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L'an 1092

arflan I.

l'attaquer, il fit débarquer fes foldats, & obligea Dalaffene Apr. J. C. à fe retirer dans une petite ville voifine. Le lendemain les Kilidge- deux armées fe livrerent un combat ; la cavalerie Turque qui voltigeoit de tous côtés accabla de fleches le corps des Francs qui étoit dans l'armée Grecque, & les obligea de prendre la fuite après des efforts incroyables; les Grecs les fuivirent fans avoir combattu, & fe réfugierent dans la ville, pendant que les Turcs qui s'étoient rapprochés de la mer, s'emparerent de plufieurs vaiffeaux; les autres ne trouvant de falut que dans la fuite, gagnerent la ville de Bolis.

L'Emir Tzachas fit alors propofer la paix au Général Grec, il y eut quelques conférences; mais Dalaffene qui fe défioit des Turcs, ne voulut rien conclure fans Jean Ducas frere de l'Impératrice qu'il attendoit. Tzachas partit fur le champ pour Smyrne dans le deffein d'y lever de nouvelles troupes, alors Dalaffene raffembla tout ce qu'il put de vaiffeaux, & alla furprendre Chio dont il fe rendit maître. Pendant la guerre que l'Empereur faifoit aux Scythes, Tzachas parcourut & ravagea toutes les Ifles de l'Archipel, & retourna enfuite à Smyrne, où il fe fit déclarer Roi, & y fit conftruire un grand nombre de vaiffeaux; fon deffein étoit, après avoir foumis les Ifles, de venir faire le fiége de Conftantinople,mais Alexis Comnène ne lui en donna pas le tems. Jean Ducas fit une defcente près de Mitylene où commandoit Galabatzas frere de Tzachas; les deux armées ne cefferent de fe harceler pendant trois mois. Enfin, les Grecs qui commençoient à perdre courage, firent de nouveaux efforts & battirent les Turcs: Tzachas lui-même, qui étoit venu au fecours, demanda la paix & la permiffion de fe retirer à Smyrne. On donna des ôtages de part & d'autre ; elle fut fignée & prefque auffi-tôt violée par les Grecs. Dalaffene qui s'avançoit vers Mitylene avec une flotte plus nombreufe que celle des Turcs, les attendit dans leur retraite. Jean Ducas lui repréfenta inutilement le traité que l'on venoit de conclure ; Dalaffene répondit qu'il n'y avoit aucune part, & qu'aucun ferment ne le retenoit, il attaqua la flotte Turque & fit égorger tous ceux qui la montoient. Comme il ne s'attacha qu'aux gros vaiffeaux, il manqua Tza

chas. Cet Emir avoit eu la précaution de ne monter qu'une fimple barque avec laquelle il revint à Smyrne. Jean Ducas & Dalaffene réunirent leurs troupes, & reprirent toutes les Ifles.

Apr. J. C. Kilidgearflan I.

L'an 1092.

Cette déroute n'avoit point abbattu le courage de Tzachas; il fongea à réparer fes pertes & à venir attaquer de nouveau les Grecs; alors Alexis Comnène qui ne pouvoit le vaincre par la force, eut recours à la rufe, il lui fufcita un nouvel ennemi,c'étoit le Sulthan Kilidge arflan fon beau-pere. Tzachas (a) s'étoit attribué dans Smyrne une autorité fouveraine, & ne reconnoiffoit pas celle du Sulthan.L'Empereur chargea Dalaffene de fe rendre à Nicée, & d'engager ce Prince à fe déclarer en faveur des Grecs, & de faire la guerre à Tzachas. Cette négociation eut tout le fuccès qu'il en attendoit. Le Sulthan fe mit à la tête de fes troupes & s'approcha d'Abydos, pendant que Dalaffene s'y rendoit avec fa flotte: Tzachas en faifoit alors le fiége. L'arrivée de deux ennemis fi puiffans le découragea, & le força d'implorer la clémence du Sulthan; Kilidge Arflan lui fit un accueil gracieux, mais bientôt après il le fit étrangler dans un feftin où Anne Comcet Emir s'étoit enyvré. Une paix qui n'avoit été ménagée nène. que par la rufe & la trahison, ne fut pas de longue durée; les Turcs rentrerent prefque auffi-tôt dans la Bithynie qui étoit fans défenfe, & recommencerent leurs courses.

Ces Peuples naturellement vagabonds, & qui ne trouvoient leur avantage que dans la guerre, n'avoient pas encore vécu affez long-tems parmi les Nations policées, pour se fixer dans les villes & s'adonner au commerce ou aux arts. Ils vivoient encore fous leurs tentes, aux environs des villes qu'ils avoient foumifes, avec leurs troupeaux, changeant fouvent de demeure, comme ils vivoient autrefois dans les plaines de la Tartarie: ils faifoient de grands ravages dans L'an 1096. I'Empire Grec. Ceux qui étoient répandus dans la Syrie & dans la Palestine ne ceffoient de perfécuter les Pélerins Chrétiens qui alloient à Jérufalem. Les cruautés qu'ils commet

(a) Anne Comnène dit que Tzachas étoit gendre du Sulthan; plus bas elle dit que le Sulthan avoit époufé la fille

de Tzachas. Ou il y a faute dans fon
texte, ou ces rinces avoient épousé la
fille l'un de l'autre.

Apr. J. C.

toient de toutes parts envers les Chrétiens & la profanation L'an 1096. des Lieux Saints; les révolutions fréquentes qui arrivoient Kilidge dans ces pays Orientaux, qui faifoient craindre que dans la fuiarflan L te il ne feroit plus permis aux Chrétiens d'y aller en pélerinage;

peut-être la foibleffe des Princes de l'Afie,qui laiffoit entrevoir une apparence de fuccès & d'établiffement en Syrie, fufciterent à Kilidge Arflan de nouveaux ennemis, qui du fond de l'Europe vinrent ravager la plus grande partie de fes Etats. Les Francs animés par le zele de la Religion ne fongerent plus qu'à délivrer Jérufalem, & les Chrétiens Orientaux. Parmi ces Francs, une multitude de gens fans aveu & de libertins fortirent de l'Europe, & ne pafferent en Afie, que pour s'enrichir, fe livrer de plus en plus à leurs vices, & y trouver l'impunité; les crimes de ceux-ci, le fanatifme de quelques autres, & le mêlange bizarre de Religion & de Chevalerie auquel on étoit accoutumé alors, ont fait désapprouver dans un fiécle plus éclairé ces fortes de guerres; on n'en a plus jugé que par les fuites, c'est-à-dire, par les défordres de quelques-uns des Chefs, défordres dont les Turcs euxmêmes rougirent, tout Barbares qu'ils étoient, mais qui font la fuite ordinaire des guerres. Voilà ce qui rend condamnable à nos yeux une expédition dans laquelle nos ancêtres ont donné les plus grandes preuves de valeur & de zele pour la Religion. Dans la fuite, les mœurs Afiatiques ont achevé de corrompre la plupart de ces Chefs,comme elles avoient énervé auparavant le courage des Romains. Cette grande expédition qui changea la face de l'Afie Occidentale, qui coûta à l'Europe des millions d'hommes, & qui ruina un grand nombre Arne Com- de familles de France, fut entreprise à l'inftigation d'un FranAlbertus çois nommé Pierre (a) l'Hermite originaire de Picardie. Il Aquenf. prêcha le premier la Croifade en France. Tous les Peuples enRobertus traînés par fes difcours, arborerent la Croix fur leurs habits. Les Abbas Gui- Seigneurs engagerent ou vendirent leurs biens à des ReliGefla Fran- gieux pour obtenir le pardon de leurs fautes, en chaffant de Jérufalem les Infidéles. Des milliers de François, d'Allemands & d'autres Nations de tout fexe & de tous états,

nene.

Monachus.

bert.

corum.

Sanut.

(a) Anne Comnène l'appelle Cucupe- le hommes de pied, & cent mille cheirus, & dit qu'il avoit quatre-vingt mil- vaux.

conduits par Pierre l'Hermite fe rendirent à Conftantinople,
de tems à Nicomédie, & vinrent en-
de-là pafferent en peu
fuite à (a) Helenopolis où ils demeurerent pendant environ

deux mois.

Tant de Peuples différens & mal difciplinés ne refterent pas long-tems unis entr'eux; les Allemands (b) & les Lombards fe féparerent fous la conduite d'un nommé Rainaud, & se transporterent au-delà de Nicée, où ils s'abandonnerent à toutes fortes de cruautés. Anne Comnène les accufe d'avoir mis en piéces les enfans à la mammelle pour les faire cuire. Les Turcs fortirent de Nicée, & allerent les attaquer, mais ils furent obligés de rentrer dans leur ville. Ces Barbares, je veux dire, cette troupe d'Allemans, retournerent à Helenopolis, d'où leur inconftance & la haîne qu'ils s'attirerent de tous les autres Croifés, les obligerent de décamper. Ils allerent prendre le château de Xerigord (e), réfolus d'y attendre le refte de l'armée Chrétienne. Ils s'y occuperent à faire des courses fur les terres du Sulthan. Kilidge Arflan (d) raffembla une armée de quinze mille hommes, & vint les (e) furprendre dans leur retraite; après avoir remporté quelque avantage fur un petit corps que ces Chrétiens avoient mis en embuscade, il fit des faignées qui empêcherent que l'eau ne pénétrât dans la Fortereffe. Les Chrétiens accablés par la foif avoient recours au fang des chevaux & des ânes pour fe défaltérer. Cette fituation affreufe dans laquelle ils refterent pendant huit jours, les mit au défespoir. Rainaud. leur chef avec fes gens, fous prétexte de faire une fortie les abandonna lâchement, & fe retira chez les Turcs où il embraffa le Mahométifme; les autres Chrétiens furent en partie faits prifonniers, & en partie paffés au fil de l'épée.

Les François qui étoient campés à Helenopolis, ne refpirerent que la vengeance, en apprenant la défaite de ces premiers

(a) Albert d'Aix dit qu'ils vinrent Camper près de Civitot, & qu'ils y de

meurerent environ deux mois.

(b) Anne Comnène les appelle Nor

mans.

(c) Robert le Moine & le Gefta Francorum le nomment Exerogorgo.

(d) L'Auteur du Gefta Francorum le

nomme, comme tous les autres Hifto-
riens des Croifades, Soliman, mais il
le fait fils d'un Soliman plus ancien. Il
faut l'appeller Kilidge arflan. Anne-
Comnène le nomme Cliziafthlan.

(e) Robert le Moine place cet événe
ment à la S. Michel.

L'au 1096.
Apr. J. C.

Kilidgearflan L.

Apr. J. C.

arflan I.

Croisés. Pierre l'Hermite étoit alors à Conftantinople; GauL'an 1096. tier Sans-avoir, un des Chefs de la Croifade, qui étoit dans Kilidge- le camp, ne les retint qu'avec peine; mais fes efforts & fes représentations devinrent inutiles, lorsque huit jours après, les Turcs fortis de Nicée, enleverent quelques Pélerins qui étoient difperfés dans les campagnes: Reinold de Breis, Gautier Sans- avoir, (a) Gautier de Breteuil & Foulques Vitry. d'Orleans, accufés de lâcheté par Godeffroy Burel, furent Anne Com- contraints de fe mettre à la tête des troupes. Toute l'armée, Albertus au nombre de vingt mille hommes de pied & de cinq cens Aquenf. cavaliers, fortit du camp, où on ne laissa que les malades & les

Jacques de

vène.

Gefta Fran

corum.

de Tyr.

Zonare.

&les au

femmes: on marcha vers Nicée à travers une forêt. Les

Guillaume Croifés n'avoient pas encore fait trois milles, que Kilidge Foulques de Arflan fondit fur eux, & les mit en déroute; il les pourfuivit, Chartres. & en fit un fi grand carnage, que peu échapperent. GauRobertus tier Sans-avoir, Reinold de Breis & Foulques d'Orleans Monachus. furent tués fur le champ de bataille; Gautier de Breteuil & Godeffroy Burel, regagnerent le camp d'Helenopolis où les Turcs entrerent avec eux; le maffacre recommença : tout fut égorgé, & les Turcs n'épargnerent que les enfans les mieux faits, les jeunes filles & les Religieufes, qu'ils firent conduire à Nicée, où elles éprouverent dans les Sérails toutes les horreurs de la captivité.

tres.

Guillaume de Tyr.

& les au

tres.

De tant de Chrétiens qui avoient accompagné Pierre l'Hermite dans cette Croifade, environ trois mille fe réfugierent dans une vieille fortereffe à demi ruinée, qui étoit située sur le bord la mer. (b) Ils en fermerent les portes avec de groffes pierres qu'ils mirent par derriere; mais les Turcs qui les avoient fuivis jufques dans ce dernier retranchement, environnerent la place. Ils ne s'amuferent point à escalader les murailles; les Francs réduits au défespoir auroient vendu cherement leur vie, ils fe contenterent de lancer en l'air un grand nombre de fleches qui retombant dans le Château dont la couverture avoit été détruite, tuoient ou bleffoient beaucoup de monde. Les Francs étoient dans cette

(a) Albert d'Aix le nomme Gautier Senzavehor; l'Auteur du Gefta Francorum, Sine-habere.

(b) Près de Civitot, qu'Anne Comnène appelle Kibot.

fituation,

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