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le rendoit prefque inacceffible, non feulement aux étrangers, mais à fes Tuteurs même; un rafinement pour trouver de nouvelles débauches, une cruauté qui alloit jufqu'à éteindre en lui tout fentiment d'humanité. Ce caractére odieux du jeune Roi jetta une fi grande fraieur dans les efprits, que quelques-uns de fes Tuteurs, pour se dérober à fa cruauté, fe donnérent eux-mêmes la mort, ou fe condannérent à un exil volontaire.

Trois hommes feulement, Andranodore & Zoïppe tous deux gendres d'Hiéron, & un certain Thrafon avoient les entrées plus libres auprès du jeune Roi. Il les écoutoit peu fur tout le refte: mais, comme les deux premiers étoient ouvertement déclarés pour les Carthaginois, & le troifiéme pour les Romains, cette différence de fentimens, & les difputes souvent très vives qui en étoient la fuite, attiroient für eux l'attention du Prince.

Il arriva, à peu près dans ce temslà, qu'on découvrit une conjuration contre la vie d'Hieronyme. On dénonça un des principaux conjurés nommé Théodote. Appliqué à la

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queftion, il avoua le crime pour luimême : mais la violence des fupplices les plus cruels ne fut pas capable de lui faire trahir fes complices. Enfin, comme s'il eût cédé à la force des tourmens, il chargea les meilleurs amis du Roi quoiqu'innocens, entre lefquels il nomma Thrafon, comme le chef de toute l'entreprise, ajoutant qu'ils n'auroient eu garde de s'y engager, s'ils n'avoient eu à leur tête un homme de fon crédit. La chaleur que celui-ci avoit toujours fait paroitre pour la caufe des Romains, rendit l'indice vraisemblable. Ainfi il fut puni de mort. Aucun des complices pendant qu'on faifoit souffrir la torture à leur compagnon, ne prit la fuite, ou ne fe cacha: tant ils comptoient fur le courage & fur la fidélité de Théodote, & tant celui-ci avoit de force pour tenir ce fecret caché.

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La mort de Thrason, qui seul étoit le lien & le noeud de l'alliance avec les Romains, laiffa le champ libre aux partifans des Carthaginois. Hiéronyme envoia des Ambaffadeurs à Annibal; qui lui envoia à fon tour un jeune Carthaginois d'illuftre naiffance, nommé Annibal comme lui, avec Hip

pocrate & Epicyde, natifs de Carthage, mais originaires de Syracuse par leur pere. Après le Traité conclu avec Hiéronyme, le jeune Officier retourna vers fon Général : les deux autres demeurérent auprès du Roi avec la permiffion d'Annibal. Les conditions du Traité étoient, qu'après qu'ils auroient chaffé les Romains de la Sicile, fur quoi ils comptoient certainement, le fleuve Himéra, qui partage prefque toute l'Ile, fépareroit la province des Carthaginois de fon roiaume. Hiéronyme, enflé des louanges de fes flateurs, demanda même, quelque tems après, qu'on lui cédât toute la Sicile, laiffant aux Carthaginois pour leur part l'Italie, La propofition parut folle & téméraire, mais Annibal y fit peu d'attention, ne fongeant qu'à tirer le jeune Roi du parti des Romains.

Sur le premier bruit de ce Traité, Appius Préteur de Sicile envoia des Ambaffadeurs à Hiéronyme, pour renouveller l'alliance que les Romains avoient eue avec fon aieul. Ce Prince orgueilleux les reçut avec beaucoup de mépris, leur demandant d'un ton railleur & infultant, ce qui s'étoit

paffé à la journée de Cannes: que les Ambaffadeurs d'Annibal en racontoient des chofes incroiables: qu'il étoit bien aise d'en favoir la vérité par leur bouche, afin de se déterminer fur le choix de fes Alliés. Les Romains lui répondirent qu'ils reviendroient vers lui, quand il auroit appris à recevoir férieufement des Ambaffadeurs:

&, après l'avoir averti plutôt que prié, de ne point changer témérairement de parti, ils fe retirérent.

Enfin fa cruauté, & les autres vices auxquels il fe livroit aveuglément, lui attirérent une fin malheureuse. Ceux qui avoient formé la confpiration dont il a été parlé, suivirent leur plan, & aiant trouvé une occafion favorable d'exécuter leur entreprife, le tuérent dans un voiage qu'il faifoit de Syracufe au pays & dans la ville des Léontins.

On voit ici fenfiblement la différence qu'il y a entre un Roi & un Tyran, & que ce ne font point les gardes & les armes qui mettent un Prince en fureté, mais l'affection des fujets. Hiéron, perfuadé que ceux qui ont dans les mains les loix pour gouverner les peuples, doivent toujours fe gouverner

gouverner eux-mêmes par les loix, fe conduifoit de telle forte qu'on pouvoit dire que c'étoit la Loi, & non Hiéron, qui régnoit. Il ne fe croioit riche & puiffant que pour faire du bien, & pour rendre les autres heureux. Il n'avoit pas befoin de fe précautionner pour la fureté de fa vieil avoit toujours autour de lui la plus fûre garde, qui eft l'amour des peuples, & Syra cufe ne craignoit rien tant que de le perdre. Auffi fa mort fut pleurée comme celle du pere commun de l'Etat. Les bouches, & encore plus les cœurs, lontems après, étoient remplis de fon nom, & ne ceffoient de benir fa mémoire. Hiéronyme au contraire, qui n'avoit d'autre régle que la violence, qui regardoit tous les autres hommes Commenés uniquement pour lui, qui fe piquoit de commander non à des fujets mais à des efclaves, menoit la vie du monde la plus trifte, fi c'est vivre que de paffer fes jours dans des fraieurs continuelles. Comme il ne fe fioit à perfonne, perfonne ne pouvoit fe fier à lui. Ceux qui approchoient le plus près de fa perfonne, étoient les plus expofés à fes foupçons & à fa cruauté; & ils crurent ne pouvoir Tome X.

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