pas fur quel fondement, qu'elle ne Tongeât à l'empoifonner : c'eft pourquoi dans les repas il ne touchoit à aucun mêt qu'on n'en eût gouté auparavant. Il n'étoit pas poffible que la Reine ne s'aperçût d'une défiance fi marquée. Elle emploía un moien fort extraordinaire, pour lui faire fentir en même tems combien fes craintes étoient mal fondées, & combien d'ailleurs, fi elle avoit été mal intentionnée, toutes les précautions qu'il prenoit auroient été inutiles. Elle fit empoisonner l'extrémité des fleurs dont étoient compofées les couronnes qu'Antoine & elle, felon la coutume des Anciens, portoient à table. Quand le vin eut commencé à échaufer les têtes, & à égaier le repas, Cléopatre invita Antoine à boire ces fleurs. Il ne fe fit pas prier lontems, & après en avoir arraché les extrémités avec fes doigts, & les avoir jettées dans fa coupe remplie de vin, il étoit près de l'avaler, lorfque la Reine, l'arrétant par le bras: Je fuis, lui dit-elle, cette empoisonneufe, contre laquelle vous prenez tant de précautions. S'il m'étoit poffi ble de vivre fans vous, jugez vous-même maintenant fil'occafion ou la raifon de le faire me manquoient. Aiant fait venir un prifonnier condanné à mort, elle lui fit boire cette liqueur, & il expira fur le champ. LIVRE VINGT-DEUXIÈME. DES ARTS ET DES SCIENCES. AVANT-PROPOS. Combien l'invention des Arts & des Sciences a été utile an genre humain. Elle doit être attribuée à Dieu. 'HISTOIRE des Arts & des Sciences, & de ceux qui s'y font diftingués par un mérite particulier eft, à proprement parler, l'hiftoire de l'efprit humain ; laquelle, en un certain fens, ne le céde point à celle des Princes & des Héros, que l'opinion commune place au fuprême degré d'élévation & de gloire. Je ne prétends point, en parlant ainfi, donner at teinte à la différence des états & des conditions, ni confondre ou égaler les rangs que Dieu lui-même a diftin gués parmi les hommes. Il a mis fu nos têtes les Princes, les Rois, les Chefs des Etats, qu'il a rendu dépofitaires de fon autorité ; &, après eux, les Généraux d'armée, les Miniftres les Magiftrats, & tous ceux avec qui le Souverain partage les foins du gouvernement. L'honneur qu'on leur rend, & les prééminences qu'ils poffédent, ne font point de leur part une ufurpa tion. C'eft la divine Providence ellemême qui a marqué leurs rangs, & qui nous commande la foumiffion, l'obéiffance, & le refpect pour ceux qui tiennent la place. Mais il eft un autre ordre de chofes, &, s'il eft permis de parler ainfi, un autre arrangement de cette même Providence, qui, fans toucher à ce premier genre de grandeur dont j'ai, parlé, en établit un autre totalement différent, où la distinction ne vient ni de la naiffance, ni des richesses, ni de l'autorité, ni de l'élévation des places, mais uniquement du mérite & du favoir.C'eft elle qui régle encore ici les rangs, par le partage libre & purement volontaire des talens de l'efprit,. qu'elle diftribue comme il lui plait &, à qui il lui plait, fans aucun égard pour la qualité & la nobleffe des perfonnes. Elle forme par l'affemblage des Savans en tout genre une nouvelle efpéce d'Empire, infiniment plus étendu que tous les autres, qui réunit tous les fiécles & tous les pays, fans diftinction ni d'âge, ni de fexe, ni de condition, ni de climats. Ici le roturier fe trouve de niveau avec le noble, le fujet avec le Prince, & fouvent les devancent. La loi primitive & le titre légitime pour mériter de folides louanges dans cet Empire Litéraire, eft que chacun foit content de fa place; qu'il ne porte point envie à la gloire des autres; qu'il les regarde comme des Collégues, destinés, auffi bien que lui, par la Providence à enrichir la fociété, & à en devenir les bienfaiteurs'; & qu'il fe fouvienne avec reconnoiffance de qui il tient fes talens, & pourquoi il les a reçus. Car enfin ceux qui fe diftinguent le plus parmi les Savans, peuvent-ils croire qu'ils fe foient donné eux-mêmes l'étendue de la mémoire, la facilité de comprendré, l'induftrie pour inventer & faire des découvertes, la beauté, la vivacité, la pénétration de l'efprit? & |