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dre le Grand, et Guillaume le Breton (1), sans aller chercher si loin ses héros, fit la Philippide en l'honneur de Philippe Auguste; Léonius (2) borna ses travaux à de petites pièces qui lui firent un nom.

La Philippide est pleine d'histoires d'apparitions, que Guillaume le Breton raconte du ton d'un homme persuadé; on pourroit, après tout, les regarder comme des fictions que l'épopée admet, et qui n'ont rien de plus étrange que l'apparition d'Hector à Enée, et que l'épisode de Polydore dans l'Enéide; mais ces versificateurs du douzième siècle prétendoient être historiens, et doivent être jugés sur ce pied. On peut s'assurer d'ailleurs que l'histoire n'étoit pas traitée en prose avec moins de merveilleux.

Quant à la physique, le physicien Rigord et les moines d'Argenteuil avoient vu distinctement la lune descendre à terre et remonter au ciel, le tout parce qu'elle est la figure de l'Eglise, qui a ses phases aussi bien qu'elle. En 1156, Elinand avoit vu le signe de la croix bien imprimé sur la lune. L'année suivante il vit trois lunes, et encore le signe de la croix sur celle du milieu. Les astrologues prédisoient la fin du monde, les théologiens la venue de l'Antechrist. Les pluies de sang, de miel, d'oiseaux dont les ailes avoient vingt pieds de long, les filles dont les oreilles poussoient des épis de blé, la neige qui renversoit les arbres; les armées de serpens, de chiens, de geais, de cigognes,

(1) Ce poète historien appartient plus au treizième siècle qu'au dou

zième.

(2) On a cru qu'il avoit donné son nom aux vers Léonins, mais on en faisoit long-temps avant lui, et il en a moins fait que les autres poètes de son temps.

qui vidoient leurs querelles en bataille rangée, les grêles mêlées de corbeaux qui portoient des charbons et mettoient le feu partout, toutes ces merveilles que le peuple même ne voit plus, n'étoient pas rares dans ces temps de bonne physique. Sainte Hildegarde écrivit sur la médecine.

On négligeoit par piété l'étude de certaines langues. Un chapitre général de l'ordre de Cîteaux, ordonna qu'on punît un moine qui avoit appris d'un Juif à connoître les caractères hébreux. Pierre le Vénérable vouloit réfuter l'Alcoran, il falloit commencer par le lire, il ne put trouver personne en France pour le traduire, il eut recours à un Espagnol. Quelques moines redoutoient jusqu'à la poésie, Nicolas de Clairvaux s'excusoit de lire des vers qu'on lui avoit envoyés, et disoit nous ne recevons rien d'écrit en

vers.

C'est pourtant dans le même siècle qu'un moine, nommé Geoffroy (1) donna aux nations modernes quelque idée du théâtre par les tragédies pieuses qu'il faisoit représenter à ses écoliers. Les miracles de sainte Godefroy de Catherine furent le sujet de la première pièce dra- Paris, chron. matique, antérieure d'environ un siècle et demi aux fol. 80. mystères de la Passion, dont les premières représentations connues sont de 1313 sous Philippe le Bel, et non de 1398 sous Charles VI comme on l'avoit toujours de Fran. T. l.

cru.

Vers le même temps les Troubadours composoient

(1) C'étoit un moine aussi qui, dans le siècle précédent, avoit inventé la musique à plusieurs parties : il avoit trouvé les lignes, la gamme, et les six notes: Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La. C'est le fameux Gui d'Arezzo.

Mss. du Roi,

Velly, Hist.

pag. 477

aussi des espèces de comédies. Les chansons amoureuses et guerrières de ces poètes chevaliers étendoient l'empire de la valeur et de l'esprit galant; alors on vit ce temps que les femmes regrettent, que les hommes doivent regretter, ce temps où le fanatisme de l'honneur et de l'amour enivroit des fous respectables, où l'idée seule d'une femme étoit pour son amant le regard de l'Etre suprême, où un mot de sa bouche étoit le prix de mille exploits, où ce sexe régnoit bien plus sur l'imagination qui embellit tout que sur les sens qui flétrissent tout; alors parut ce monument singulier du règne de la galanterie, ce tribunal des sentimens et de la délicatesse, ce parlement d'amour qui rendoit des arrêts, qui les faisoit exécuter, qui punissoit l'inconstance et les mariages sans inclination, qui, formé sur le modèle des autres tribunaux, mais admettant les deux sexes, avoit des présidens et des présidentes, des conseillers et des conseillères, un parquet, un secrétariat, des greffes, des appariteurs pareillement mi-partis. Des princes du sang étoient à la tête de cette compagnie, et parmi ses officiers on voyoit des magistrats, des chanoines, des docteurs en théologie, des chapelains, des curés, des grandsvicaires. Martial d'Auvergne, procureur au parlement de Paris dans le quinzième siècle, a compilé ou composé cinquante et un arrêts de la Cour d'Amour. Cette cour établie à Aix au commencement du douzième siècle, dura jusqu'au quatorzième. Alors Phanette de Gantelme, dame de Romani, tante de la belle Laure, en érigea une nouvelle dans Avignon mais en même temps et dans la même ville une cour rivale fut formée par une dame de la maison de Chabot,

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qui excelloit dans la poésie provençale. Tous ces établissemens étoient tombés avant la fin du quatorzième siècle malgré la protection que le pape Innocent VI, vers le milieu de ce même siècle, avoit hautement accordée à la Cour d'Amour. Le roi René voulut la rétablir un siècle après; il nomma un Prince d'Amour, et il reste encore à Aix des vestiges de cette singulière institution. La Picardie, rivale de la Provence, avoit eu aussi ses Plaids et gieux sous l'Ormel, espèce de Cour d'Amour.

Treizième siècle.

L'Université est établie, on ne trouve presque plus de savans que dans son sein; ces savans sont tous ecclésiastiques. La sainte austérité de leur état se répand sur les arts qu'ils professent et donnent à la science un air sec et sauvage. Le peu d'éloquence et de belles-lettres qu'on avoit voulu cultiver jusqu'alors, est négligé pour la dialectique et pour la théologie; la scolastique triomphe, les grâces fuient, on argumente et cela s'appelle savoir. L'ancienne barbarie consistoit à ignorer, la nouvelle à disputer; il falloit passer par le pédantisme pour arriver à la science, et le règne des mots devoit précéder celui des choses.

Le corps des savans étant tout ecclésiastique, reconnoissoit le Pape pour son chef; le Pape étoit le Mézer. Abr. modérateur universel de la littérature comme de la Chron. hist. religion, ce qui contribuoit encore à ramener la litté de l'Egl. du rature à la théologie, qui n'étoit plus que la scolastique.

On enseignoit aussi la jurisprudence et la méde

13. siècle.

cine, mais toujours sous la forme de l'argumentation. Les pape auroient bien voulu réduire toute la jurisprudence au droit canon, soit, comme le disent leurs ennemis, afin que la chrétienté s'accoutumât à ne reconnoître qu'un pouvoir, celui d'où le droit canon étoit émané; soit, comme le disent leurs partisans, pour éloigner les ecclésiastiques d'une étude qui, ayant un objet lucratif, les détournoit de la théologie. Quoi qu'il en soit, les papes Honorius III et Grégoire IX défendirent, sous peine d'excommunication, d'enseigner le (1) droit civil dans l'Université de Paris; et ce qui est plus étonnant, c'est qu'en 1579, l'ordonnance de Blois renouvela les mêmes défenses, et que la chaine de droit françois n'a été fondée dans l'Université de Paris que par Louis XIV, en 1679.

Quant à la médecine, les ecclésiastiques se contentoient d'en professer la théorie sous le nom de physique; ils abandonnoient aux laïques la composition et l'emploi des remèdes, de là viennent les apothicaires; ils abandonnoient aussi aux laïques l'opération manuelle, de là les chirurgiens.

L'Université de Paris attiroit ou produisoit tous les savans de l'Europe; tous appartiennent à l'histoire littéraire de la France dans le treizième siècle, elle fut nommée Université, parce qu'elle contenoit tous les savans et parce qu'elle croyoit enseigner toutes les

(1) Les conciles de Reims, en 1131, de Tours, en 1163, de Paris, en 1210, avoient défendu aux moines et aux chanoines réguliers d'étudier le droit civil, et d'exercer la profession d'avocat, qui devint partout très-commune, surtout depuis le commencement du règne de Philippe Auguste; les conciles de Narbonne, en 1227, et de Ruffec, en 1258, étendirent cette prohibition à tous les ecclésiastiques.

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