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MONTEZE.

Ah! que dis-tu, ma fille! épargne ma vieilleffe.
Au nom de la Nature, au nom de ma tendreffe,
Par nos deftins affreux, que ta main peut changer,
Par ce cœur paternel que tu viens d'outrager,
Ne rends point de mes ans la fin trop douloureuse.
Ai-je fait un feul pas, que pour te rendre heureuse?
Jouïs de mes travaux; mais crains d'empoifonner
Ce bonheur difficile, où j'ai fcû t'amener.
Ta carriere nouvelle, aujourd'hui commencée,
Par la main du devoir est à jamais tracée.
Ce Monde en gémiffant, te preffe d'y courir.
Il n'a d'apui que toi, voudras-tu le trahir?
Aprend à te dompter.

ALZIRE.

Faut-il aprendre à feindre?

Quelle science! helas!

SCENE V.

GUSMAN, ALZIRE.

GUSMAN.

J

'Ai fujet de me plaindre,

Que l'on oppofe encore à mes empreffemens,
L'offençante lenteur de ces retardemens,

J'ai fufpendu ma loy prête à punir l'audace,
De tous ces Ennemis, dont vous vouliés la grace.
Ils font en liberté ; mais j'aurois à rougir,
Si ce foible service eut pû vous attendrir.

J'attendois encor moins de mon pouvoir suprême.
Je voulois vous devoir à ma flamme, a vous-même,
Et je ne penfois pas, dans mes vœux fatisfaits,
Que ma felicité vous coutât des regrets.

ALZIRE.

Que puiffe feulement la colere celefte

Ne

pas rendre ce jour a tous les deux funefte!
Vous voyés quel effroy me trouble & me confond.
Il parle dans mes yeux, il eft peint fur mon front.
Tel eft mon caractére, & jamais mon visage
N'a de mon cœur encor démenti le langage.
Qui peut fe déguiser, pourroit trahir sa foi.
C'eft un art de l'Europe; il n'eft pas fait pour moi.

GUSMAN.

Je vois votre franchife, & je fçais que Zamore
Vit dans votre mémoire, & vous eft cher encore.
Ce Cacique obftiné, vaincu dans les Combats,

*

S'arme encor, contre moi de la nuit du trépas. Vivant, je l'ai dompté; mort, doit-il être à craindre? Ceffés de m'offenfer, & ceffés de le plaindre.

Le mot propre eft Inca; mais les Espagnols accoutumés, dans l'Amèrique Septentrionale, au titre de Cacique, le donnérent d'abord à tous les Souverains du nouveau Monde.

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Votre devoir, mon nom, mon coeur en font bleffes.;
Et ce cœur eft jaloux des pleurs que vous verfés.
ALZIRE.:

Aiés moins de colere, & moins de jaloufie.
Un Rival au tombeau doit caufer peu d'envie.
Je l'aimois, je l'avoüe, & tel fut mon devoir.
De ce monde opprimé Zamore étoit l'espoir;
Sa foy me fut promise, il eut pour moi des charmes,
Il m'aima: Son trepas me coute encor des larmes.
Vous, loin d'ofer ici condamner ma douleur,
Jugés de ma conftance, & connaiffés mon cœur,
Et quittant avec moi cette fierté cruelle,
Mérités, s'il fe peut, un cœur auffi fidele.

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Son

Etonné mon courage, & plait à ma fiertë.
Allons, ne fouffrons pas que cette humeur altiere
Coute plus à dompter que l'Amérique entiere.
La groffiere Nature, en formant fes appas,
Lui laiffe un cœur fauvage, & fait pour ces Climats.
Le devoir fléchira fon courage rebelle.

Ici tout m'eft foumis, il ne refte plus qu'elle:
Que l'hymen en triomphe, & qu'on ne dife plus
Qu'un Vainqueur & qu'un Maître effuia des refus.
Fin du prémier Alte.

ACTE

A

ACTE II.

SCENE I.

ZAMORE, AMERICAINS,

ZAMORE.

Mis, de qui l'audace, aux Mortels peu commune,
Renaît dans les dangers & croît dans l'infortune,
Illuftres Compagnons de mon funefte fort!
N'obtiendrons-nous jamais la vengeance ou la mort?
Vivrons-nous fans fervir Alzire & la Patrie,
Sans ôter à Gufman fa déteftable vie,

Sans punir, fans trouver cet infolent vainqueur,
Sans venger mon Païs qu'a perdu fa fureur?
Dieux impuiffants, Dieux vains de nos vaftes Contrées,
A des Dieux Ennemis vous les avés livrées,

Et fix cens Espagnols ont détruit fous leurs coups
Mon Païs, & mon Thrône, & vos Temples, & vous!
Vous n'avés plus d'Autels, & je n'ai plus d'Empire.
Nous avons tout perdu, je fuis privé d'Alzire.
J'ai porté mon courroux, ma honte & mes regrets,
Dans les fables mouvants, dans le fond des forêts
De la Zone brulante, & du milieu du Monde,
L'Aftre du jour a vû ma course vagabonde,
Jufqu'aux lieux où ceffant d'éclairer nos Climats.

B

*

Il ramene l'année, & revient fur fes pas. Enfin votre amitié, vos foins, votre vaillance A mes vaftes défirs ont rendu l'efperance; Et j'ai cru fatisfaire, en cet affreux féjour, Deux Vertus de mon cœur, la vengeance & l'amour. Nous avons raffemblé des Mortels intrépides, Eternels ennemis de nos Maîtres avides; Nous les avons laiffés dans ces forêts errants, Pour obferver ces murs bâtis par nos Tirans. J'arrive, on nous faifit; une foule inhumaine, Dans des gouffres profonds nous plonge & nous en

chaîné.

De ces lieux infernaux on nous laiffe fortir,

Sans que denotre fort on nous daigne avertir.

Amis où fommes-nous? ne pourra-t'on m'inftruire
Qui commande en des lieux, quel eft le fort d'Alzire ?
Si Monteze eft efclave & voit encor le jour,
S'il traîne fes malheursen cette horrible Cour?
Chers & triftes amis du malheureux Zamore,
Ne pouvés-vous m'aprendre un deftin que j'ignore?

UN AMERICAIN.

En des lieux differens comme toi mis aux fers, Conduits en ce Palais par des chemins divers, Etrangers, inconnus, chez ce Peuple farouche,!

*L'Aftronomie, la Geographie, la Geometrie étoient cultivées, au Perou. On traçoit des Lignes fur des Colonnes pour marquer les Equinoxes & les Solftices.

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