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Il en fortit des vers, qu'ils nourrirent avec des feuilles de meurier blanc; & ils prouvérent par cette expérience qui leur réuffit, toute la méchanique de la Soie, dont l'Empereur avoit fouhaité d'être éclairci.

Depuis ce tems-là l'ufage de la Soie fe répandit peu à peu, & paffa dans d'autres parties de l'Europe. Il s'en fit des manufactures à Athènes, à Thèbes, à Corinthe. Ce ne fut environ qu'en 1130, que Roger roi de Sicile en établit une à Palerme. On vit alors dans cette Ile & dans la Calabre des Ouvriers en Soie, qui furent une partie du butin que ce Prince raporta des villes de Gréce que j'ai nommées, dont il fit la conquête dans fon expédition de la Terre Sainte. Enfin le refte de l'Italie & l'Espagne aiant appris des Siciliens & des Calabrois à nourrir les vers qui font la Soie, à la filer, & à la mettre en œuvre, les étofes de Soie commencérent auffi à fe fabriquer en France, fur tout dans les parties méridionales de ce roiaume, où les meuriers viennent plus facilement. Louis XI en 1470, établit des manufactures de Soiries à Tours. Les premiers Ouvriers qui y

travaillérent furent appellés de Génes, de Venife, de Florence, & même de la Gréce. Les ouvrages de Soie étoient encore si rares, même à la Cour, que Henri II fut le premier qui porta un bas de Soie aux noces de fa fœur.

Maintenant ils font devenus fort communs, mais ils n'ont point ceffè d'être une des merveilles de la nature les plus étonnantes. Les plus habiles ouvriers ont-ils pu jufqu'ici imiter cet ingénieux travail des vers à Soie? Ont-ils trouvé le fecret de former un fil fi fin, fi ferme, fi égal, fi brillant, fi continu? Ont-ils une matiére plus précieufe que ce fil pour faire les plus riches étofes? Sait-on comment ce vers convertit le fuc d'une feuille en des filets d'or? Peut-on rendre raison, de ce qu'une matiére, liquide avant qu'elle ait pris l'air, s'affermit & s'allonge à l'infini dès qu'elle l'a fenti Peut-on expliquer comment ce vers eft averti de fe former une retraite pour l'hiver fous les contours fans nombre de la Soie dont il eft le principe, & d'attendre dans ce riche tombeau une espèce de résurrection qui lui donne des ailes, que fa premiére naiffance lui avoit refufées. Ce

font les réflexions que fait l'Auteur du nouveau Commentaire fur Job à l'occafion de ces paroles: Quis pofuit in nentibus fapientiam? QUI A DONNE' à certains animaux qui ont l'induftrie de filer cette espéce de fageffe?

CONCLUSION.

Tour ce que j'ai dit jufqu'ici doit faire conclure que le Commerce eft une des parties du gouvernement qui peuvent le plus contribuer à la richelle & à l'abondance d'un Etat, & que par cette raison il mérite que les Princes & leurs Miniftres y donnent une attention particuliére. Il ne paroit pas à la vérité que les Romains en aient fait grand cas. Eblouis de la gloire des armes, ils auroient cru que c'eût été fe dégrader, que de donner leurs foins à l'exercice du trafic, & de devenir en quelque forte marchands, eux qui fe croioient destinés à gouverner les peuples, & qui étoient uniquement occupés du deffein de conquerir l'univers. Il femble en effet que l'efprit de Conquête & l'efprit de Commerce s'excluent mutuellement dans une même nation. L'un entraîne nécef

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fairement le tumulte, le defordre, la défolation, & porte par tout le trouble: l'autre, au contraire, ne refpire que la paix & la tranquillité. Je n'examine point ici fi cet éloignement des Romains pour le Commerce étoit fondé en raifon, & fi un peuple qui n'eft que belliqueux, en eft pour cela plus heureux. Je dis feulement qu'un Roi qui aime véritablement ses fujets, & qui cherche à répandre l'abondance dans fes Etats, ne manquera pas de donner tous fes foins pour y faire fleurir le trafic; & il y réuffira fans peine. On a dit souvent, & c'eft une maxime généralement reçue, que le Commerce ne demande que liberté, & protection: liberté, renfermée dans de fages bornes, en ne génant point ceux qui l'exercent par l'afferviffement à des régles incommodes, onéreuses, & fouvent inutiles; protection, en leur accordant tous les fecours dont ils ont befoin. On a vû quelles dépenfes fit Prolémée Philadelphe pour rendre le Commerce floriffant en Egypte, & combien l'heureux fuccès qu'eurent fes foins lui a acquis de gloire. Un Prince intelligent & bien intentionné

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ne fe mêle du Commerce que pour en bannir févérement la fraude & la mauvaise foi, & il en laiffe tout le profit à fes fujets qui en ont la peine, bien perfuadé qu'il en tirerà assez d'avantages par les grandes richeffes qui entreront dans les Etats.

Je fai que le Commerce a des inconvéniens & des dangers. L'or, l'argent, les diamans, les perles, les étofes précieuses, qui en font une grande partie, contribuent à entretenir une infinité d'arts pernicieux qui ne vont qu'à amollir & qu'à corrompre les mœurs. Il feroit à fouhaiter qu'on pût écarter d'un roiaume chrétien le Commerce à l'égard de toutes les chofes qui ne fervent qu'à nourrir le luxe, la vanité, la molleffe, & lesfolles dépenfes. Mais cela n'eft pas poffible. Tant que la cupidité régnera parmi les hommes, on abufera de tout, & même des meilleures choses. L'abus eft condannable, mais n'eft point une raifon d'abolir des ufages qui ne font point mauvais par euxmêmes. Cette maxime aura lieu dans tous les Arts dont j'ai à parler dans la fuite.

Fin du Dixiéme Tome.

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