à Villius, qui s'imaginait être gendre de Scylla parce qu'il était bien avec la fille de ce dictateur: cette comparaison est d'autant plus juste, que ce chevalier a, comme le romain, un Longazenus, c'est-à-dire un rival de néant, qui est encore plus favorisé que lui. « On dirait que les mêmes hommes renaissent de temps en temps sous de nouveaux traits. Je reconnais dans ce commis le ministre Bollanus, qui ne gardait de mesures avec personne, et qui rompait en visière à tous ceux dont l'abord lui était désagréable. Je revois dans ce vieux président Fufidius, qui prêtait son argent à cinq pour cent par mois; et Marsœus, qui donna sa maison paternelle à la comédienne Origo, revit dans ce garçon de famille, qui mange avec une femme de théâtre une maison de campagne qu'il a près de l'Escurial. » Asmodée allait poursuivre; mais comme il entendit tout à coup accorder des instruments de musique, il s'arrêta, et dit à don Cléofas: « Il y a au bout de cette rue des musiciens qui vont donner une sérénade à la fille d'un alcalde de corte: si vous voulez voir cette fête de près, vous n'avez qu'à parler. J'aime fort ces sortes de concerts, répondit Zambullo; approchons-nous de ces symphonistes: peut-être y a-t-il des voix parmi eux.» Il n'eut pas achevé ces mots, qu'il se trouva sur une maison voisine de l'alcalde. Les joueurs d'instruments jouèrent d'abord quelques airs italiens, après quoi deux chanteurs chantèrent alternativement les couplets suivants. Ier COUPLET. Si de tu hermosura quieres (Si vous voulez une copie de vos grâces et de votre beauté, écoutez-moi, car je prétends en faire le portrait.) 2 COUPLET. Es tu frente toda nieve Y el alabastro batallas En ella vaya. (Votre visage tout de neige et d'albâtre a fait des défis à l'amour qui se moquait de lui.) 3o COUPLET. Amor labrò de tus cejas Quien le mata. (L'amour a fait de vos sourcils deux arcs pour son carquois; mais il a découvert dessous qui le ire.) LE DIABLE BOITEUX. 14 4o COUPLET. Eres dueña de el lugar, Iman de los alvedrios, (Vous êtes souveraine de ce séjour, la voleuse des cœurs, l'aimant des désirs, un joli bijou.) 5o COUPLET. Un rasgo de tu hermosura Quisiera yo retratar la. Que es estrella, es cielo, es sol: (Je voudrais d'un seul trait peindre votre beauté: c'est une étoile, un ciel, un soleil: non, ce n'est qu'une aurore.) « Les couplets sont galants et délicats, s'écria l'écolier. Ils vous semblent tels, dit le démon, parceque vous êtes Espagnol; s'ils étaient traduits en français, par exemple, ils ne jetteraient pas un trop beau coton: les lecteurs de cette nation n'en approuveraient pas les expressions figurées, et y trouveraient une bizarrerie d'imagination qui les ferait rire. Chaque peuple est entêté de son goût et de son génie. Mais laissons là ces couplets, continua-t-il; vous allez entendre une autre musique. << Suivez de l'œil ces quatre hommes qui paraissent subitement dans la rue: les voici qui viennent fondre sur les symphonistes. Ceux-ci se font des boucliers de leurs instruments, lesquels, ne pouvant résister à la force des coups, volent en éclats. Voyez arriver à leur secours deux cavaliers, dont l'un est le patron de la sérénade. Avec quelle furie ils chargent les agresseurs! Mais ces derniers, qui les égalent en adresse et en valeur, les reçoivent de bonne grâce. Quel feu sort de leurs épées! Remarquez qu'un défenseur de la symphonie tombe; c'est celui qui a donné le concert : il est mortellement blessé. Son compagnon, qui s'en aperçoit, prend la fuite: les agresseurs de leur côté se sauvent, et tous les musiciens disparaissent: il ne reste sur la place que l'infortuné cavalier dont la mort est le prix de la sérénade. Considérez en même temps la fille de l'alcalde: elle est à sa jalousie, d'où elle a observé tout ce qui vient de se passer; cette dame est si fière et si vaine de sa beauté, quoiqu'assez commune, qu'au lieu d'en déplorer les effets funestes, la cruelle s'en applaudit et s'en croit plus aimable. « Ce n'est pas tout, ajouta-t-il : regardez un autre cavalier qui s'arrête dans la rue auprès de celui qui est noyé dans son sang, pour le secourir, s'il est possible; mais pendant qu'il s'occupe d'un soin si charitable, prenez garde qu'il est surpris par la ronde qui survient: la voilà qui le mène en prison, où il demeurera longtemps, et il ne lui en coûtera guère moins que s'il était le meurtrier du mort. Que de malheurs il arrive cette nuit! dit Zambullo.-Celui-ci, reprit le diable, ne sera pas le dernier. Si vous étiez présentement à la porte du Soleil, vous seriez effrayé d'un spectacle qui s'y prépare. Par la négligence d'un domestique, le feu est dans un hôtel, où il a déjà réduit en cendres beaucoup de meubles précieux; mais, quelques riches effets qu'il puisse consumer, don Pèdre de Escolano, à qui appartient cet hôtel malheureux, n'en regrettera point la perte s'il peut sauver Séraphine, sa fille unique, qui se trouve en danger de périr. » Don Cléofas souhaita de voir cet incendie, et le boiteux le transporta, dans l'instant même, à la porte du Soleil, sur une grande maison qui faisait face à celle où était le feu. |