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à l'Etre suprême, mais elle supposoit une connoissance de ses desseins, qui ne nous est point accordée. Depuis, en admettant la preuve testimoniale, on a supposé que deux hommes pris au hasard ne pou

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voient être ni menteurs ni visionnaires. Peut-être l'art de découvrir la vérité des faits n'est-il pas susceptible d'une certaine perfection chez les hommes.

L'anarchie Carlovingienne eût séché jusqu'aux moindres racines des lettres, sans la faveur dont jouissoit le clergé. Le mérite personnel, le mérite littéraire étoit un degré pour s'élever aux premières dignités de l'Eglise et de l'Etat, c'étoit un moyen de se distinguer dans ce corps toujours nécessaire, et alors redoutable aux rois mêmes. Cette émulation donne à la France des prélats savans dans le neuvième siècle; à Lyon, un Leidrade, placé par Charlemagne, un Agobard, théologien et poète, que son église compte parmi ses saints, quoiqu'il ait eu trop de part à la déposition de Louis le Débonnaire son bienfaiteur, et qu'il ait écrit contre ses adversaires avec une vivacité trop aigre; un Amulon, digne successeur d'Agobard, un Remi égal à tous les deux par ses connoissances, supérieur par ses vertus, et sous ces trois prélats, un théologal, nommé Florus (1), connu par quelques ouvrages de religion; à Reims, ce savant, mais violent archevêque Hincmar, si dur à l'égard du moine Gottescalque, si sévère à l'égard de son propre neveu; à Laon, ce même neveu, cet

(1) Remarquons comme une rareté de ce siècle un Traité philosophique d'Agobard et de Florus, des Erreurs populaires sur la cause du Tonnerre.

Hist. Litt.

de la France,

t. 4.

autre Hincmar, presqu'aussi savant que celui de Reims, mais ingrat envers son oncle; ingrat envers Charles le Chauve son maître, et qui mérita que son oncle lui-même le fit déposer; à Vienne, Adon fameux par sa chronique et par la sainteté de sa vie ; à Orléans, Théodulphe, placé par Charlemagne et auteur de divers ouvrages (1), entre autres de l'hymne qu'on chante le jour des Rameaux à la procession :

Gloria, laus et honor tibi sit, Rex Christe Redemptor, etc.

Elle charma, dit-on, Louis le Débonnaire, elle ne charme plus personne, mais elle est conservée; Jonas, successeur de Théodulphe, la terreur des Iconoclastes et des Hérétiques de son temps. Les conciles provinciaux d'Aix-la-Chapelle en 816, de Paris en 829, de Meaux en 845, de Valence en 855, font des canons pour l'accroissement des études, et le concile d'Aix-la-Chapelle consacre cette grande vérité que l'étude détourne du vice et invite à la vertu. Un capitulaire de l'an 823, charge les Missi Dominici de veiller sur les écoles naissantes.

Dans ce même siècle, Hilduin, abbé de Saint-Denis, composa la vie de ce saint par ordre de Louis le Débonnaire, et cette vie est la source de l'opinion qui a long-temps confondu l'apôtre de la France avec saint Denis l'Areopagite; la critique étoit peu commune alors; Hilduin fut pourtant contredit par trois de ses contemporains, Usuard, Adon et Notker. On

(1) C'est le même dont nous avons parlé dans une note précédente, et qui fut, avec Leidrade, le plus utile coopérateur d'Alcuin, dans la restauration des lettres.

connoît les épîtres de Loup Servais, abbé de Ferrières, monument utile de l'histoire de son temps; Henri, moine de Saint-Germain d'Auxerre, écrivit en vers la vie de saint Germain; Abbon, moine de Saint-Germain-des-Prés, fit, aussi en vers, une histoire du siége de Paris par les Normands en 886 et 887. Nous avons une histoire des guerres du neuvième siècle entre les enfans de Louis le Débonnaire par Nithard, abbé de Saint-Riquier, l'un des deux fils qu'Angilbert, dit Homère, avoit eus de Berthe, fille de Charlemagne. Nous avons aussi divers ouvrages tant en prose qu'en vers de Raban Maur, de Walafrid Strabon, de Wandelbert, de Candide et de beaucoup d'autres. On s'éloignoit alors par principe du goût de l'antiquité. L'esprit de dévotion faisoit préférer à Homère et à Virgile des poètes chrétiens, et modernes; Notker, moine de Saint-Gall, célèbre dans l'histoire littéraire de ce siècle, défendoit à ses disciples la lecture de Virgile, et traitoit fort mal ceux qu'il appeloit Virgiliens; Alcuin pensoit comme Notker, ceux qui donnèrent à Angilbert le nom d'Homère, prétendoient lui reprocher une admiration païenne pour ce poète; on a fait un crime à Loup de Ferrières de son goût pour les humanités et de son attention à bien écrire; Théodulfe croyoit faire un aveu hardi, en disant :

Legimus et crebrò gentilia scripta Sophorum.

On n'avoit point de talens agréables, ou l'on en faisoit un usage ridicule. Un flatteur (1) maladroit

(1) Le moine Hucbaud.

Hist. Litt.

t. 4 et 5.

de Charles le Chauve fit, à la louange des chauves, un poème de trois cents vers hexamètres, dont tous les mots commençoient par la lettre C, niaiserie difficile, par où l'on peut juger de l'esprit des poètes et du goût des amateurs de ce temps-là. Le même Charles le Chauve honoroit d'une amitié particulière Jean Scot (1) dit Erigène, bel-esprit, philosophe et théologien ; Charles ne pouvoit se passer de sa conversation, il le faisoit coucher dans sa chambre. Ce Jean Scot avoit composé sur l'Eucharistie un livre qui l'a fait regarder par quelques-uns comme le premier auteur de l'hérésie sacramentaire : Bérenger s'appuyoit fort sur cette autorité; le concile de Rome, tenu en 1059, près de deux siècles après la mort de Jean Scot, obligea Bérenger à jeter ce livre au feu, de peur d'y être jeté lui-même.

On avoit beaucoup disputé au neuvième siècle sur de la France, la présence réelle. Les écrits polémiques de Paschase Ratbert et de Ratramne sur ce sujet avoient été fameux et le sont devenus encore plus par les disputes du seizième et du dix-septième siècles. Ces deux moines de Corbie avoient le mérite que le temps comportoit. Ils sont auteurs de beaucoup d'autres ouvrages théologiques. On disputa fort sur la grâce et la prédestination, témoin la fameuse querelle d'Hincmar et de Gottescalque. Jean Scot, qui avoit été sacramentaire sur l'eucharistie, fut pélagien sur la grâce; Prudence, évêque de Troye, le réfuta. Le schisme des Grecs donna lieu encore à plusieurs écrits polémiques. Agobard et Amalaire disputèrent aussi sur l'office divin et sur les antiphoniers.

(1) Nommé Scot, parce qu'il étoit Ecossois de nation.

Dixième siècle.

Le dixième siècle a mérité les noms de siècle de fer et de plomb; les princes Carlovingiens achèvent de se déchirer et de se précipiter du trône; les Normands, les Hongrois, les Sarrasins inondent la France, la barbarie étouffe les monumens de l'esprit, la destruction règne, les monastères sont abandonnés, les livres disparoissent. Les princes ne savoient pas lire, les possessions ne se connoissoient que par l'usage, on n'en avoit point de titres. Point de contrats de mariage, les alliances, les degrés de parenté n'étoient connus que par une tradition incertaine. De là tant de répudiations, tant de mariages cassés au hasard sur une allégation vague de parenté; de là aussi l'énorme crédit du clergé, qui seul conservoit encore quelque ombre de connoissances. On vante dans ce siècle la science d'Hervé, archevêque de Reims, mais on ne peut vanter sa reconnoissance envers Charles le Simple, qui l'avoit fait son chancelier, et dont il couronna dans Reims le compétiteur Robert, fils de Robert le Fort, et frère du roi Eudes. Aimoin et Flodoard, connus par leurs chroniques, appartiennent à ce siècle, ainsi qu'Abbon, abbé de Fleury ou saint Benoît-sur-Loire, dont Aimoin a écrit la vie, et qui a lui-même écrit celle de saint Edmond, roi d'Angleterre, et composé quelques autres ouvrages.

Les premiers romanciers François parurent dans ce siècle; leurs ouvrages furent nommés Romans, parce qu'ils étoient écrits en langue Romance, c'est

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