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de l'Europe & de celles du nouveau Monde, matiere fi favorable à la Poëfie, enrichira peutêtre le Théatre de fa Piéce nouvelle.

Il verra

fi je ferai le dernier à lui aplaudir; & fi un indigne amour-propre ferme mes yeux aux beautés d'un Ouvrage.

J'ofe dire avec confiance que je fuis plus attaché aux beaux Arts qu'à mes Ecrits: fenfible à l'excès dès mon enfance pour tout ce qui porte le caractere de genie, je regarde un grand Poëte, un bon Muficien, un bon Peintre, un Sculteur habile (s'il a de la probité) comme un homme que je dois cherir, comme un frere que les Arts m'ont donné ; les jeunes gens qui voudront s'appliquer aux Lettres, trouveront en moi un ami, plufieurs y ont trouvé un pere. Voilà mes fentimens; quiconque a vêcu avec moi sçait bien que je n'en ai point d'autres. Je me fuis cru obligé de parler ainfi au Public fur moi-même une fois en ma vie. A l'égard de ma Tragédie, je n'en dirai rien. Réfuter des Critiques eft un vain amour-propre; confondre la calomnie eft un devoir.

D. GUSMAN, Gouverneur du Perou.

D. ALVARES, Pere de Don Gufman, ancien Gouverneur.

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La Scene eft dans la Ville de Los Reyes,

autrement Lima.

ALZIRE

OU

LES AMERICAINS,

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

D. ALVARE'S, D. GUSMAN.

ALVARE'S.

DU Confeil de Madrid l'autorité fupréme, Pour fucceffeur enfin, me nomme un fils que j'aime.

D

Faites régner le Prince, & le Dieu que je fers a
Sur la riche moitié d'un nouvel Univers.
Gouvernés cette rive en malheurs trop féconde,

A

Qui produit les tréfors & les crimes du monde :
Je vous remets, mon fils, les honneurs fouverains
Que la vieilleffe arrache à mes débiles mains.
J'ai confumé mon âge au fein de l'Amérique ;
Je montrai le premier * aux Peuples du Méxique
L'apareil inoüi pour ces mortels nouveaux,
De nos châteaux aîlés qui voloient fur les eaux ;
Des mers de Magellan, jufqu'aux aftres de l'Ourfe
** Cortez, Herman, Pizare ont dirigé ma courfe;
Heureux fi j'avois pû, pour fruit de mes travaux,
En Chretiens vertueux changer tous ces Héros !
Mais qui peut arrêter l'abus de la victoire?

Leurs cruautés, mon fils, ont obfcurci leur gloire,
Et j'ai pleuré longtems fur ces triftes vainqueurs,
Que le Ciel fit fi grands fans les rendre meilleurs,
Je touche aux derniers pas de ma longue carriere;
Et mes yeux fans regret quitteront la lumiére,
S'ils vous ont vû régir fous d'équitables Loix,
L'Empire du Potofe, & la Ville des Rois.

GUSMAN.

J'ai conquis avec vous ce fauvage Hémisphere.
Dans ces climats brûlants, j'ai vaincu fous mon pere.
Je dois de vous encore aprendre à gouverner,

* Il est très-aisé qu'Alvarés fe foit trouvé à ces deux Expeditions, la Conquête du Méxique ayant été commencée en 1517. & celle du Perou en 1525.

** Rien n'eft plus connu que les exploits & les barbaries de Ferdinand Cortez & des Pizare.

Et recevoir vos loix plutôt que d'en donner.
ALVARE'S.

Non, non, l'autorité ne veut point de partage:
Confumé de travaux, apefanti par l'âge,

Je suis las du pouvoir: c'eft affez fi ma voix,
Parle encor au Confeil, & regle vos exploits.
Croy és-moi, les humains, que j'ai trop fçû connaître,
Méritent peu, mon fils, qu'on veuille être leur maître.
Je confacre à mon Dieu, négligé trop longtems,
De ma caducité les reftes lánguiffans.

Je ne veux qu'une grace: elle me fera chere,
Je l'attends comme ami, je la demande en pere.
Mon fils, remettez-moi ces Efclaves obfcurs,
Aujourd'hui par votre ordre arrêtés dans nos murs;
Songés que ce grand jour doit être un jour propice,
Marqué par la clémence, & non par la justice.

GUSMAN.

Quend vous priés un fils, Seigneur, vous commandés: Mais daignés voir au moins ce que vous hazardés. D'une Ville naiffante, encor mal affurée

7

Au Peuple Américain nous défendons l'entrée :
Empêchons, croyez-moi, que ce Peuple orgueilleux
Au fer qui l'a dompté n'accoûtume fes yeux ;
Que meprifant nos loix, & prompt à les enfraindre,
Il n'ofe contempler des maîtres qu'il doit craindre.
Il faut toûjours qu'il tremble, & n'aprenne à nous voir,
Qu'armés de la vengeance ainfi que du pouvoir.

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