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de gens, qui fe vantent de leurs débauches, & qui s'en font un merite; qui croyent que c'est un bon moyen de réüffir & de se rendre agréables à leurs amis Je penfe, répondit Euthyme, qu'il faudroit les bannir abfolument de la focieté des honnêtes gens car je ne mets point dans le rang de la véritable amitié tous ces commerces dont le libertinage eft le motif, & ou les mœurs fe corrompent entie

rement.

Un honnête homme ne doit point lier de focieté avec ces perfonnes fi décriées par leurs débauches, qu'on ne peut gueres les pratiquer fans perdre un peu fa réputation. Je ne dis pas cependant qu'on ne leur puiffe parler dans de certaines occafions, où les engagemens de nos affaires nous obligent quelque

fois de voir des perfonnes qui ne font pas fort régulieres: je ne parle pas non plus de ceux qui font obligez à cause du devoir de leur charge, d'écouter toutes fortes de gens pour remplir tous les devoirs de leur ministére. J'exclue auffi de cette regle les vifites de pure cérémonie dans de certaines rencontres, dont on ne peut fe difpenfer honnêtement mais je parle des liai. fons que l'on prend avec les per fonnes que nous qualifions du nom d'amis; je dis que leur probité doit être le fondement, & le nœud de ces fortes de commerces.

Il est vray, ajoûta Theagene, qu'on ne peut gueres répondre de foy ni de la vertu quand on a quelque liaison avec des gens. fans probité. On fe rend complices de leurs paffions, de leurs

querelles & de leurs injuftices, c'est par ce dévoûëment bizarre qu'on voyoit il y a quelques années des gens expofer leur vie pour un ami qui les traînoit à la boucherie fous pretexte de défendre leurs querelles dans ces duels injuftes que le bonheur de ce Regne a aboli.

C'est encore là le principe de ces grandes injuftices qui fe commettent quelquefois fur les Tribunaux de la Juftice même: car ces Juges lâches & politiques font tous dévoüez au caprice de certaines gens dont ils dépendent, à l'amour d'une femme qui les gouverne, à l'autorité d'une puiffance qu'ils n'ofent choquer, & pour laquelle ils trahiffent les devoirs les plus faints.

Ce que vous venez de dire, reprit Euthyme, me fait souve

nir d'un bel endroit que j'ay lû depuis peu dans un Pere de l'E glife, dont j'aime paffionnément les écrits: il parle de l'attachement qu'il avoit pour fes amis dans un tems où la crainte de Dieu ne regloit pas encore fes actions: c'eft par-là, dit-il, que je penfoy perdre le pauvre Alipius je l'aimois tendrement & il avoit auffi pour moy une ami tié réciproque je luy faifois confidence de tous mes fecrets & de toutes mes intrigues; & quoy qu'il eût un grand fonds de bonté naturelle, je l'accoûtumay fi bien à tous ces difcoursde libertinage, que je vis fa vertu toute prête à fuccomber, foit qu'il ne pût foûtenir les railleries malignes que je faifois de fes fcrupules, ou que j'euffe ruiné: peu à peu par tant de mauvais difcours la délicatele de fa con fcience.

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Ileft vray, ajoûta Theagene, que la confidence eft le plus grand charme de l'amitié, on fe fait connoître par-là tel qu'on eft effectivement, on découvre fes defirs, fes paffions, fes foibleffes, on n'a point de referve pour un ami, & on ne luy cache rien, parce qu'on ne s'en défie point, on a une certaine retenuë devant les perfonnes indifferentes qui les empêche de nous penetrer: mais il ne faut point ufer de détours devant fes amis, ft F'on veut toûjours leur être agréable en effet, pourfuit-il, l'amitié commence par l'eftime que l'on fait des personnes que nous voyons, dont nous connoiffons le merite: mais l'amitié n'est encore que commencée tandis qu'elle s'en tient precifément à l'efprit, il faut qu'elle paffe jufqu'au cœur & elle >

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