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« que vous me donnez lieu de croire que sa << recherche vous serait agréable, je veux << vous ménager cet amant. Je suis très<< sensible, répartit Léonor en s'attendris<< sant, au service que vous me voulez ren<< dre. Quand le comte ne tiendrait pas un << des premiers rangs à la cour, quand il ne << serait qu'un simple cavalier, je le préfé<< rerais à tous les autres hommes; mais <«< ne nous flattons point: Belflor est un « grand seigneur, destiné sans doute pour <«< une des plus riches héritières de la mo«narchie. N'attendons pas qu'il se borne « à la fille de don Luis, qui n'a qu'une for« tune médiocre à lui offrir. Non, non, ajouta-t-elle, il n'a pas pour moi des sen«timents si favorables: il ne me regarde << pas comme une personne qui mérite de << porter son nom ; il ne cherche qu'à m'of<< fenser.

-Eh! pourquoi, dit la duègne, voulez<< vous qu'il ne vous aime pas assez pour << vous épouser ? L'amour fait tous les jours << de plus grands miracles. Il semble, à << vous entendre, que le ciel ait mis entre le comte et vous une distance infinie. << Faites-vous plus de justice, Léonor: il « ne s'abaissera point en unissant sa desti« née à la vôtre; vous êtes d'une ancienne « noblesse, et votre alliance ne saurait le

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« faire rougir. Puisque vous avez du pen<«< chant pour lui, continua-t-elle, il faut <«< que je lui parle; je veux approfondir ses <<< vues, et si elles sont telles qu'elles doivent « être, je le flatterai de quelque espérance. << -Gardez-vous-en bien, s'écria Léonor; << je ne suis point d'avis que vous l'alliez << chercher; s'il me soupçonnait d'avoir quelque part à cette démarche, il cesserait « de m'estimer. --Oh! je suis plus adroite << que vous ne pensez, répliqua la dame « Marcelle; je commencerai par lui repro« cher d'avoir eu dessein de vous séduire. << Il ne manquera pas de vouloir se justi<< fier; je l'écouterai; je le verrai venir. En« fin, ma fille, laissez-moi faire, je ména<< gerai votre honneur comme le mien. »>

« La duègne sortit à l'entrée de la nuit. Elle trouva Belflor aux environs de la maison de don Luis. Elle lui rendit compte de l'entretien qu'elle avait eu avec sa maîtresse, et n'oublia pas de lui vanter avec quelle adresse elle avait découvert qu'il en était aimé. Rien ne pouvait être plus agréable au comte que cette découverte; aussi en remercia-t-illa dame Marcelle dans les termes les plus vifs; c'est-à-dire qu'il promit de lui livrer dès le lendemain les mille pistoles, et il se répondit à lui-même du succès de son entreprise, parce qu'il savait bien

LE DIABLE BOITEUX.

noncer.

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but

qu'une fille prévenue est à moitié séduite. Après cela, s'étant séparés fort satisfaits l'un de l'autre, la duègne retourna au logis. «Léonor, qui l'attendait avec inquiétude, lui demanda ce qu'elle avait à lui an« La meilleure nouvelle que << vous puissiez apprendre, lui répondit la «< gouvernante: j'ai vu le comte. Je vous <«<le disais bien, ma fille, ses intentions ne << sont pas criminelles ; il n'a point d'autre de se marier avec vous; il me l'a que « juré par tout ce qu'il y a de plus sacré << parmi les hommes. Je ne me suis pas « rendue à cela, comme vous pouvez pen<«< ser. «Si vous êtes dans cette disposition, << lui ai-je dit, pourquoi ne faites-vous pas << auprès de don Luis la démarche ordi<< naire ? Ah! ma chère Marcelle, m'a<< t-il répondu, sans paraître embarrassé de «< cette demande, approuveriez-vous que, << sans savoir de quel œil me regarde Léo<< nor, et ne suivant que les transports d'un << aveugle amour, j'allasse tyranniquement « l'obtenir de son père? Non, son repos << m'est plus cher que mes désirs, et je suis « trop honnête homme pour m'exposer à << faire son malheur. »

<< Pendant qu'il parlait de la sorte, con«<tinua la duègne, je l'observais avec «< une extrême attention, et j'employais

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« mon expérience à démêler dans ses yeux a s'il était effectivement épris de tout l'a«mour qu'il m'exprimait. Que vous di<< rai-je ? il m'a paru pénétré d'une véri<«<table passion; j'en ai senti une joie que << j'ai bien eu de la peine à lui cacher; << néanmoins, lorsque j'ai été persuadée de << sa sincérité, j'ai cru que, pour vous assu«rer un amant de cette importance, il était de lui laisser entrevoir vos senà propos «<timents. «Seigneur, lui ai-je dit, Léonor « n'a point d'aversion pour vous; je sais « qu'elle vous estime, et, autant que j'en « puis juger, son cœur ne gémira pas de « votre recherche. Grand Dieu ! s'est-il « alors écrié tout transporté de joie, qu'en« tends-je! Est-il possible que la charmante « Léonor soit dans une disposition si favo«rable pour moi? Que ne vous dois-je « point, obligeante Marcelle, de m'avoir « tiré d'une si longue incertitude? je suis « d'autant plus ravi de cette nouvelle, que « c'est vous qui me l'annoncez; vous qui, a toujours révoltée contre ma tendresse, « m'avez tant fait souffrir de maux; mais « achevez mon bonheur, ma chère Mar« celle, faites-moi parler à la divine Léo<< nor ; je veux lui donner ma foi, et luiju<< rer devant vous que je ne serai jamais « qu'à elle. »

« A ce discours, poursuivit la gouver<«< nante, il en a ajouté d'autres encore plus << touchants. Enfin, ma fille, il m'a priée « d'une manière si pressante de lui procu<< rer un entretien secret avec vous, que je << n'ai pu me défendre de le lui promettre. ((- Eh! pourquoi lui avez-vous fait cette << promesse ? s'écria Léonor avec quelque << émotion; une fille sage, vous me l'avez << dit cent fois, doit absolument éviter ces << conversations, qui ne sauraient être que << dangereuses. Je demeure d'accord de

« vous l'avoir dit, répliqua la duègne, et «< c'est une très-bonne maxime; mais il << vous est permis de ne la pas suivre dans «< cette occasion, puisque vous pouvez re« garder le comte comme votre mari. — Il << ne l'est point encore, répartit Léonor, et << je ne le dois pas voir que mon père n'ait « agréé sa recherche. »

se

« La dame Marcelle, en ce moment, repentit d'avoir si bien élevé une fille dont elle avait tant de peine à vaincre la retenue. Voulant toutefois en venir à bout à quelque prix que ce fût : « Ma chère Léo«< nor, reprit-elle, je m'applaudis de vous << voir si réservée. Heureux fruit de mes << soins! vous avez mis à profit toutes les <«<leçons que je vous ai données. Je suis << charmée de mon ouvrage; mais, ma fille,

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