Imágenes de páginas
PDF
EPUB

< je vais appeler tous mes domestiques; je << veux qu'ils me vengent de sa trahison et « de ta lâcheté.

«<-Seigneur, répliqua don Pèdre, rendez << plus de justice à votre fils; cessez de le << traiter de lâche ; il ne mérite point ce nom « odieux. Le comte m'a sauvé la vie cette << nuit. Il m'a proposé, sans me connaître, « de l'accompagner à son rendez-vous. Je « me suis offert à partager les périls qu'il y «<< pouvait courir, sans savoir que ma re« connaissance engageait imprudemment << mon bras contre l'honneur de ma famille. << Ma parole m'oblige donc à défendre ici ses << jours: par-là je m'acquitte envers lui; mais << je ne ressens pas moins vivement que vous << l'injure qu'il nous a faite, et dès demain << vous me verrez chercher à répandre son << sang avec autant d'ardeur que vous m'en « voyez aujourd'hui à le conserver. »

« Le comte, qui n'avait point parlé jusque-là, tant il avait été frappé du merveilleux de cette aventure, prit alors la parole: « Vous pourriez, dit-il à l'écolier, assez mal << venger cette injure par la voie des armes: « je veux vous offrir un moyen plus sûr << de rétablir votre honneur. Je vous avoue« rai que jusqu'à ce jour je n'ai pas eu « dessein d'épouser Léonor; mais ce matin <«<j'ai reçu de sa part une lettre qui m'a

« touché, et ses pleurs viennent d'achever « l'ouvrage; le bonheur d'être son époux fait à présent ma plus chère envie. - Si « le roi vous destine une autre femme, dit « don Luis, comment vous dispenserez« vous...........?— Le roi ne m'a proposé aucun << parti, interrompit Belflor en rougissant. << Pardonnez, de grâce, cette fable à un << homme dont la raison était troublée par << l'amour. C'est un crime que la violence « de ma passion m'a fait commettre, et « que j'expie en vous l'avouant.

«<-Seigneur, reprit le vieillard, après <«< cet aveu qui sied bien à un grand cœur, « je ne doute plus de votre sincérité: je vois « que vous voulez en effet réparer l'affront << que nous avons reçu ; ma colère cède aux << assurances que vous m'en donnez: souf<< frez que j'oublie mon ressentiment dans << vos bras. » En achevant ces mots, il s'approcha du comte, qui s'était avancé pour le prévenir. Ils s'embrassèrent tous deux à plusieurs reprises; ensuite Belflor, setournant vers don Pèdre: « Et vous, faux don « Juan, lui dit-il, vous qui avez déjà gagné << mon estime par une valeur incomparable « et par des sentiments généreux, venez, que « je vous voue une amitié de frère.» En disant cela, il embrassa don Pèdre, qui reçut ses embrassements d'un air soumis et

respectueux, et lui répondit : « Seigneur, << en me promettant une amitié si précieuse, « vous acquérez la mienne. Comptez sur << un homme qui vous sera dévoué jusqu'au << dernier moment de sa vie.»

<< Pendant que ces cavaliers tenaient de semblables discours, Léonor, qui était à la porte de sa chambre, ne perdait pas un mot de tout ce que l'on disait. Elle avait d'abord été tentée de se montrer et de s'aller jeter au milieu des épées, sans savoir pourquoi. Marcelle l'en avait empêchée; mais lorsque cette adroite duègne vit que les affaires se terminaient à l'amiable, elle jugea que la présence de sa maîtresse et la sienne ne gâteraient rien. C'est pourquoi elles parurent toutes deux le mouchoir à la main, et coururent en pleurant se prosterner devant don Luis. Elles craignaient, avec raison, qu'après les avoir surprises la nuit dernière, il ne leur sût mauvais gré de la récidive; mais il fit relever Léonor, et lui dit: «Ma «fille, essuyez vos larmes, je ne vous ferai «point de nouveaux reproches; puisque << votre amant veut garder la foi qu'il vous « a jurée, je consens d'oublier le passé.

«<-Oui, seigneur don Luis, dit le comte, « j'épouserai Léonor; et pour réparer encore «mieux l'offense que je vous ai faite, pour « vous donner une satisfaction plus entière,

« et à votre fils un gage de l'amitié que je lui ai «< vouée, je lui offre ma sœur Eugénie.—Ah! << seigneur, s'écria don Luis avec transport, <«< que je suis sensible à l'honneur que vous « faites à mon fils! Quel père fut jamais «<plus content? Vous me donnez autant de « joie que vous m'avez causé de douleur.»

« Si le vieillard parut charmé de l'offre du comte, il n'en fut pas de même de don Pèdre: comme il était fortement épris de son inconnue, il demeura si troublé, si interdit,qu'il ne put dire une parole; mais Eelflor, sans faire. attention à son embarras, sortit, en disant qu'il allait ordonner les apprêts de cette double union, et qu'il lui tardait d'être attaché à eux par des chaînes si étroites.

« Après son départ, don Luis laissa Léonor dans son appartement, et monta dans le sien avec don Pèdre, qui lui dit avec toute la franchise d'un écolier : « Seigneur, dis<< pensez-moi, je vous prie, d'épouser la << sœur du comte : c'est assez qu'il épouse « Léonor. Ce mariage suffit pour rétablir «l'honneur de notre famille. Hé quoi ! « mon fils, répondit le vieillard, auriez« vous de la répugnance à vous marier avec «la sœur du comte? Oui, mon père, ré« partit don Pèdre; cette union, je vous «<l'avoue, serait un cruel supplice pour moi, « et je ne vous en cacherai point la cause.

[ocr errors]
[ocr errors]

« J'aime, ou, pour mieux dire, j'adore de<< puis six mois une dame charmante: j'en « suis écouté ; elle seule peut faire le bon« heur de ma vie.

<- Que la condition d'un père est mal<< heureuse ! dit alors don Luis; il ne trouve « presque jamais ses enfants disposés à faire «< ce qu'il désire; mais quelle est donc cette «personne qui a fait sur vous une si forte << impression? Je ne le sais point encore, «lui répondit don Pèdre : elle a promis de « me l'apprendre lorsqu'elle sera satisfaite. << de ma constance et de ma discrétion; mais « je ne doute pas que sa maison ne soit une << des plus illustres d'Espagne.

[ocr errors]

Et vous croyez, répliqua le vieillard << en changcant de ton, que j'aurai la com<< plaisance d'approuver votre amour roma<< nesque? Je souffrirai que vous renonciez « au plus glorieux établissement que la for<«tune puisse vous offrir, pour vous con« server fidèle à un objet dont vous ne savez << pas seulement le nom? N'attendez point <«< cela de ma bonté. Etouffez plutôt les sen« timents que vous avez pour une personne « qui est peut-être indigne de vous les avoir « inspirés, et ne songez qu'à mériter l'hon<< neur que le comte veut vous faire. - Tous << ces discours sont inutiles, mon père, ré« partit l'écolier; je sens que je ne pourrai

« AnteriorContinuar »