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SCENE III.

ZAMORE, AMERICAINS.

ZAMORE.

Es Cieux enfin fur moi la bonté fe déclare,

Je trouve un homme jufte en ce féjour barbare,
Alvarès eft un Dieu, qui parmi ces pervers
Defcend pour adoucir les mœurs de l'Univers.
Ila, dit-il, un fils. Ce fils fera mon frere.
Qu'il foit digne, s'il peut, d'un fi vertueux pere.
O jour! ô doux efpoir à mon cœur éperdu!
Monteze! aprés trois ans, tu vas m'être rendu;
Alzire, chere Alzire, ô toi que j'ai fervie,
Toi pour qui j'ai tout fait, toi l'ame de ma vie,
Serois-tu dans ces lieux! hélas me gardes-tu
Cette fidélité, la prémiere vertu?

Un cœur infortuné n'eft point fans défiance....
Mais quel autre Vieillard à mes regards s'avance?

SCENE IV.

MONTEZE, ZAMORE, AMERICAINS,

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ZAMORE,

Her Monteze,eft-ce toi que je tiens dans mes bras? Revoi ton cher Zamore, échapé du trépas, Qui du fein du tombeau renaît pour te défendre, Revoi ton tendre ami, ton allié, ton gendre.

Alzire eft-elle ici? parle, quel eft son fort?
Ache de me rendre ou la vie ou la mort,

MONTEZ E.

Cacique malheureux! fur le bruit de ta perte,
Aux plus tendres regrets notre ame étoit ouverte.
Nous te redemandions à nos cruels deftins,
Autour d'un vain tombeau que t'ont dreffé nos mains,
Tu vis; puiffe le Ciel te rendre un fort tranquile!
Puiffent tous nos malheurs finir dans cet azile !
Zamore! ah! quel deffein t'a conduit en ces lieux ?

ZAMORE,

La foif de te vanger, toi, ta fille, & mes Dieux.

Que dis-tu?

MONTEZE.

ZA MORE.

Souviens-toi du jour épouvantable, Où ce fier Efpagnol, terrible, invulnérable, Renverfa, détruifit jufqu'en leurs fondemens Ces murs que du Soleil ont bâti les enfans.* Gufman étoit fon nom. Le deftin qui m'oprime Ne m'aprit rien de lui que fon nom & fon crime. Ce nom, mon cher Monteze, à mon cœur fi fatal,

* Les Péruviens, qui avoient leurs fables comme les Peuples de notre Continent, croyoient que leur premier Inca qui bâbit Cufco, étoit fils du Soleil.

Du pillage & du meurtre étoit l'affreux fignal.
A ce nom de mes bras on m'arracha ta fille,
Dans un vil esclavage on traîna ta famille,
On démolit ce temple & ces autels chéris,
Où nos Dieux m'attendoient pour me nommerton fils;
On me traîna vers lui. Dirai-je à quel fuplice,
A quels maux me livra fa barbare avarice,
Pour m'arracher ces biens par lui deifiés,
Idoles de fon Peuple, & que je foule aux pieds?
Je fus laiffe mourant au milieu des tortures.
Le tems ne peut jamais affoiblir les injures.
Je viens, après trois ans, d'affembler des amis,
Dans leur commune haine avec nous affermis:
Ils font dans nos forêts, & leur foule héroïque
Vient périr fous ces murs, ou vanger l'Amérique.
MONTEZE.

Je te plains. Mais hélas! où vas tu t'emporter?
Ne cherche point la mort qui vouloit t'éviter,
Que peuvent tes amis & leurs armes fragiles,
Des habitans des eaux dépoüilles inutiles,
Ces marbres impuiffans en fabres façonnés,
Ces Soldats prefque nuds & mal difciplinés,
Contre ces fiers géants, ces Tirans de la terre,
De fer étincelans, armés de leur tonnere,
Qui s'élancent fur nous, auffi promts que les vents)
Sur des monftres guerriers, pour eux obéïffants?
L'Univers a cédé ... cédons, mon cher Zamore.

I

ZAMORE.

Moi fléchir! moi ramper, lorfque je vis encore !
Ah! Monteze, croi moi; ces foudres, ces éclairs,
Ce fer dont nos Tirans font armés & couverts,
Ces rapides courfiers qui fous eux font la guerre,
Pouvoient à leur abord épouvanter la Terre:
Je le vois d'un ceil fixe, & leur ofe infulter.
Pour les vaincre, il fuffit de ne rien redouter.
Leur nouveauté, qui feule a fait ce monde efclave,
Subjugue qui la craint, & cede à qui la brave...
L'or, ce poifon brillant qui naît dans nos climats,
Attire ici l'Europe, & ne nous défend pas.

Le fer manque à nos mains : les Cieux, pour nous avares,
Ont fait ce don funefte à des mains plus barbares;
Mais pour vanger enfin nos Peuples abatus,
Le Ciel, au lieu de fer, nous donna des vertus.
Je combats pour Alzire, & je vaincrai pour elle.

MONTEZ E.

Le Ciel eft contre toi: calme un frivole zele.
Les tems font trops changés.

ZAMORE.

Que peux tu dire, hélas!

Les tems font-ils changés, fi ton cœur ne l'eft pas?
Si ta fille eft fidelle à fes voeux, à fa gloire,
Si Zamore eft préfent encor à fa mémoire?

Tu détournes les yeux; tu pleures, tu gémis!

MONTEZ E.

Zamore infortuné!

ZAMORE.

Ne fuis-je plus ton fils?

Nos Tirans ont flétri ton ame magnanime.
Sur le bord de la tombe ils t'ont apris le crime,

MONTEZE.

Je ne fuis point coupable, & tous ces conquérans,
Ainfi que tu le crois, ne font point des Tirans.
Il en eft que le Ciel guida dans cet Empire,

* Moins

pour nous conquerir qu'afin de nous inftruire; Qui nous ont aporté de nouvelles vertus,

Des fecrets immortels, & des arts inconnus,

La fcience de l'homme, un grand exemple à fuivre
Enfin l'art d'être heureux, de penser, & de vivre.

ZA MORE.

Que dis-tu ! quelle horreur ta bouche ofe avouer? Alzire cft leur efclave; & tu peux les loüer!

On voit que Monteze, perfuadé comme il l'eft, ne fait point une lâcheté en refufant fa fille à Zamore: Il doit trop aimer fa Religion & fa fille, pour la céder à un Idolâtre qui ne pourroit la défendre.

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