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crainte d'en venir avec lui aux mains; il traita l'envoyé Après J. C avec beaucoup de hauteur & voulut exiger qu'on lui re- Alparslan. mît pour ôtage la ville de Rei dans l'Adherbidgiane. Cet- L'an 1074 te ville étoit alors la capitale de l'Empire des Seljoucides. Le Sulthan irrité de ces demandes, fe prépara au combat. Ce jour-là étoit un vendredi, il fit fa priere & ne put s'empêcher de verfer quelques larmes fur le fang de tant de Musulmans qui alloit être repandu. Il fit publier que tous ceux qui vouloient se retirer, le fiffent, il quitta fon arc & fes fléches pour ne prendre que fon fabre & fa maffue & lia lui-même la queue de fon cheval. Toute fon armée en fit autant; il fe revêtit d'un habit blanc & fe parfuma, en difant, fi je fuis vaincu ce lieu fera mor tombeau : alors il marcha contre les Grecs. La victoire refta longtems incertaine & l'on combattit (a) de part & d'autre avec beaucoup d'acharnement; cependant les Turcs reculoient au petit pas & paroiffoient laiffer la fupériorité aux Grecs. L'Empereur, dont le camp n'étoit point fortifié, craignit que le Sulthan ne vînt le piller: il fit ceffer le combat fur le foir & fonner la retraite. Ceux qui étoient auprès de lui fe retirerent en bon ordre, mais les troupes qui étoient plus éloignées, s'imaginerent que l'Empereur fuyoit. Andronic fils de Cefar, ennemi fecret de Romain Diogene repandit ce bruit dans toute l'armée qui se débanda & prit la fuite. Les Turcs revinrent à la charge & attaquerent l'Empereur qui fe deffendit avec beaucoup de courage & ne fut arrêté prifonnier par un esclave nom mé Schady, qu'après avoir vû une grande partie de fon monde tué à fes côtés,fon cheval abbattu & lui-même blesfé. Cet efclave qui avoit été autrefois à Conftantinople & qui connoiffoit ce Prince, fe profterna à fes pieds & le conduifit au Sulthan. Alparslan (6) ne pouvoit croire que l'Empereur fût prifonnier; il fallut que quelques Turcs qui avoient été autrefois en ambassade à Conftantinople l'en afsurassent, & il n'en fut perfuadé que quand il vit Bafilacie fe jetter les larmes aux yeux, aux pieds de ce Prince.

(a) Le 26 du mois Dzoulcaada de l'an (b) Zonare le nomme Axan. 463 fuivant Elmacin

Tome II.

Dd

Alparflan.

Zonare. Glycas.

Les Ecrivains Grecs prétendent qu'Alparslan voyant ce Après J. C. Prince couché par terre, le foula aux pieds fuivant la couL'an 1071. tume que les Turcs obfervoient envers leurs prifonniers, & qu'il le releva enfuite & le confola de fon malheur. Les Arabes obmettent cette circonftance; mais ils ajoutent. que le Sulthan, lorfqu'il l'apperçut, defcendit de cheval & lui frappa trois fois dans la main en figne d'amitié, en le blamant de ce qu'il avoit refufé la paix qu'il lui avoit propofée. Tous conviennent qu'il demanda de quelle maniere Romain Diogenes l'auroit traité s'il l'avoit vaincu, & que cet Empereur lui répondit qu'il l'auroit fait fouetter. Comment lui repliqua le Sultan, penfez-vous que je vais vous traiter? ou vous me férez mourir dit l'Empereur, où vous me me traînerez dans tous vos Etats comme un captif, ou ce que je ne puis croire,vous me relacherez, après avoir reçu de moi une rançon & des otages. Des réponses fi fieres ne déplurent point au Sulthan qui lui rendit la liberté, à condition qu'il payeroit pour fa rançon un million de piéces d'or (a) & qu'il rendroit tous les prifonniers Musulmans qui étoient dans fon Empire. Après que ce traité (b) eut été figné de part & d'autre, Alparslan fit monter l'Empereur aveclui sur fon trône & le conduifit enfuite fous une tente où il lui donna des Officiers pour le fervir & lui fit préfent de dix mille pièces d'or; il lui rendit tous les Patrices qui avoient été faits prifonniers, après les avoir revêtus de même que l'Empereur, de robes d'honneur, fuivant la coutume des Orientaux. Il lui donna enfuite des foldats pour le reconduire jufques fur fes terres.

On fçait le fort que ce malheureux Prince éprouva en y rentrant. Les Grecs, inftruits de fa défaite, avoient mis fur le thrône de Conftantinople Michel Parapinace. Alors Romain Diogenes dépouillé de toute auorité,raffembla environ 200 mille pièces d'or qu'il envoya au Sulthan,en lui faisant dire qu'étant déthrôné, il ne fe trouvoit plus en état de lui

(a) Elmacin n'en met que cinq cens mille & en ajoute trois cens foixante mille qui devoient être payées tous les ans en forme de tribut.

(6) Zonare rapporte qu'une des conditions du traité fut que ces Princes marieroient ensemble leurs enfans.

Alparflan.

remettre sa rançon entiére; comme il marchoit toujours vers Conftantinople, il fut arrêté par le Roi d'Armenie qui Après J C. lui fit crêver les yeux, & il fut envoyé dans un Monastère où il mourut quelque tems après.

Le Sultan inftruit de ce qui venoit d'arriver & regar- L'an 1072. dant le traitement fait à l'Empereur comme une infraction aux traités, envoya de nouvelles armées dans les Provinces. de l'Empire. Elles ne s'occuperent plus comme auparavant à de fimples incurfions ni au pillage; elles s'efforcerent de s'emparer & de s'établir dans les Provinces qu'elles envahirent. Ifaac Comnene & Ruffelie furent chargés par l'Empereur de marcher contre les Turcs. Ruffelie (a) avec quatre cens Latins quitta le parti de l'Empereur & fit la guerre aux Grecs & aux Turcs. Il déclara Cefar l'oncle de l'Empereur & il remporta une grande victoire fur les Turcs; mais il fut enfuite vaincu & fait prifonnier avec le nouveau Cefar. Il fut racheté par fa femme & le Cefar par l'Empereur. Ruffelie fe retira avec les Latins dans l'Arménie dont il fit fon fejour ordinaire, jufqu'à ce qu'il fut arrêté par Toutousch, parent du Sulthan qui le rendit aux Grecs. A l'égard d'Ifaac Comnene il fut également battu & fait prifonnier par les Turcs.

C'eft pendant toutes ces guerres des Turcs & des Grecs Dherbelot. qu'Alparslan a dû faire la conquête de la Géorgie entiere; il ôta la liberté à ses habitans & obligea les Grands de la Nation à porter pour marque de leur fervitude, au lieu de chaînes & de colliers, un fer à cheval pendu à l'oreille, ce qui fut caufe que la plupart d'entre eux, pour ne point être expofés à cet affront, embrafferent le Mufulmanifme. Il reftoit cependant encore dans les montagnes un grand nombre de châteaux qu'il n'avoit pû réduire & dans lefquels ceux qui étoient demeurés attachés à leur Religion & à leur Prince s'étoient retirés. Il laiffa le foin d'achever cette conquête à fon fils Malek-schah. Le plus fameux fiège que ce Prince fit dans la Géorgie eft celui du château Miriam Nischin, c'est-à-dire la demeure de Marie, ainfi ap

(a) Anne Comnene le nomme Urfelius.

pellée à cause d'un Monaftère & d'une Eglife dédiée à la Après J. C. Alparan. Vierge. Ce château étoit fitué au milieu d'un lac. MalekL'an 1072. fchah fit un choix de fes meilleurs foldats & s'approcha de la place avec toutes les machines néceffaires pour l'efcalader. Mais une tempête effroyable qui s'éleva fur le lac,diffipa tout, elle fut fuivie d'un tremblement de terre fi violent les Chrétiens & les Turcs fe crurent perdus, une parque tie des murailles fut détruite. Les Turcs, après que cet orage fut paffé, entrerent par la brêche & prirent d'affaut cette place; & le fameux Monaftère où il y avoit toujours un grand concours de peuple fut ruiné.

Aboulfedha Aboulfaradge. Elmacin. Benfchounah Navairi.

Le Sulthan n'étoit alors occupé que du projet de faire la conquête du Turkeftan qui étoit la Patrie de fes peres. Outre la guerre contre les Gres qu'il venoit de terminer fi glorieusement, afin de n'avoir rien à craindre dans les autres contrées voifines de l'Empire Grec, il avoit (a) fait un voyage en Syrie & s'étoit affuré de Nasr (b) qui regnoit dans le Diar-bekr & de Mahmoud (e) Roi d'Alep. Il avoit appris quelque tems auparavant (d) que la priere publique avoit été rétablie au nom du Khalif & au fien dans la Meque (e). Enfin après avoir mis un nouveau gouverneur dans Bagdad il partit pour cette fameufe expédition à la tête de deux cens mille cavaliers. Il fit jetter (f) um pont fur le Gihon & employa vingt jours à faire paffer toute fon armée. Ce Prince voulut d'abord s'affurer d'un château nommé Berzem qui étoit dans les environs de ce fleuve & dans lequel un Kharifmien appellé Youfouph Kothual, homme intrepide, commandoit. Ce gouverneur fe deffendit courageufement pendant plufieurs jours; mais il fallut céder au grand nombre, la place fut prife & il fut fait prifonnier guerre. Le Sulthan irrité de cequ'il avoit ofé lui réfifter fi long-tems lui fit des reproches fi outrageux que le Gouverneur lui répondit avec beaucoup de fierté. Il fut auffitôt condamné à être attaché à quatre pieus & à perdre la

de

(a) L'an 463. de l'Heg. de J. C 1070.
(b) Fils d'Ahmed, fils de Merouan.
(c) Fils de Mardafch.

(4) L'an 462. de l'Heg. & de J. C. 1069.

(e) L'Emir de cette ville étoit alors appellé Mohammed fils d'Abou - hafchem.

(f) L'an 465 de l'Hegire.

Alparflan.

vie. Alors Youfouph tira un poignard & s'avança, après quelques paroles ménaçantes, pour fe jetter fur Álparflan. Après J. C. Ce Prince qui avoit beaucoup de force & d'adreffe à tirer L'an 1072. de l'arc empêcha qu'on ne l'arrêtat & voulut lui-même lui lancer une Ĥéche ; mais il manqua fon coup, & Yousouph transporté de fureur courut fur lui & lui enfonça fon poignard dans le côté comme il vouloit defcendre de deffus fon thrône. On tranfporta le Prince fous une autre tente & Youfouph fut affommé par les gardes.

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Elmacin

La bleffure d'Alparslan étoit mortelle, & lorfqu'il fe vit Dherbelos. au dernier moment de fa vie il dit à fes favoris. » Je me ref» fouviens aujourd'hui de deux avis qui m'ont été donnés par un fage vieillard; le premier de ne jamais mépriser perfonne; le fecond de ne point avoir trop d'eftime de » foi-même, ni trop de confiance dans fes forces. Je les ai negligés dans ces derniers jours de ma vie. Le grand nom»bre de mes troupes, que je confiderois hier de deffus une éminence, me faifoit croire que tout devoit céder à ma puiffance; aujourd'hui, préfumant trop de ma force & de » mon adreffe, j'ai voulu tuer moi - même & j'ai empêché qu'on arrêtât le gouverneur de Barzem. Je m'apperçois » maintenant que toute la puiffance des Rois, la force & l'adreffe des hommes ne peuvent s'oppofer aux décrets » éternels du deftin, & je meurs (a) par ma faute : il recommanda fon fils Malek-fchah à Nedham-el-moulk fon vizir & fit prêter ferment de fidélité à fes Officiers pour ce Prince. Alparflan fut porté après fa mort dans la ville de Merou dans le Khorafan, où l'on grava fur fon tombeau. Vous tous qui avez vû la grandeur d' Alparslan élevée jusqu'aux Cieux, venez à Merou & vous la verrez enfevelie fous la pouf fiére.

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Alparflan furnommé Saad-ed-doulet, c'eft-à-dire la felicité de l'Etat, avoit porté le titre de Sulthan pendant neuf ans & fix mois. Ce grand Prince étoit brave, généreux, jufte, doux & s'acquittoit en bon Musulman de tous les de

(a) Elmacin met la mort à l'an 464 le 10 de Rabiel-aoual; mais cette époque ne peut s'accorder avec la guerre que ce Prince fit à Romain Diogene. D'ailleurs

tous les autres Auteurs Arabes tels que
Novairi, Aboulfedha, Aboulfaradge,
Ben fchounah & M. Dherbelot la pla
cent à l'an 465.

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