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Bernard Seigneur de Montbar. L'un & l'autre étoient vertueux: Tefcelin brave, fidéle à fes Seigneurs, jufte & de bon confeil : Alethe foumise à fon mari, apliquée au gouvernement de fa maison & aux oeuvres de charité. Ils eurent sept enfans, fix fils & une fille. La mere les offrit tous à Dieu de fes propres mains auffitôt après leur naiffance, les nourrit de fon lait; & tant qu'ils étoient fous fa main, elle ne fouffroit point qu'ils s'accoutumaffent aux viandes trop délicates. Elle fembloit les préparer de loin à la vie monaftique, qu'ils embrafferent en effet tous fept dans la fuite.

Bernard vint au monde le troifiéme, & fa mere étant groffe de lui, fongea qu'elle portoit un petit chien blanc qui aboyoit dans fon fein. Effrayée de ce fonge elle confulta un homme pieux qui lui dit: Ne craignez point, ce fera un fidéle gardien de la maifon du Seigneur, un prédicateur vehement contre les ennemis de la foi, & la douceur de fa langue guerira les ames malades. La vertueufe dame confolée par cette prédiction, ne fe contenta pas d'offrir à Dieu cet enfant comme les autres : elle le deftina entierement à son service, & dans cette vuë le fit `étudier le plûtôt qu'il fut poffible. Ce fut à Chaftillon fur Seine qu'il fit fes premieres études fous des ecclefiaftiques féculiers, à la place defquels il procura depuis l'établiffement d'une communauté de chanoines réguliers. Comme il avoit l'efprit excellent, il avança bien-tôt au delà de fon âge & paffa de loin fes compagnons : il aimoit deflors la retraite, méditoit beaucoup, parloit peu : étoit fimple, doux & fingulierement modefte. Il demandoit à Dieu de conferver fa jeuneffe dans la pureté; & étudioit les lettres humaines pour lui fervir à l'intelligence des faintes Ecritures.

Tome XIV.

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Il

8.5.

6.7.

Il étoit encore enfant quand un violent mal de tête l'obligea à garder le lit: on lui fit venir une femme qui prétendit le guerir par des charmes, mais fi-tôt qu'il s'en aperçut il la repouffa avec de grands cris, qui marquoient fon indignation, & auffi-tôt il fe leva parfaitement gueri. Il n'avoit guere que quatorze ans quand il perdit fa mere, qui mourut faintement comme elle avoit vêcu. Bernard commença deflors à être maître de fa conduite, & comme il avoit toutes les graces extérieures du corps avec un efprit excellent & un grand talent pour la parole: on le regardoit comme un jeune homme de grande efperance. Tout lui rioit à son entrée dans le monde, & quelque chemin qu'il fuivît, il n'y avoit aucun avantage qu'il ne femblât fe pouvoir promettre. Il étoit affiegé d'amis dangereux qui cherchoient à le corrompre comme eux mais il eut toûjours un attrait particulier pour la pureté. Ayant un jour arrêté ses yeux quelque tems fur une femme avec trop de curiofité, il en eut un telle confufion, qu'il fe jetta dans un étang glacé qui fe trouva proche, & y demeura jufques au cou affez long-tems pour être pénétré de froid. Il réfifta en deux occafions diférentes aux plus violentes & preffantes tentations, où la chafteté d'un jeune homme puiffe être expoféc.

Ces périls dont il trouvoit le monde rempli, le firent penser férieusement à chercher une retraite, & il n'en trouva point de plus fure que le nouveau monaftere de Cifteaux. Ses freres & fes amis s'en étant aperçus, firent tous leurs efforts pour l'attacher au monde par l'étude des fciences profanes, & il penfa donner dans ce piege. Mais le fouvenir de fa mere le ramena; & il s'imaginoit la voir, qui lui reprochoit qu'elle ne l'avoit pas élevé avec tant de foin

pour

pour un amusement fi frivole. Enfin il s'affermit dans fa réfolution en priant avec larmes dans une Eglife; & deflors il travailla même à gagner les autres. Il commença par fes freres, laiffant feulement le dernier encore trop jeune & neceffaire à la confolation du pere qui étoit avancé en âge: enfuite il s'adreffa à fes autres parens & à fes amis; où il vit quelque efperance de converfion.

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S. Bernard

Le premier qu'il perfuada fut fon oncle XXIII. Gaudri Seigneur de Touillon en Aufstunois ' raffemble puiffant dans le monde & renommé par fa va- plufieurs leur enfuite Barthelemi le penultiéme des fre- compares de Bernard qui n'étoit pas encore chevalier. gnons. Ces deux fe rendirent d'abord fans réfiftance. André plus jeune que Bernard, & nouvellement armé chevalier, étoit plus difficile à perfuader, quand il s'écria tout d'un coup: Je voi ma mere, & donna les mains. Gui l'aîné des fix freres étoit déja marié, homme puiffant & plus engagé dans le monde que les autres. Il héfita un peu d'abord, mais enfuite y ayant fait reflexion, il promit d'embraffer la vie monaftique fi fa femme y consentoit : ce qui ne fembloit pas être à esperer d'une jeune dame qui avoit de petites filles qu'elle nourriffoit. Bernard promit qu'elle confentiroit ou qu'elle mourroit bien-tôt; & comme elle continuoit de réfifter, fon mari réfolut, fans la quitter, de mener une vie pauvre à la campagne, & vivre du travail de fes mains. Elle tomba grievement malade; & ayant fait venir Bernard, elle le pria de lui pardonner, & fut la premiere à demander la féparation, puis elle fe fit religieufe à Lairé près de Dijon.

Le fecond des freres étoit Gerard homme de mérite, aimé de tout le monde pour fa valeur, fa conduite & fa bonté. Il réfiftoit fortement,

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trai

traitant de legereté la facilité de fes freres à prendre un tel engagement. Mais Bernard tranfporté du zele qui l'animoit : Je fai, lui dit-il, qu'il n'y aura que l'affliction qui vous rendra fage; & portant le doigt à fon côté, il ajoûta: Le jour viendra, & bien-tôt, qu'une lance perçant ce côté, fera paffer à vôtre cœur le confeil falutaire que vous méprisez : vous craindrez, mais vous n'en mourrez pas. Peu de jours après Gerard envelopé par fes ennemis, fut pris & bleffé d'une lance au même endroit. Se croyant preft à mourir il crioit: Je fuis moine, je fuis moine de Cifteaux. Il fut mis dans une étroite prison où il guerit contre son esperance, & en fut délivré comme par miracle.

Entre ceux que Bernard gagna à Dieu, étoit Hugues de Mafcon, depuis Evêque d'Auxerre, jeune Seigneur confiderable par fa nobleffe, fes grands biens & la pureté de fes mœurs. Ayant apris la converfion de Bernard fon cher ami, il le pleuroit comme perdu pour le monde; & à la premiere occafion qu'il eut de lui parler, d'abord ils pleurerent par des motifs bien differens; mais lorsqu'ils commencerent à s'expliquer, l'efprit de verité s'infinua avec les paroles de Bernard, & la converfation changea de face. Ils fe donnerent parole d'embraffer enfemble ce nouveau genre de vie, & d'être plus unis qu'ils n'avoient été dans le monde. Peu de jours après Bernard aprit que de mauvais amis avoient détourné Hugues de fa bonne resolution: mais il alla le chercher, & le ramena au bon chemin, en forte qu'il ne s'en écarta plus.

Bernard parloit en public & en particulier pour gagner les ames; & fes difcours avoient une telle énergie, qu'on ne pouvoit lui refifter: en forte que les meres cachoient leurs enfans, les femmes retenoient leurs maris, les amis dé

tour

tournoient leurs amis. Ceux qu'il avoit raffemblez n'étoient qu'un coeur & qu'une ame: ils AN.1113. demeuroient ensemble dans une maison qu'ils avoient à Chastillon; & à peine quelqu'un ofoitil y entrer, s'il n'étoit de leur compagnie. Si quelqu'autre venoit, il glorifioit Dieu de ce qu'il voyoit & fe joignoit à eux, ou fe retiroit en déplorant fa mifere & les eftimant heureux. Ils demeurerent environ fix mois en habit feculier depuis leur premiere résolution, attendant qu'ils fuffent en plus grand nombre, & que quelques-uns d'entre eux euffent terminé leurs affaires. Le jour étant venu d'accomplir leur vou, les cinq freres fortirent ensemble de la maifon de leur pere dont ils étoient venus recevoir la benediction, & l'aîné voyant dans la rue leur jeune frere avec d'autres enfans, lui dit: Mon frere Nivard, c'eft vous feul que regarde toute nôtre terre. Nivard répondit : Oui le ciel pour vous, & la terre pour moi le partage n'eft pas égal. Il demeura pour lors avec le pere, mais il fuivit fes freres peu de tems après, fans que fon pere ni fes amis puffent le retenir.

XXIV.

Ce fut l'an 1113.quinze ans après la fondation de Cifteaux, que Bernard âgé de vingt-deux ans S. Bernard à Cifteaux. y entra avec plus de trente compagnons, pour vivre fous la conduite de l'Abbé Etienne. Et . 4. comme quelques-uns d'entre eux avoient été mariez : il fit bâtir par fes foins un monaftere pour leurs femmes, nommé Julli dans le diocefe de Langres, qui deux ans après fut mis fous la conduite de l'Abbé de Molefne. La maifon de Cifteaux étoit alors encore très-peu connuë; auffi Bernard y entra à deffein de fe cacher & de fe faire oublier; & pour s'affermir dans fes bonnes réfolutions, il fe difoit fouvent à lui-même ́: Bernard qu'es-tu venu faire

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