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verneurs Romains fuffent de ce caractére, & la Sicile, plus que toute autre province, éprouva, comme quelques lignes après Cicéron le reproche à Verrès, qu'ils étoient prefque tous comme autant de Tyrans, qui ne se croioient armés de faifceaux & de haches, ni revétus de l'autorité de l'Empire Romain, que pour exercer impunément dans la province un brigandage ouvert, & pour forcer toutes les barriéres de la justice & de la pudeur, en forte que perfonne ne pût mettre en fureté contre leur violence ni ses biens, ni sa maison, ni sa vie, ni même fon honneur.

SYRACUSE, par tout ce que nous en avons vu, a dû nous paroitre comme un théatre où il s'eft paflé des fcénes bien différentes, mais bienétranges: ou plutôt comme une mer, quelquefois calme & tranquille, mais le plus fouvent agitée par des vens & des orages, toujours prêts à la bouleverfer de fond en comble. Nous n'a

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vons vû dans aucune autre Républi que des révolutions fi fubites, fi fréquentes, fi violentes, fi diverfifiées. Maîtrisée dans un tems par les Tyrans les plus cruels, gouvernée dans un autre par les Rois les plus fages; tantôt livrée au caprice d'une populace fans joug & fans frein, tantôt docile & parfaitement foumise à l'autorité des loix & à l'empire de la raison, elle paffe alternativement de l'efclavage le plus dur à la liberté la plus douce, d'une efpéce de convulfions & de mouvemens phrénétiques à une conduite fage, tranquille, modérée. Le lecteur fe rappelle aifément dans la mémoire, d'un côté les deux Denys pere & fils, Agathocle, Hiéronyme, devenus par leur cruauté l'objet de la haine & de l'exécration publique; de l'autre Gélon, Dion, Timoléon, les deux Hiérons tant l'ancien que le nouveau, univerfellement chéris & refpectés des peuples.

A quoi attribuer des extrémités fi oppofées,& des alternatives fi contraires? Je ne doute point que la légéreté & l'inconftance des Syracufains, qui étoit leur caractére dominant, n'y eût beaucoup de part: mais je fuis perfuadé que ce qui y contribuoit le plus,

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étoit la forme même du gouvernement, mélé d'Ariftocratie & de Démocratie, c'est-à-dire partagé entre le Sénat ou les anciens & le peuple. Comme il n'y avoit à Syracufe aucun contrepoids pour maintenir ces deux Corps dans un jufte équilibre, quand l'autorité panchoit un peu plus d'un, côté que d'un autre, le gouvernement se tournoit auffitôt, ou en une Tyrannie violente & cruelle, ou en une liberté effrénée, fans mesure, & fans régle. Alors la confusion subite de tous les Ordres de l'état facilitoit aux plus ambitieux des citoiens le chemin au pouvoir fouverain; que les uns, pour captiver la bienveillance de leurs concitoiens & leur adoucir le joug, exerçoient avec douceur & fageffe, avec équité, avec des maniéres populaires: & que d'autres, nés moins vertueux, portoient aux derniers excès du defpotime le plus abfolu & le plus cruel, fous prétexte de fe maintenir dans leur ufurpation contre les entreprises de leurs citoiens lefquels, jaloux de leur liberté, fe permettoient toutes les trahisons & tous les crimes pour la recouvrer.

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D'autres raifons encore rendoient

le gouvernement de Syracufe diffici le, & par là donnoient lieu aux fréquens changemens qui y arrivoient. Ĉette ville n'oublioit point qu'elle avoit remporté de fignalées victoires contre la redoutable puiffance de l'Afrique, & qu'elle avoit porté fes conquêtes & la terreur de fes armes jufque fous les rempars de Carthage, & cela, non une feule fois, comme depuis contre les Athéniens, mais pendant plufieurs fiécles. La haute idée que fes flotes & fes troupes nombreufes lui donnoient de fa puiffance maritime, fit que du tems de l'irruption des Perfes dans la Grèce, elle prétendit s'égaler à Athénes, ou partager du moins avec elle l'empire de la mer.

D'ailleurs les richeffes, fuite naturelle du commerce, avoient rendu les Syracusains fiers, hautains, impé rieux, & en même tems les avoient plongés dans la molleffe, en leur infpirant du dégoût pour toute fatigue & toute application. Ils fe livroient pour l'ordinaire aveuglément à leurs Orateurs, qui avoient pris fur eux un pouvoir abfolu. Il faloit, pour obéir, qu'ils fuffent ou flatés, ou gour mandés,

Ils avoient naturellement un fonds d'équité, de bonté, de douceur : & cependant, entraînés par les difcours feditieux des harangueurs, ils fe portoient aux derniéres violences & aux cruautés les plus exceffives, dont ils se repentoient un moment après.

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Quand ils étoient abandonnés à eux-mêmes, leur liberté, qui pour lors ne connoiffoit plus de bornes, dégénéroit bientôt en caprice, en fougue, en violence, je pourrois même dire en phrénéfie. Au contraire, quand on étoit venu à bout de les réduire fous le joug, ils devenoient lâches timides, foumis, rampans jusqu'à la fervilité. Mais, comme cet état étoit violent, & directement oppofé au caractére & au naturel de la nation Grecque, née & nourrie dans la liberté, dont le fentiment n'étoit point éteint en eux, mais fimplement endormi; ils fe réveilloient de tems en tems de ce fommeil léthargique, rompoient leurs chaînes, & s'en fervoient, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, pour tuer & affommer ces maîtres injuftes qui les avoient mis aux fers.

Pour peu que

l'on falle attention

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