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L'Amèricain farouche eft un monftre fauvage,
Qui mord en fremiffant le frein de l'esclavage;
Soûmis au châtiment, fier dans l'impunité,
De la main qui le flatte il fe croit redouté.
Tout pouvoir en un mot périt par l'indulgence,
Et la févérité produit l'obéïffance.

Je fçai qu'aux Caftillans il fuffit de l'honneur ;
Qu'à fervir fans murmure ils mettent leur grandeur :
Mais le refte du monde, efclave de la crainte,
A befoin qu'on l'oprime, & fert avec contrainte.
Les Dieux même * adorés dans ces climats affreux,
S'ils ne font teints de fang, n'obtiennent point de vœux.

ALVARE'S.

Ah mon fils, que je haïs ces rigueurs tiranniques!
Les pouvés-vous aimer ces forfaits politiques,
Vous Chrétien, vous choisi pour régner deformais
Sur desChrétiens nouveaux, au nom d'un Dieu de paix?
Vos yeux ne font-ils pas affouvis des ravages
Qui de ce Continent dépeuplent les rivages?
Des bords de l'Orient n'étois-je donc venu
Dans un monde idolatre, à l'Europe inconnu,
Que pour voir abhorrer fous ce brûlant Tropique,
Et le nom de l'Europe, & le nom Catholique?
Ah! Dieu nous envoyoit, par un plus heureux choix,

*Au Méxique & au Perou on immoloit des hommes à ce qu'on apelloit la Divinité; & ce qu'il y a de plus horrible, c'est que prefque tous les Peuples de la terre ont été coupables de pareils facrileges par religion

Pour annoncer fon nom, pour faire aimer fes Loix;
Et nous, de ces climats deftructeurs implacables,
Nous, & d'or & de fang toujours infatiables,
Déferteurs de ces Loix qu'il falloit enseigner,
Nous égorgeons ce Peuple au lieu de le gagner.
Par nous tout eft en fang, par nous tout eft en poudre,
Et nous n'avons du Ciel imité que la foudre.
Notre nom, je l'avouë, infpire la terreur:

Les Espagnols font craints; mais ils font en horreur.
Fleaux du nouveau monde, injuftes, vains, avares,
Nous feuls en ces climats, nous fommes les Barbares.
L'Américain farouche, en fa fimplicité,

Nous égale en courage, & nous paffe en bonté.
Helas! fi comme vous il étoit fanguinaire,

S'il n'avoit des vertus, vous n'auriés plus de pere.
Avés-vous oublié qu'ils m'ont fauvé le jour ?
Avés-vous oublié, que près de ce féjour
Je me vis entouré par ce Peuple en furie,
Rendu cruel enfin, par notre barbarie?

Deux des miens à mes yeux terminérent leur fort.
J'étois feul, fans fecours, & j'attendois la mort;
Mais à mon nom, mon fils, je vis tomber leurs armes.
Un jeune Américain, les yeux baignés de larmes,
Suivi de tous les fiens embraffa mes genoux:
» Alvarés, me dit-il, Alvarés, est-ce vous ? *
Vives: votre vertu nous est trop néceffaire,

*On trouve un pareil trait dans une Relation de la nouvelle Efpagne.

,, Vivés, aux malheureux fervés longtems de pere, Qu'un peuple de Tyrans, qui veut nous enchaîner, Par cet exemple un jour aprenne à pardonner.

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,, Allés; la grandeur d'ame eft du moins le partage
Du Peuple infortuné qu'ils ont nommé fauvage,
Eh bien, vous gémiffez! Je fens qu'à ce récit
Votre cœur, malgré vous, s'émeut & s'adoucit.
L'humanité vous parle ainfi que votre pere.
Ah! la cruauté vous étoit toûjours chere,
De quel front aujourd'hui pourriés-vous vous offrir
Au vertueux, objet qu'il vous faut attendrir,
A la fille des Rois de ces triftes contrées,
Qu'à vos farglantes mains la fortune a livrées,
Prétendés-vous, mon fils, cimenter ces liens
Par le fang répandu de fes concitoyens?
Ou bien attendés-vous que fes cris & fes larmes,
De vos févéres mains faffent tombler les armes ?

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Eh bien, vous l'ordonnés; je brife leurs liens.
J'y confens. Mais fongés qu'il faut qu'ls foient Chre-

tiens;

Ainfi le veut la Loi. Quitter l'idolatrie

Eft un titre en ces lieux pour mériter la vie.
A la Religion gagnons-les à ce prix.

Commandons aux cœurs même, & forçons les efprits.

De la néceffité le pouvoir invincible,

Traîne au pied des Autels un courage inflexible.

Je veux que ces Mortels, esclaves de ma Loi,

Tremblent fous un feul Dieu comme fous un feul Roi,

ALVARE'S.

Ecoutés-moi, mon fils. Plus que vous je désire
Qu'ici la vérité fonde un nouvel Empire;
Que le Ciel & l'Espagne y foient fans ennemis :
Mais les cœurs oprimés ne font jamais foumis.
J'en ai gagné plus d'un, je n'ai forcé perfonne,
Et le vrai Dieu, mon fils, eft un Dieu qui pardonne.

GUSMAN.

Je me rends donc, Seigneur, & vous l'avés voulu ;
Vous avés fur un fils un pouvoir abfolu.

Oui, vous amoliriés le cœur le plus farouche;
L'indulgente vertu parle par votre bouche.
Eh bien, puifque le Ciel voulut vous accorder
Ce don, cet heureux don de tout perfuader,
Ç'eft de vous que j'attends le bonheur de ma vie.
Alzire, contre moi par mes feux enhardie,
Se donnant à regret, ne me rend point heureux.
Je l'aime, je l'avoue, & plus que je ne veux;
Mais enfin je ne puis même en voulant lui plaire,
De mon cœur trop altier, fléchir le caractere ;
Et rampant fous fes loix, efclave d'un coup d'œil,
Par des foumiffons careffer fon orgueil.

Je ne veux point fur moi lui donner tant d'empire.
Vous feul, vous pouvés tout fur le pere d'Alzire,

A

En un mot parlés-lui pour la derniere fois.
Qu'il commande à fa fille, & force enfin fon choix :
Daignés.... mais c'en eft trop. Je rougis que mon pere
Pour l'interét d'un fils s'abaiffe à la priere.

ALVARE'S.

C'en eft fait, j'ai parlé, mon fils, & fans rougir.
Monteze a vu fa fille, il l'aura fçu fléchir.
De fa famille augufte, en ces lieux prifonniere,
Le Ciel a par mes foins confolé la mifere.

Pour le vrai Dieu, Montéze a quitté fes faux Dieux;
Lui-même de fa fille a défillé les yeux,

De tout ce nouveau monde Alzire eft le modele;
Les Peuples incertains fixent leurs yeux fur elle;
Son cœur aux Caftillans vâ donner tous les cœurs,
L'Amérique à genoux adopterá nos mœurs.
La foi doit y jetter fes racines profondes:
Votre hymen eft le noeud qui joindra les deux mondes,
Ces féroces humains qui détestent nos Loix,
Voyant entre vos bras la fille de leurs Rois,

Vont d'un efprit moins fier, & d'un coeur plus facile,
Sous votre joug heureux baiffer un front docile;
Et je verrai, mon fils, grace à ces doux liens,
Tous les cœurs déformais Espagnols & Chrétiens.
Monteze vient ici, mon fils, allés m'attendre
Aux Autels, où fa fille avec lui va fe rendre,

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