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courtisane. Cette malheureuse avait beau pleurer, s'arracher les cheveux et se désespérer les gens qui la conduisaient n'en étaient pas plus touchés que Zambullo, qui en faisait de grands éclats de rire avec Asmodée.

« Hé bien! dit ce démon à l'écolier, êtesvous content? Non, répondit don Cléofas. Pour me donner une entière satisfaction, portez-moi sur les prisons. Que j'ai de plaisir d'y voir enfermer la misérable qui s'est jouée de mon amour! Je me sens pour elle plus de haine, en ce moment, que je n'ai jamais eu de tendresse. Je le veux bien, lui répliqua le diable; vous me trouverez toujours prêt à suivre vos volontés, quand elles seraient contraires aux miennes et à mes intérêts, pourvu que ce soit pour votre bien. >>

Ils volèrent tous deux sur les prisons, où bientôt arrivèrent les deux spadassins, qui furent logés dans un cachot noir. Pour Thomasa, on la mit sur la paille avec trois ou quatre autres femmes de mauvaise vie qu'on avait arrêtées le même jour, et qui devaient être transférées le lendemain au lieu destiné pour ces sortes de créatures.

« Je suis à présent satisfait, dit Zambullo; j'ai goûté une pleine vengeance; ma mie Thomasa ne passera pas la nuit aussi agréa

blement qu'elle se l'était promis. Nous irons où il vous plaira continuer nos observations. Nous sommes ici dans un endroit propre à cela, répondit l'esprit. Il y a dans ces prisons un grand nombre de coupables et d'innocents: c'est un séjour qui sert à commencer le châtiment des uns, et à purifier la vertu des autres. Il faut que je vous montre quelques prisonniers de ces deux espèces, et que je vous dise pourquoi on les retient dans les fers. »

CHAPITRE VII

Des prisonniers.

AVANT que j'entre dans ce détail, observez un peu les guichetiers qui sont à l'entrée de ces horribles lieux. Les poëtes de l'antiquité n'ont mis qu'un Cerbère à la porte de leurs enfers; il y en a ici bien davantage, comme vous voyez. Ces guichetiers sont des hommes qui ont perdu tout sentiment humain. Le plus méchant de mes confrères pourrait à peine en remplacer un. Mais je m'aperçois, ajouta-t-il, que vous considérez avec horreur ces chambres,

où il n'y a pour tous meubles que des grabats ces cachots affreux vous paraissent autant de tombeaux. Vous êtes justement étonné de la misère que vous y remarquez, et vous déplorez le sort des malheureux que la justice y retient : cependant ils ne sont pas tous également à plaindre; c'est ce que nous allons examiner.

<< Premièrement, il y a dans cette grande chambre à droite quatre hommes couchés dans ces deux mauvais lits; l'un est un cabaretier, accusé d'avoir empoisonné un étranger, qui creva l'autre jour dans sa taverne. On prétend que la qualité du vin a fait mourir le défunt; l'hôte soutient que c'est la quantité, et il sera cru en justice, car l'étranger était Allemand. — Eh! qui a raison du cabaretier ou de ses accusateurs? dit don Cléofas. - La chose est problématique, répondit le diable. Il est bien. vrai que le vin était frelaté; mais, ma foi, le seigneur allemand en a tant bu, que les juges peuvent en conscience remettre en liberté le cabaretier.

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Le second prisonnier est un assassin de profession, un de ces scélérats qu'on appelle valientes, et qui, pour quatre ou cinq pistoles, prêtent obligeamment leur ministère à tous ceux qui veulent faire cette dépense pour se débarrasser de

quelqu'un secrètement. Le troisième, un maître à danser qui s'habille comme un petit-maître, et qui a fait faire un mauvais pas à une de ses écolières. Et le quatrième, un galant qui a été surpris, la semaine passée, par la ronda, dans le temps qu'il montait, par un balcon, à l'appartement d'une femme qu'il connaît, et dont le mari est absent. Il ne tient qu'à lui de se tirer d'affaire, en déclarant son commerce amoureux; mais il aime mieux passer pour un voleur, et s'exposer à perdre la vie, que de commettre l'honneur de sa dame.

-Voilà un amant bien discret, dit l'écolier; il faut avouer que notre nation l'emporte sur les autres en fait de galanterie. Je vais parier qu'un Français, par exemple, ne serait pas capable, comme nous, de se laisser pendre par discrétion. -Non, je vous assure, dit le diable; il monterait plutôt exprès à un balcon pour déshonorer une femme qui aurait des bontés pour lui.

<< Dans un cabinet auprès de ces quatre hommes, poursuivit-il, est une fameuse sorcière, qui a la réputation de savoir faire des choses impossibles. Par le pouvoir de son art, de vieilles douairières trouvent, dit-on, des jeunes gens qui les aiment but à but; les maris deviennent fidèles à leurs

femmes, et les coquettes véritablement amoureuses des riches cavaliers qui s'attachent à elles. Mais il n'y a rien de plus faux que tout cela. Elle ne possède point d'autre secret que celui de persuader qu'elle en a, et de vivre commodément de cette opinion. Le Saint-Office réclame cette créature-là, qui pourra bien être brûlée au premier Acte de foi.

<< Au-dessous du cabinet, il y a un cachot noir, qui sert de gîte à un jeune cabaretier. -Encore un hôte de taverne! s'écria Léandro; ces sortes de gens-là veulent-ils donc empoisonner tout le monde? - Celui-ci, reprit Asmodée, n'est pas dans le même cas. On arrêta ce misérable avant-hier, et l'Inquisition le réclame aussi. Je vais, en peu de mots, vous dire le sujet de sa détention.

« Un vieux soldat, parvenu par son courage, ou plutôt par sa patience, à l'emploi de sergent dans sa compagnie, vint faire des recrues à Madrid. Il alla demander un logement dans un cabaret. On lui dit qu'il y avait à la vérité des chambres vides, mais qu'on ne pouvait lui en donner aucune, parce qu'il revenait toutes les nuits dans la maison un esprit qui maltraitait fort les étrangers, quand ils avaient la témérité d'y vouloir coucher. Cette nouvelle

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