efprit ni de hardieffe, ni d'opi
niâtreté. Les plus fameux étoient Balthafar Hubmeyer, Félix
Manzius, Conrard Grebelius, George Blaworck, & quelques,.
autres; mais le chef de tous étoit Hubmeyer. Il étoit de
Frieberg, ville du pays de Heffe, & docteur en théologie..
Il fut pendant quelque tems miniftre dans Waldshut ville de
la Souabe, y prêchant les principes du nouvel évangile, &
étant en commerce de lettres avec Zuingle, dont il avoit
gagné l'amitié. En cette année 1524, il changea de fenti-
ment Muncer, qui de Bafle étoit venu à Waldshut,, trouva
le fecret de lui infinuer fon fanatifme; & après que Hub--
meyer l'eut goûté, & qu'il s'en fut bien rempli l'efprit, il
le prêcha au peuple de Waldshut avec autant de fureur &
d'opiniâtreté qu'auroient pu faire Muncer lui-même & less
plus violens Anabaptiftes. Il fit tant de progrès, qu'en peu
de tems la plus grande partie des habitans de Waldshut em-
brafférent fa doctrine. Les Anabaptiftes, devenus plus forts.
chafférent les Catholiques & s'emparérent de leurs biens;
mais les Catholiques ayant repris le deffus, ils chafférent à
leur tour les Anabaptiftes, qui fe retirérent où ils purent, &
firent par-tout des profélytes..

:

Hubmeyer, connu & aimé d'une veuve Anabaptifte, de Zurich, fe retira chez elle le magiftrat, qui en fut averti, le fit arrêter & le fit venir à l'hôtel-de-ville, où se trouva Zuin- gle avec quelques théologiens, parce que Hubmeyer étant å Waldshut avoit demandé qu'il lui fût permis de difputer avec Zuingle contre le baptême des enfans. Zuingle accepta la difpute, & y confondit fi bien le docteur Hubmeyer, que dans l'impoffibilité de répondre aux argumens qu'on lui fit, il confeffa qu'il étoit dans l'erreur, & promit de lui-même d'en faire une rétractation publique. Il écrivit fa rétractation comme il voulut, & la lut dans le temple de l'abbaye. Aprèsqu'il en eut fait la lecture, Zuingle prêcha; & Hubmeyer,, après l'avoir entendu, défavoua ce qu'il venoit de lire, par-la fortement contre le baptême donné aux enfans, & foutint d'autres erreurs. On le reconduifit en prifon; & alors en-fermé entre quatre murailles, il changea de ton, demanda pardon à Dieu & aux magiftrats, & reconnut que c'étoit le démon qui lui avoit fuggéré de parler contre fa rétractation: le magiftrat trop indulgent lui fit grace, & pour tout châtiment lui ordonna de fortir du Canton; mais comme il

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y avoit aux environs des gens de l'empereur pour l'enlever, Zuingle obtint qu'il demeureroit dans Zurich jufqu'à ce qu'on trouvât une occafion favorable de le faire fortir fans danger.

Au milieu de ces troubles, le fçavant Erafme, qui n'avoit pu être emporté par les nouveautés profanes que l'on répandoit de toutes parts, écrivit au pape Clément VII pour lui témoigner l'attachement inviolable qu'il avoit pour l'églife catholique : fa lettre eft datée du treiziéme de Février 1524. Après avoir félicité ce pape fur fon élévation au fouverain pontificat, il l'affure que les follicitations des princes, ni les liaisons qu'il avoit avec les gens de lettres, ni la haine que lui portoient les théologiens & les moines, ne l'ont pu engager à embraffer le parti de Luther & à confpirer contre le faint fiége; que s'il y a quelque chofe dans les écrits qu'il faits avant que Luther s'élevât, qui puiffe être pris en mauvaise part, il ne l'auroit pas écrit, s'il eût prévu ce qui eft arrivé: qu'il avoit changé ces endroits dans les derniéres éditions de fes ouvrages, & qu'il étoit prêt de changer auffi les autres, fi on les en avoit averti charitablement. Qu'il s'étoit toujours foumis au jugement de l'églife Romaine, & qu'il ne s'y oppoferoit jamais, quand même elle ne lui feroit pas favorable; mais qu'il avoit tant de confiance en la juftice de fa fainteté, qu'il étoit perfuadé qu'elle ne fouffriroit pas qu'il fût la victime de la haine du petit nombre de fes ennemis. En finiffant fa lettre, il fouhaite au pape qu'il furpaffe la gloire de fes prédéceffeurs, en appaifant les troubles caufés par les guerres & par la différence des opinions. « Vous réuffirez, dit-il, faint pere, fi vous êtes également favorable à tous les princes, & fi » vous changez les chofes qui peuvent être changées fans » faire tort à la religion »

Quelque tems après, Erafme reçut une lettre de Melanch ton, dans laquelle il fe plaint de quelques fectateurs de Luther; il dit qu'il y en a parmi eux qui ont oublié l'humilité & la religion, qui excitent des troubles par leurs prédications féditieuses, qui en veulent aux belles-lettres, qui ne gardent aucunes des règles de la vie civile, & qui ne cher chent qu'à établir leur tyrannie. Il prétend enfuite, mais fans raifon, que Luther a une conduite bien différente, qu'il déplore ces abus, & qu'il en eft vivement touché; que cependant il ne croit pas devoir abandonner pour cela la caufe

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