que

Moral.

"cap. 17.

Celui, dit-il, qui ceffe d'aimer & de re. « chercher le monde, paffe dans l'efprit « des gens charnels pour un homme mort; « & c'est ce qui nous eft figuré dans ce «Lib. 10. miracle celebre où Nôtre-Seigneur de- " livra un jeune enfant d'un démon im-« pur: car il eft marqué dans l'Evangile " que cet efprit malin ayant jetté un grand " cri, & l'ayant agité par de violentes" convulfions, fortit de fon corps, & que l'enfant devint comme mort, de forte plufieurs difoient qu'il étoit effective- " ment mort; mais que Jesus l'ayant pris par la main & le foulevant, il fe leva" auffi tôt. Ainfi, ajoûte t il, un homme qui fe convertit, & qui fort de la puiffance du demon paroît mort aux yeux" des gens du monde, parce qu'il ne de- « fire plus rien fur la terre, qu'il renonce" à la vie corrompuë qu'on inene dans le“ fiecle, & qu'il ne fuit plus les mouve. “ mens violens que cet efprit malin exci- " toit autrefois dans fon cœur. Mais il " n'y a que ceux qui ignorent les voyes" de la vie fpirituelle qui le regardent com- " me mort; car il eft vivant & plein de " force en prefence de la fouveraine majesté

de Dieu,

Voilà le jugement que forment les mondains des juftes qui vivent dans la

«

folitude, & qui fe conduifent ici-bas comme des étrangers & des pelerins. Ils les traitent avec mépris; ils les accufent de vivre dans l'oifiveté, & ils difent qu'ils ont reçû leur ame en vain. Mais il ne fera pas difficile de faire voir qu'ils fe trompent, & que c'eft fur euxmêmes que doivent retomber ces reproches. Et en effet, lorfqu'on les voit courir avec tant d'empreffement aprés les biens de la terre, fe plonger dans toutes fortes de plaifirs & de voluptez, paffer toute leur vie à la pourfuite des honneurs du fiecle qui font vains & imaginaires, donner toute forte de liberté à leurs paffions & negliger cependant leur falut & ne penfer en aucune maniere à fervir Dieu & à s'avancer dans la justice; n'a t-on pas droit de les regarder comme des gens inutiles, & de foûtenir qu'ils ont reçû leur ame en vain? Et s'ils ne veulent pas s'en rapporter à ce qu'on leur en dit, qu'ils écoutent comment les faints Peres parlent à leur occa

fion.

Le même faint Gregoire examinant ces paroles de Job: Ils marcheront en Job. 6. 8. vain, & ils periront, nous afsûre qu'elles conviennent aux mondains, qui ne travaillent prefque toûjours que pour des

dit-il, Moral.

«Libr. 7.

chofes inutiles, & qu'ils ne fçauroient
emporter avec eux. « Les uns,
fe fatiguent pour monter aux honneurs ; “cap. 13.
les autres fuent pour augmenter leurs
richeffes, & d'autres cherchent à faire
parler d'eux & à s'attirer des louanges;
& parce qu'ils laifferont ici-bas; toutes
ces chofes, & qu'ils n'en emporteront
aucune, lorfqu'ils iront comparoître de
vant le fouverain Tribunal de Dieu,
tous leurs travaux font perdus, & ils)
marchent inutilement. Il dit encore en-
fuite que celui-là reçoit fon ame en vain,
qui neglige tout ce qui regarde la vie
future, qui ne penfe qu'aux biens pre-
fens, qui ne s'occupe que des befoins de
la chair, & qui ne travaille point à fon
propre falut.

св

Regum

Il obferve en un autre lieu que ce In lib. i n'eft pas fans myftere que l'Ecriture lib dit que Saül, qui occupa pendant un tres-.cap. 3. long-tems le trône d'Ifraël, ne regna que deux ans. Il pretend que cette expreffion eft fondée fur ce que ce Prince ne conferva fon innocence que pendant les deux premieres années de fon regne,; & c'eft que cela pour le Texte facré marque qu'il ne regna que deux ans ;, parce qu'en effet il ne doit être cenfé avoir regné qu'autant de tems qu'il a

que

été jufte & innocent aux yeux de Dieu : & puis il conclut que nous ne devons nous-mêmes compter entre les années "de nôtre vie, que celles pendant lefquel"les nous avons pratiqué la vertu & confervé l'humilité, & que toutes les autres que nous avons paffées dans la vanité & dans les plaifirs, font abfolument perdues pour nous.

2

2

Il faut encore confirmer cette verité par le témoignage de faint Bernard. Car il ne s'eft pas contenté de parler, comme on l'a vû ci-deffus de l injustice des gens du monde qui accufent de vivre dans l'inutilité ceux qui s'éloignent du tumulte du fiecle pour vacquer à la priere & à la contemplation; mais il a foûttenu que ce font eux-mêmes qui menent une vie inutile, & qui ont reçû leur Ep. 140. ame en vain. C'est ce qu'on peut voir

dans une Lettre qu'il adreffe à un jeune homme de qualité, qui étant doüé d'un efprit vif & penetrant, qui ayant déja fait un grand progrés dans les fciences, & qui ne témoignant que de nobles & de genereufes inclinations, vivoit encore dans le monde & ne penfoit qu'à s'y établir, & à y obtenir des emplois éclatans. Il lui fait entendre qu'il aura toûjours les mains vuides devant Dieu,

tant qu'il ne travaillera que pour le monde, & que s'il vient à mourir en cet état, il fera du nombre de ceux dont l'Ecriture

parle, lorfqu'elle dit: Les riches fe font Pfal 75. endormis, & fe reveillant après leur fom meil, ils n'ont rien trouvé dans leurs mains. Il lui reprefente qu'il fe degrade lui-même, qu'il renonce aux droits & aux prérogatives de fa naiffance, & qu'if fe rend femblable aux bêtes brutes & aux animaux charnels, lorfqu'il ne s'occupe que de chofes temporelles & perif fables; & il lui declare qu'il attirerá fur lui un terrible jugement de Dieu, fi ne faifant point d'attention à ces paroles de l'Evangile : Travaillez pour avoir, Joan. 6. non la nourriture qui perit mais la 27. yourriture qui demeure pour la vie éternelle; & fi diffimulant qu'il eft écrit qu'il n'y aura que ceux qui n'auront point reçû leur ame en vain, qui monteront & le repoferont fur la Montagne fainte du Seigneur, il ne s'applique qu'à des occupations vaines, fans fe mettre en peine de chercher ferieufement le Royaume de Dieu & fa juftice.

,

Saint Auguftin avant l'un & l'autre de ces Peres, avoit dit en expliquant ce Pleaume, que ceux-là feuls n'ont point reçû leur ame en vain, qui confiderant