Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

qui vous cherchez un asile, et ces vœux ne sont-ils « pas un attentat contre votre Souverain »?.

Le voyage de Bourgogne n'ayant pu avoir lieu, François I ne renonça point encore à conquérir Erasme; on voit, en 1524, de nouvelles traces de négociations relatives à ce projet, qui définitivement n'eut point d'exécution. François I en devint plus froid sur l'établissement qu'il avoit voulu faire, quoiqu'Erasme, dans toutes ses lettres, lui promît l'immortalité, s'il achevoit cet ouvrage, et témoignât le plus vif désir d'en voir l'accomplissement. Il proposa en sa place Henri Glaréan, qui ne fut point accepté; il falloit qu'Erasme, pour faire cette proposition, eût jugé qu'on ne lui avoit offert à lui-même la présidence du Collége des Langues, que parce que Budée ne vouloit point s'en charger.

Cependant Budée ne cessoit de recommander à François I et l'avancement général des lettres et l'exécution particulière de son projet ; il se plaint amèrement à ses amis d'être raillé sur son zèle par les courtisans, et traversé par les théologiens. « Les pre« miers, dit-il, me donnent un ridicule que je ne «< mérite pas, mais auquel je ne suis point insen«<sible; les seconds répandent sur l'étude du Grec le << soupçon redouté du Luthéranisme ».

Lettr. de Bud. à Lascaris, du 9 sept. 1521.

Du même,

à Franç. Rabelais.

Du même, en Grec, à Germain de

Brie, du 19 juin 1521.

Du même,

Budée avoit des instans d'espérance, il en avoit de découragement. François I parloit assez souvent de son projet, mais il s'en occupoit peu et n'exécutoit à Salmon Marien. Il avoit pourtant envoyé Jean Lascaris à Venise, crin. avec la commission de faire venir de la Grèce des jeunes gens de bonne volonté, qu'on mêleroit avec la jeunesse françoise, à laquelle ils enseigneroient le

Erasme, Dialog.

M. de Buri

gny, t. 1, p. 253 et suiv.

Grec en se jouant et sans presque y songer, tandis qu'ils apprendroient d'elle le François, et que tous apprendroient ensemble le Latin. C'étoit un moyen assez naturel d'animer l'émulation. Budée montroit de temps en temps au Roi des lettres de Lascaris qui annonçoient des succès dans sa négociation; le Roi paroissoit alors s'enflammer, et Budée retrouvoit en lui le Père des Lettres. Mais tous ces intérêts sont bien froids devant ceux des passions; l'ambition, la guerre, la gloire, les femmes entraînoient l'ame ardente et tumultueuse de ce jeune roi; le ressentiment de n'avoir pu obtenir l'Empire, sa haine active et profonde contre Charles-Quint, le désir de l'effacer dans l'Europe, et de faire rougir l'Allemagne de son choix, précipitèrent ce brave et imprudent guerrier dans l'abîme du malheur; il alla se faire prendre à Pavie, et gémir dans les fers de son rival. Tandis que la guerre, qu'il avoit tant aimée, trahissoit ainsi sa valeur, que la gloire et la fortune lui échappoient, que la politique l'accabloit et le menaçoit encore d'éterniser sa disgrâce, les lettres seules plaidoient sa cause au tribunal de l'humanité; les lettres, qui toujours inspirent la modération dans la fortune et le courage dans le malheur, élevoient leur voix en faveur d'un roi malheureux; elles montroient au vainqueur ses vrais intérêts, et fournissoient au vaincu des ressources. Voici ce qu'Erasme (sujet de CharlesQuint), écrivoit publiquement pendant la captivité de François I.

« Si j'étois l'Empereur, je dirois au roi de France : « Mon frère ! quelque mauvais génie nous a fait entrer << en guerre; la fortune vous a fait mon prisonnier :

ce qui vous est arrivé, pouvoit m'arriver; vos mal<< heurs me font sentir les malheurs attachés à la con«<dition humaine; nous n'avons que trop fait la

[ocr errors]

guerre; disputons d'une autre manière je vous rends la liberté, accordez-moi votre amitié; oublions le passé, <«< je ne vous demande point de rançon, vivons en «< bons voisins, et n'ayons d'autre ambition que «< celle de nous distinguer par la bonne foi et par les « bienfaits. Celui de nous deux qui remportera la victoire, jouira du plus beau de tous les triomphes. «Ma clémence me fera plus d'honneur que si j'avois conquis la France, et votre reconnoissance vous << sera plus glorieuse (1) que si vous m'aviez chassé « d'Italie. O qu'une si belle action illustreroit l'Em<< pereur ! ô quelle nation ne se soumettroit volontiers «< à un tel prince » !

[ocr errors]
[ocr errors]

Tel fut aussi l'avis de l'évêque d'Osma, confesseur de Charles-Quint, dans ce conseil où l'on agita ce que l'on devoit faire de François I. Cet avis étoit généreux et chrétien, la politique s'en moqua; la politique, science encore au berceau, et qui n'en sortira pas, tant qu'elle sera malfaisante, mais qui,

(1) On diroit que Corneille avoit cette lettre sous les yeux, lorsqu'il mettoit dans la bouche d'Auguste ces vers divins :

Je suis maître de moi comme de l'Univers,
Je le suis, je veux l'être. O siècles, ô mémoire !
Conservez à jamais ma dernière victoire.
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux,
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie,
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,.....
Je te la donne encor.....

Commençons un combat qui montre par l'issue,
Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue,

trompant toujours, est toujours crue. On la crut donc, et la guerre se prolongea.

Mais le malheur ramène à la philosophie un esprit né pour elle; c'est le fruit que l'expérience tire enfin de ces amertumes dont la fortune et le monde sont si prodigues envers ceux qui se livrent à leurs perfides caresses. L'épuisement de l'Europe ayant fait faire une de ces trèves forcées qu'on honore du nom de paix, François I se tourna vers les lettres, qui, avec la reine de Navarre sa sœur, avoient été sa seule consolation dans sa captivité; il comprit plus que jamais qu'avec la gloire qu'elles assurent à leurs protecteurs, elles peuvent procurer un bonheur indépendant de l'opinion et du caprice, exempt de ce poison secret qui corrompt les autres plaisirs, et de ces orages qui les troublent.

[ocr errors]

Cependant Budée n'avoit point désespéré de la république des lettres, il attendoit le moment de la servir avec succès. En 1529, il fit paroître ses Commentaires sur la langue grecque; il les dédia au Roi. L'occasion étoit favorable, il lui rappela ses promesses, il lui en demanda publiquement l'exécution. « Ce projet qui doit éterniser la mémoire de votre règne, c'est vous, Sire, qui l'avez conçu de vous« même; aucun de nous ne peut réclamer l'honneur << de vous l'avoir suggéré. Ces sollicitations que j'ai << peut-être poussées jusqu'à l'importunité, c'est vous qui m'avez chargé de vous en importuner, c'est << vous qui m'avez commandé de vous rappeler sans «< cesse un établissement dont l'utilité vous avoit tant «< frappé; c'est sur votre parole que j'ai flatté, dirai<< je d'une vaine espérance, toute cette jeunesse stu

[ocr errors]

«< dieuse, qui m'accuse aujourd'hui de l'avoir trompée, << et dont la douleur insulte à la mienne. Vous savez, « Sire, si j'ai mérité ces reproches, si j'ai parlé sans << y être autorisé, si j'ai agi sans caractère. J'ai an<< noncé votre bonté, je réclame votre justice, c'est « à vos bienfaits à me justifier; je ne les demande << pas pour moi, mais vous les devez aux lettres, elles << ont reçu vos sermens, et François I ne sait point << oublier ses promesses ».

Du Châtel, les du Bellay, etc., secondèrent Budée; François I approuva ses justes représentations, et se hâta d'y satisfaire. A peine les plaies que la guerre avoit faites à l'Etat commençoient-elles à se fermer, qu'il mit la première main à l'établissement du Collége royal. L'instruction étoit ce qui pressoit le plus; il falloit d'abord nommer des professeurs, et leur assurer des appointemens; le reste du plan s'exécuteroit à loisir.

que

Ce plan étoit digne de François I, le plus magnifides rois de France avant Louis XIV; il devoit faire construire sur le terrein de l'hôtel de Nesle, c'est-àdire à l'endroit où depuis on a bâti le collége Mazarin, un édifice qui pût contenir un très-grand nombre de maîtres, non-seulement pour les langues, mais encore pour toutes les sciences, et six cents jeunes écoliers, dont le cours d'études, sous tous les professeurs, auroit été en tout de quatorze ans. Le Belleforêt, Roi devoit assigner pour l'entretien de ce collége Hist. 1.6, ch. cinquante mille écus de rente, somme énorme pour Louis Vréle temps, et proportionnée à de si grandes charges. vin, Code des Il devoit construire une chapelle dont la magnificence Privilégiés, eût répondu à celle des autres bâtimens, et fonder

65.

p. 630.

« AnteriorContinuar »