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Ja feul qui a jufqu'ici tiré mes Ouvrages de l'obfcurité où leurs défauts devoient les enfevelir.

Voilà pourquoi la Henriade, s'eft foutenuë malgré les efforts de quelques Français jaloux qui ne veulent pas abfolument que la France ait un Poëme épique. Il y a toujours un petit nombre de Lecteurs, qui ne laiffent point empoifonner leur jugement du venin des caballes & des intrigues, qui n'aiment que le vrai, qui cherchent toûjours l'homme dans l'Auteur. Voilà ceux devant qui j'ai trouvé grace. C'est à ce petit nombre d'hommes que j'adresse les réflections fuivantes; j'efpere qu'ils les pardonnerontà la néceffité où je fuis de les faire.

Un Etranger s'étonnoit un jour à Paris d'une foule de libelles de toute efpece, & d'un déchaînement cruel, par lequel un homme étoit opprimé. Il faut apparemment, dit-il, que cet homme foit d'une grande ambition, & qu'il cherche à s'élever à quelqu'un de ces poftes qui irritent la cupidité humaine & l'envic. Non, lui répondit-on; c'eft, un Citoyen obscur, retiré, qui vit plus avec Virgile & Locke, qu'avec fes Compatriotes & dont la figure n'eft pas plus connuë de quelques-uns de fes ennemis, que du Graveur qui a prétendu graver fon Portrait. C'est l'Auteur de quelques Piéces qui vous ont fait verfer des larmes, de quelques Ouvrages dans lefquels, malgré leurs défauts, vous aimez cet efprit d'humanité, de juftice, de liberté qui y regne. Ceux qui le calomnient, ce font des

hommes pour la plupart plus obfcurs que lui, qui prétendent lui difputer un peu de fumée, & qui le perfécuteront jusqu'à sa mort, uniquement à cause du plaifir qu'il vous a donné. Cet Etranger fe fentit quelque indignation pour les perfécuteurs, & quelque bienveillance pour le perfécuté.

Il est dur, il faut l'avouer, de ne point obte nir de fes Contemporains & de fes Compatriotes, ce que l'on peut efperer des Etrangers & de la pofterité. Il est bien cruel, bien honteux pour l'efprit humain, que la Littérature foit infectée de ces haines perfonnelles, de ces cabales, de ces intrigues qui devroient être le partage des efclaves de la fortune. Que gagnent les Auteurs en fe déchirant mutuellement? Ils aviliffent une profeffion qu'il ne tient qu'à eux de rendre refpectable. Faut-il que l'art de penfer, le plus beau partage des hommes, devienne une fource de ridicule; & que les gens d'efprit rendus fouvent par leurs querelles le jouet des fots, foient les bouffons d'un Public dont ils devroient être les Maitres.

Virgile, Varius, Pollion, Horace, Tibulle, étoient amis; les monumens de leur amitié fubfiftent, & apprendront à jamais aux hommes que les efprits fuperieurs, doivent être unis. Si nous n'atteignons pas à l'excellence de deur genie, ne pouvons-nous au moins avoir leurs vertus? Ces hommes fur qui l'univers avoit les yeux, qui avoient à fe difputer l'admiration de l'Afie,

de l'Afrique, de l'Europe, s'aimoient pourtant & vivoient en freres: & nous qui fommes renfermés fur un fi petit théatre, nous dont les noms à peine connus dans un coin du monde, pafferont bien-tôt comme nos modes, nous nous acharnons les uns contre les autres pour un éclair de réputation, qui hors de notre petit horifon, ne frappe les yeux de perfonne. Nous fommes dans un tems de difette, nous avons peu, nous nous l'arrachons. Virgile & Horace ne fe difputoient rien parce qu'ils étoient dans l'abon

dance.

On a imprimé un Livre, de morbis Artifi cum: de la maladie des Artiftes. La plus incurable eft cette jaloufie & cette baffeffe. Mais ce qu'il y a deshonorant c'eft que l'interêt a fou vent plus de part encore que l'envie à toutes ces petites Brochures fatiriques, dont nous fommes inondés. On demandoit il n'y a pas long-tems à un homme qui avoit fait je ne fçai qu'elle mauvaife Brochure, contre fon ami & fon bienfaicteur, pourquoi il s'étoit emporté à cet excès d'ingratitude. Il répondit froidement: Il faut que je vive.

De quelque fource que partent ces outrages, il eft fur qu'un homme qui n'eft attaqué que dans fes écrits ne doit jamais répondre aux Critiques; car fi elles font bonnes, il n'a autre chose à faire qu'à fe corriger; & fi elles font mauvaifes, elles meurent en naiffant. nous de la Fable du Bocalini.

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SouvenonsUn voyageur,

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», dit-il, étoit importuné dans fon chemin du bruit des Cigales, il s'arrêta pour les tuer; il n'en vint pas à bout, & ne fit que s'écarter de fon chemin. Il n'avoit qu'à continuer paifiblement fon voyage; les Cigales feroient mortes d'elles mêmes au bout de huit jours. Il faut toûjours que l'Auteur s'oublic; mais l'homme ne doit jamais s'oublier, fe ipfum deferere turpiffimum eft. On fçait que ceux qui n'ont pas affez d'efprit pour attaquer nos Ouvrages, calomnient nos perfonnes: quelque honteux qu'il foit de leur répondre, il le feroit quelque fois d'advantage de ne leur répondre

pas.

Il y a une de ces calomnies répétée dans vingt Libelles au fujet de la belle édition Anglaife de la Henriade. Il ne s'agit là que d'un vif interét; ma conduite prouve affez combien je fuis audeffus de ces baffeffes. Je ne fouillerai point cet écrit d'un détail fi aviliffant on trouvera chez Bauche Libraire, une réponse fatisfaifante. Mais il y a d'autres accufations que l'honneur oblige à repouffer.

On ma traité dans ces Libelles, d'homme fans Religion; & une des belles preuves qu'on a porté c'eft que dans Oedipe, Jocafte dit ces

vers:

Les Prêtres ne font point ce qu'un vain peuple pense, Notre crédulité fait toute leur fçience.

Ceux qui m'ont fait ce reproche, font auffi raifonnables pour le moins que ceux qui ont imprimé que la Henriade dans plufieurs endroits fentoit bien fon Semipelagien.

On renouvelle fouvent cette accufation cruelle d'irreligion, parce que c'eft le dernier refuge des calomniateurs. Comment leur répondre ? comment s'en confoler, finon en se souvenant de la foule de ces grands hommes, qui depuis Socrate jufqu'à Defcartes ont effuyé ces calomnies atroces? Je ne ferai ici qu'une feule queftion: Je demande qui a le plus de religion, ou le calomniateur qui perfecute, ou le calomnié qui pardonne.

Ces mêmes Libelles me traitent d'homme envieux de la reputation d'autrui; je ne connois l'envie que par le mal qu'elle m'a voulu faire. J'ai deffendu à mon efprit d'être fatirique, & il eft impoffible à mon coeur d'être envieux.

J'en appelle à l'Auteur de Radamifte & d'Electre, dont les Ouvrages m'ont infpiré les premiers le défir d'entrer quelque tems dans la même carriere; fes fuccés ne m'ont jamais couté d'autres larmes que celles que l'attendriffement m'arrachoit aux representations de fes pieces, il fait qu'il n'a fait naître en moi que de l'emulation & de l'amitié.

L'Auteur ingénieux & digne de beaucoup de confideration qui vient de travailler sur un sujet à peu près femblable à ma Tragédie, & qui s'eft exercé à peindre ce contrafte des mœurs

L

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