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Apr. J. C.

L'an 1167.

gues de Céfarée, accompagné de Geofroy Foulques, Chevalier du Temple, fut introduit dans le Cafr où palais du Noureddin Khalif, au Caire. Comme peu de gens avoient accès auprès Cothbed- de ces Princes, & que ces fortes d'audiences font fingulieres, les Hiftoriens ont cru devoir en donner un détail, nous les avons imités.

din.

Guillaume de Tyr.

Les Plénipotentiaires Francs, précédés d'un grand nombre d'huiffiers, ou portiers, armés de fabres, furent conduits. par différens détours fort obfcurs, à l'entrée de chacun desquels il y avoit une troupe de Noirs armés, qui venoient faluer le Grand-Vizir Schaour. Après que Hugues de Céfarée eût paffé la premiere & la feconde garde, il fut introduit dans un endroit fpacieux, & expofé au foleil. Des colonnes de marbre foutenoient le plat-fond. Ce falon étoit orné de lambris dorés & de fculptures en relief. La magnificence, la richeffe de la matiere, & l'art avec lequel elle étoit employée, étonnoient tous ceux qui y étoient. On voyoit d'un côté des baffins de marbre remplis d'eau ; de l'autre, une foule d'oiseaux de toute efpece, que l'on avoit fait venir des pays étrangers. Plus loin étoient des bâtimens encore plus magnifiques, où demeuroient les Chefs des Eunuques. Là on voyoit un nombre infini d'animaux très-rares. Enfin, après plufieurs détours, ils arriverent à l'appartement du Prince. Il y avoit une garde nombreuse & magnifiquement vêtue. Lorfqu'ils y furent introduits, le GrandVizir, felon fa coutume, fe profterna trois fois, & ôta le fabre qu'il portoit pendu à fon cou. Auffi-tôt un voile chargé de perles & de pierres précieufes fe leva, & l'on vit le Khalif affis fur fon trône, au milieu de quelques Eunuques. Le Grand-Vizir s'approcha de lui, lui baifa les pieds, & l'informa du fujet qui amenoit Hugues de Céfarée, & du traité qu'il avoit fait avec le Roi Amaury; il lui dit que ce Franc venoit pour en recevoir la confirmation de fa pre main. Les Officiers qui environnoient le Khalif, parurent mécontens de cette propofition; il étoit inoui que Khalif eût donné fa main à un étranger. Après avoir délibéré pendant quelque tems, ce Prince l'étendit vers Hugues de Céfarée ; mais comme elle étoit voilée, Hugues

pro

le

Cothbed

din.

de Céfarée, au grand étonnement de tous les Egyptiens, Apr. J. C. représenta à ce Prince que la bonne foi ne devoit avoir au- an 1167. cun détour, que tout devoit fe faire à découvert, & que Noureddin par conféquent afin que les Francs ne puffent foupçonner qu'il vouloit les tromper, il devoit lui préfenter fa main nue. Le Khalif fourit, & confentit à ce que lui demandoit Hugues de Céfarée. Ce Prince, nommé El adhed, étoit jeune, d'une taille grande, & bel homme. Il portoit le titre de Khalif, & les Egyptiens l'appelloient Moula-na, c'est-àdire, notre Maître, notre Seigneur.

Benelathir

Pendant que les Francs concluoient ce traité avec le Guillaume Khalif, Schirkouh vint camper pendant la nuit fur la rive de Tyr. occidentale du Nil, dans un lieu appellé Dgizé, vis-à-vis la ville de Mefr. Auffi-tôt le Roi Amaury fit raffembler un grand nombre de vaiffeaux, fur lefquels on jetta des poutres de palmiers, dont on fit un pont; mais il ne s'étendoit que jufqu'au milieu du fleuve, l'ennemi qui étoit vis-à-vis, empêchant qu'on ne portât plus loin ce travail. Les deux armées refterent ainfi en préfence pendant cinquante jours, pendant lefquels Schirkouh envoya des troupes, qui s'emparerent de tout le pays qui étoit de ce côté-là. Il fe rendit auffi maître de l'ifle de Mahallé, qui eft proche le Caire. C'est dans cet endroit que commence le Delta, & que le Nil fe fépare en plufieurs branches. La premiere, qui eft du côté de la Syrie, va fe jetter dans la mer entre les villes de Taphnis & de Pharamia. La feconde, à Damiette. La troisieme, à Sturion; & la quatrieme, à Refchid ou Rofette. Ce font-là toutes les bouches du Nil qui fubsistoient alors. Schirkouh fut chaffé de cette ifle par Milon de Planci, & par Kamel, fils de Schaour. Cette victoire facilita aux Francs le paffage du fleuve. Ils fe propofoient d'aller attaquer Schirkouh, mais il étoit décampé à la faveur de la nuit. Pendant qu'on le pourfuivoit, Amaury envoya des troupes au Caire , pour garantir cette ville de toute infulte; les Francs prirent poffeffion de toutes les fortifications de cette ville, même du Sérail du Khalif. Le fils de Schaour garda le bord du Nil, & Amaury pourfuivit Schirkouh pendant trois jours, & le joignit le quatrieme; Schirkouh s'étoit

Apr. J. C.

tirée vis-à-vis fur deux autres collines, & il falloit que les Francs L'an 1167. pour s'en retourner paffaffent à travers les ennemis. Ils fe Noureddin raffemblerent le lendemain, marcherent en bon ordre, ayant Cothbed- à droite & à gauche les troupes de Noureddin, qui fur

din.

Benelathir.

Guillaume

de Tyr.

prifes de leur courage les laifferent continuer leur route. Ils fe rendirent à Lamonia, où Gérard de Pugi & le fils de Schaour venoient d'arriver avec cinq cens cavaliers & cent Turcoples. Ce fecours inattendu répandit la joie parmi les Francs; car ils avoient appréhendé jufqu'alors que les Turcs ne vinffent à chaque inftant les attaquer. Après s'être arrêtés pendant trois jours, ils fe rendirent au Caire & camperent proche le pont. Les Francs prétendirent qu'ils n'avoient perdu dans cette action que cent hommes, & que Schirkouh en perdit quinze cens. Il eft certain cependant que la victoire fut du côté de Schirkouh; les Hiftoriens Arabes la regardent même comme une des plus fignalées que l'on ait jamais remportées.

Pendant que les Francs reprenoient le chemin du Caire, Aboulfedha Schirkouh fe rendit à travers le defert du côté de la mer, & s'étant présenté aux portes d'Alexandrie, les habitans lui Bohaeddin. remirent cette ville. Auffi-tôt que les Francs en furent insAboulfatruits, ils raffemblerent leurs armées ; & comme Alexanradge. drie tiroit toutes fes provisions du haut du Nil, ils difperferent un grand nombre de vaiffeaux fur ce fleuve, pour empêcher qu'on ne portât rien dans la ville, enfuite ils vinrent camper entre Toroge & Demenehut à huit milles d'Alexandrie, ils envoyerent de tous côtés des partis qui enlevoient les convois, de forte qu'au bout d'un mois la ville fe trouva fans provifions, & le peuple commença à murmurer; Schirkouh qui craignit d'être obligé de fe rendre, laiffa fon neveu Saladin dans Alexandrie avec mille cavaliers reprit pendant la nuit à travers le defert le chemin de la haute Egypte, & paffa tout à côté de l'armée des Francs. Le Roi Amaury le fuivit jufqu'au Caire; mais dans le tems qu'il alloit continuer fa marche, un Emir Egyptien (a) le vint trouver, lui dit qu'Alexandrie étoit réduite à

(a) Guillaume de Tyr le nomme Bene carfelle.

Noureddin

la derniere extrémité, que par le moyen de fes parens, qui Apr. J. C. étoient les principaux de cette ville, il étoit en état de la L'an 1167. lui faire remettre avec tous les Turcs s'il vouloit y retour- Cothbedner, Amaury après avoir tenu confeil, prit auffi- tôt le che- din. min d'Alexandrie, & en forma le fiége.

Cette ville, une des principales de l'Egypte, eft fituée à l'entrée du defert du côté de la Lybie, affez près du bras du Nil qui paffe par Rofette. Elle a deux ports qui font féparés l'un de l'autre par une langue de terre qui s'avance dans la mer. C'eft fur cette langue qu'eft élevé le phare d'Alexandrie. On y voit un grand nombre de vaiffeaux qui s'y rendent de toutes parts. Par la mer Rouge & la ville d'Aideb, & enfuite par le Nil, on y apporte toutes les raretés de l'Inde. Les Francs de la Syrie, informés que le Roi Amaury faifoit le fiége de cette ville, profiterent de la facilité de s'y rendre par mer pour y accourir en foule & y apporter des vivres. Amaury fit élever des machines & dreffer des pierriers, avec lefquels il faifoit lancer des rochers immenfes. Les Turcs qui étoient en petit nombre ne pouvoient réfifter aux affauts. Déja le peuple parloit de chaffer Saladin; celui-ci en inftruit fon oncle, & tâcha de calmer la populace en lui promettant un prompt fecours. Le Roi Amaury qui n'ignoroit pas ces divifions pouffoit le fiége avec d'autant plus de vivacité, qu'il étoit à craindre que Schirkouh ne revînt. En effet, ce Général s'étoit enfoncé dans la haute Egypte où il faifoit le fiége de Kous; mais la difficulté de prendre cette ville, & la néceffité de venir délivrer fon neveu, le ramenerent dans la baffe Egypte, après avoir ramassé tout l'argent qu'il put trouver. Lorsqu'il fe fut approché du Caire, & qu'il fut parfaitement inftruit de la fituation de fon neveu & de fes affaires en général, il propofa à Hugues de Céfarée qu'il retenoit prifonnier, de faire la paix avec le Roi Amaury, à condition qu'on rendroit de part & d'autre les prifonniers, qu'on leveroit le fiége d'Aléxandrie, & qu'on lui laifferoit le chemin libre pour retourner en Syrie. Ses propofitions furent communiquées à Amaury & acceptées par tous les Francs. Les Hiftoriens Benelathir. Arabes s'expriment d'une autre façon fur les conclufions de Aboulfedha

Apr. J. C. ce traité. Ils prétendent d'abord que la paix fut propofée L'an 1167. par les Francs qui s'engagerent à payer à Schirkouh cinNoureddin quante mille piéces d'or, à lui laiffer tout ce qu'il avoit din. pris dans le pays, à rendre Alexandrie aux Egyptiens, & à leur égard, à fortir de l'Egypte où ils ne pofféderoient

Cothbed

rien.

Après que le traité, quel qu'il foit eût été signé, on fit ceffer les hoftilités; les Francs entrerent dans Alexandrie, y drefferent l'étendart du Roi; Saladin fortit, & avant que de prendre le chemin de la Syrie, il vint trouver le Roi Amaury, & refta dans le camp des Francs. Le grand Vizir Schaour prit (a) poffeffion d'Alexandrie & y établit de nouveaux Officiers. Après cette expédition Schirkouh & son neveu Saladin s'en retournerent à Damas (b). Amaury s'en alla au Caire où il fit un nouveau traité avec le Grand Vizir, car le Khalif dépouillé de toute autorité n'étoit inftruit de rien. Ils convinrent ensemble qu'il y auroit dans le Caire une garnison de Francs, & que les Egyptiens leur payeroient cent mille piéces d'or. Enfuite Amaury s'en alla (c) à Afcalon.

Pendant que le Général Schirkouh avoit été occupé de l'expédition de l'Egypte, Noureddin avoit porté la guerre dans le pays des Francs, il avoit pris le château d'Akaph dans le défert, Saphia & Arima, de-là il avoit été obligé de marcher contre la ville de Manbedge, où Ghazi qui en étoit le Gouverneur, venoit de fe révolter contre lui. Noureddin la prit & la donna à Cothbeddin Inal frere de Ghazi. Enfuite, dans le deffein de continuer la guerre contre les Francs, il fe rendit à Hama où il fut joint par fon frere Cothbeddin Roi de Mouffoul, & par Zeïneddin appellé Aly Koutchouq, fils de Balkteghin. Ils allerent ensemble détruire Hounaiïn (d), & ce fut après cette expédition que Schirkouh revint de l'Egypte avec son armée qui étoit en mauvais état.

(a) Dans le mois Schoual, vers le milieu,

(b) Ils y arriverent le 18 de Dzoulcaada de l'an 562.

(c) Il y arriva, felon Guillaume de Tyr, le 12 des kalendes de Septembre, la quatrieme de fon regne, l'an 1167. (d) Dans le mois Schoual.

Dans

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