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que, sur la foi de la renommée qui publie partout vos perfections, je me suis laissé enflammer d'un ardent amour pour vous. Néanmoins, malgré les feux dont je suis la proie, je n'ai osé hasarder aucun acte de galanterie. mais comme il m'est revenu que vous daignez arrêter vos regards sur moi quand je passe devant la jalousie qui dérobe aux yeux des hommes votre beauté céleste, et même que, par une influence de votre astre très-heureuse pour moi, vous inclinez à me vouloir du bien, je prends la liberté de vous demander la permission de me consacrer à votre service. Si je suis assez fortuné pour l'obtenir, je renonce à toutes les dames passées, présentes et à venir.

DON COME DE LA HIGUERA.

« Le page et la suivante ne manquèrent pas de s'égayer aux dépens du seigneur don Côme, et de se divertir de sa lettre. Ils n'en demeurèrent pas là: ils composèrent à frais communs un billet tendre, que la femme de chambre écrivit de sa main, et que Domingo rendit le jour suivant à l'écuyer, comme une réponse de dona Luziana. Il contenait ces paroles :

J'ignore qui peut vous avoir si bien instruit de mes sentiments secrets. C'est une trahison que quelqu'un m'a faite; mais je la lui pardonne, puisqu'elle est cause que vous m'apprenez que vous m'aimez. De tous les hommes que je vois passer dans ma rue, vous êtes celui que je prends le plus de plaisir à regarder, et je veux bien que vous soyez mon amant. Peut-être ne devrais-je pas le vouloir, et encore moins vous le dire. Si c'est une faute que je fais, votre mérite me rend excusable.

DONA LUZIANA.

« Quoique cette réponse fût un peu trop vive pour la fille d'un mestre de camp, car les auteurs n'y avaient pas regardé de si près, le présomptueux don Côme ne s'en défia point; il s'estimait assez pour s'imaginer qu'une dame pouvait oublier pour lui les bienséances. « Ah! Domingo, s'écria-t-il « d'un air triomphant, après avoir lu à << haute voix la lettre supposée, tu vois, « mon ami, si la voisine en tient : je << serai bientôt gendre de don Fernand, «ou je ne suis pas don Côme de la Higuera.

«

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Il n'en faut pas douter, dit le bour<< reau de confident; vous avez fait sur sa

LE DIABLE BOITEUX.

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« fille une furieuse impression. Mais à « propos, ajouta-t-il, je me souviens que ma « parente m'a bien recommandé de vous a dire que dès demain, tout au plus tard, il << était nécessaire que vous donnassiez une « sérénade à sa maîtresse, pour achever de « la rendre folle de votre seigneurie. — Je « le veux bien, dit l'écuyer. Tu peux as« surer ta cousine que je suivrai son con« seil, et que demain, sans faute, elle en<< tendra dans sa rue, au milieu de la nuit, « un des plus galants concerts qu'on ait ja<< mais entendus à Madrid. » En effet, il alla trouver un habile musicien, et après lui avoir communiqué son projet, il le chargea du soin de l'exécution.

« Tandis qu'il était occupé de sa sérénade, Floretta, que le page avait prévenue, voyant sa maîtresse en bonne humeur, lui dit: « Madame, je vous apprête un agréa« ble divertissement. » Luziana lui demanda ce que c'était. « Oh! vraiment, re« prit la soubrette en riant comme une « folle, il y a bien des affaires. Un original, « nommé don Côme, gouverneur des pa<< ges du comte d'Onate, s'est avisé de vous <«< choisir pour la dame souveraine de ses << pensées, et doit demain au soir, afin que « vous n'en ignoriez, vous régaler d'un « admirable concert de voix et d'instru

«ments. » Dona Luziana, qui naturellement était fort gaie, et qui d'ailleurs croyait les galanteries de l'écuyer sans conséquence pour elle, bien loin de prendre son sérieux, se fit par avance un plaisir d'entendre sa sérénade. Ainsi cette dame, sans le savoir, aidait à confirmer don Côme dans une erreur dont elle se serait fort offensée, si elle l'eût connue.

<< Enfin, la nuit du jour suivant, il parut devant le balcon de Luziana deux carrosses, d'où sortirent le galant écuyer et son confident, accompagnés de six hommes, tant chanteurs que joueurs d'instruments, qui commencèrent leur concert. Il dura fort longtemps. Ils jouèrent un grand nombre d'airs nouveaux, et chantèrent plusieurs couplets de chansons, qui roulaient tous sur le pouvoir que l'amour a d'unir des amants d'une inégale condition; et à chaque couplet, dont la fille du mestre de camp se faisait l'application, elle riait de

tout son cœur.

« Lorsque la sérénade fut finie, don Côme renvoya les musiciens chez eux, dans les mêmes carrosses qui les avaient amenés, et demeura dans la rue avec Domingo, jusqu'à ce que les curieux que la musique avait attirés se furent retirés. Après quoi il s'approcha du balcon, d'où bientôt la

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suivante, avec la permission de sa maîtresse, lui dit par une petite fenêtre de la jalousie « Est-ce vous, seigneur don « Côme? Qui me fait cette question? << répondit-il d'une voix doucereuse. « C'est, répliqua la soubrette, dona Lu«<ziana qui souhaite de savoir si le con«< cert que nous venons d'entendre est un « effet de votre galanterie?- Ce n'est, ré<< partit l'écuyer, qu'un échantillon des « fêtes que mon amour prépare à cette << merveille de nos jours, si elle veut bien « les recevoir d'un amant sacrifié sur l'au«tel de sa beauté. »

« A cette expression figurée, la dame n'eut pas peu d'envie de rire; elle se retint toutefois, et, se mettant à la petite fenêtre, elle dit à l'écuyer, le plus sérieusement qu'il lui fut possible: «Seigneur don Côme, « il paraît bien que vous n'êtes pas un galant << novice: c'est de vous que les cavaliers << amoureux doivent apprendre à servir leurs << maîtresses. Je suis très-contente de votre « sérénade, et je vous en tiendrai compte: « mais, ajouta-t-elle, retirez-vous: on peut << nous écouter; une autre fois nous aurons « un plus long entretien. » En achevant ces mots elle ferma la fenêtre, laissant l'écuyer dans la rue, fort satisfait de la faveur qu'elle venait de lui faire, et le page

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