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il les laiffoit dire, & avoit grand foin de joindre à l'étude la pratique de toutes les vertus. Il fe réduifit à la plus étroite pauvreté, & couchoit fur une natte tout vêtu. Il lut avec application_la regle de S. Benoît, & l'obferva autant que fon état pouvoit le lui permettre. Il ne mangeoit chaque jour qu'une demie livre de pain avec un peu de féves, & buvoit très-peu. Comme on venoit de tous côtés en pélerinage à faint Martin de Tours, & que les Rois même & les Princes de diverfes nations y venoient faire leurs offrandes, le jeune chanoine Odon étoit exposé à des vifites continuelles: car chacun vouloit le voir & recevoir de lui quelques inftructions. Il refufoit conftamment tous les préfens qu'on vouloit lui faire : & aiant été un jour forcé par un grand Seigneur de recevoir cent fols d'or, il les diftribua auffitôt aux pauvres.

Odon alla enfuite à Paris, où il étudia fous Remi moine de S. Germain d'Auxerre, qui lui fit lire la Dialectique attribuée à faint Auguftin dès le tems d'Alcuin. On croit que cette prétendue dialectique de faint Auguftin, eft le Traité des dix catégories d'Ariftote. Odon revint à Tours, où il s'apliqua à la lecture des Morales de faint Grégoire fur Job, qu'il goûta beaucoup, & dont il fit un abregé que nous avons. Les chanoines de faint Martin de Tours, réduits à 150. au lieu de trois cens moines qui fervoient autrefois cette célébre églife, étoient encore alors fort réguliers; Odon néanmoins défiroit de fuivre un genre de vie encore plus parfait. La lecture des Peres, & fur-tout de la régle de faint Benoît, le faifoit foupirer après une retraite où il pût pratiquer exactement cette régle fi pleine de fageffe. Il étoit inconfolable de ne trouver aucun monaftere qui n'eut degénéré de fon an

cienne ferveur, & qui n'eut perdu fon efprit primitif. En effet depuis foixante ans, les guerres civiles & les ravages des Normans avoient ruiné la plupart des monafteres. Odon avoit un ami nommé Adegrim qui cherchoit comme lui un azile. Tous deux affligés de n'en point trouver en France, vouloient aller à Rome. Mais en paffant par la Bourgogne, ils furent témoins des travaux de l'Abbé Bernon pour faire refleurir la vie monaftique. Ils réfolurent donc de ne point aller plus loin.

Adegrim fe renferma dans une petite caverne, avec la permiffion de l'Abbé Bernon, qui crut ne pas devoir s'opposer à l'attrait qu'il avoit pour la folitude. Ily vêcut plus de trente ans, ne venant au monastere de Cluni que les Dimanches. Il y prenoit de la farine pour faire fon pain, & un peu de feves, & retournoit dans fon défert où il fouffroit les incommodités du froid & de la chaleur. Pour Odon, comme il avoit du talent, il fut chargé de la conduite des enfans qu'on élevoit dans le monaftere. Le défir qu'il avoit de voir fes parens dans la voie du falut le porta à demander permiffion de les aller trouver. Il les gagna à Dieu, amena fon pere au monaftere, où il le fit recevoir, & fit auffi prendre le voile à fa mere dans une communauté de vierges chrétiennes. L'Abbé Bernon admirant le tare mérite d'Odon, le fit élever au Sacerdoce, malgré fa réfiftance, par Turpion Evêque de Limoges recommandable par fa fcience & par fa piété. Cet Evêque s'entretenant un jour avec Odon fur la dignité du Sacerdoce, & fur l'état où fe trouvoit alors l'Eglife, Odon déplora beaucoup les défordres du clergé. L'Evêque fut fi touché de fon difcours, qu'il le pria de le lui donner par écrit. Odon le rédigea en trois livres qui

portent le titre de Conférences. Odon fut contraint de fe rendre au choix que Bernon fit de lui, pour gouverner le monaftere de Cluni. Comme il réfiftoit aux larmes des moines qui le conjuroient d'être leur Abbé, il fallut céder à la ménace d'excommunication que lui firent les Evêques qui étoient préfens. Dès-lors le monaftére de Cluni commença à devenir célébre par fa régularité, par la vertu des moines, par l'étude de la Religion, & par la charité que l'on avoit pour les pauvres. La grande réputation de l'Abbé Odon engagea les Papes Leon VII & Etienne VIII à le faire venir plufieurs fois à Rome, pour procurer la paix entre Hugues Roi d'Italie & le Patrice Alberic. Etant à Rome il fut attaqué d'u ne fiévre violente qui le réduifit à l'extrémité mais il obtint de Dieu affez de force pour re tourner mourir auprès du tombeau de faint Martin. Il célébra fa fête l'an 942 avec une dévotion extraordinaire, & mourut le jour de l'Octave, âgé de foixante & quatre ans. Il avoit réformé plufieurs monafteres à Rome & en France; ceux d'Aurillac en Auvergne, de Fleuri fur Loire, de Sarlat en Perigord, de Tulle en Limofin, & quelques autres. Ceux de Sarlat & de Tulle ont été érigés depuis en Evêchés. Odon établiffoit dans tous les monafteres ce qui s'obfervoit à Cluni. De fon tems le monaftere de Cluni reçut des donations fi confidérables, qu'il

en refte 188 chartres.

font

Nous avons de lui plufieurs Ecrits qui une preuve de fes lumieres & de fa piété. Outre ceux dont nous avons parlé, il avoit fait des Hymnes & des Antiennes en l'honneur de faint Martin, la vie de faint Gerauld Comte d'Aurillac, plufieurs difcours en l'honneur de faint Martin. Il déplore en plufieurs endroits de fes

Ouvrages la corruption des Chrétiens. Il fe plaint en particulier des communions indignes & de la profanation des Sacremens. Plus, dit-il, les faints myfteres étoient autrefois célébrés rarement, plus on y apportoit de fainteté.

IV.

Cluni.

IV.

Le troifiéme Abbé de Cluni fut Aymard qui avoit une grande vertu, & qui étoit très-zélé s. Mayeul pour faire obferver la régle. Îl augmenta fi con- au li Abbé de fidérablement le temporel, que pendant fon gouvernement qui ne fut que de fix ans, il y cut 278 donations. Aymard ayant perdu la vue, prit pour coadjuteur Mayeul né à Avignon au commencement du dixiéme fiécle. Mayeul étant encore fort jeune, perdit fes parens qui étoient nobles & riches, & fes terres ayant été ravagées par les Sarrafins & les Hongrois, il fe retira à Mâcon. Il y fut bien reçu par un Seigneur de fes parens ; & après quelque féjour, l'Evêque qui connoiffoit fa vertu, le fit clerc, & lui donna un canonicat de fa cathédrale. Comme l'Ecole de Lyon étoit alors célébre, Mayeul y alla étudier par le confeil de fon Evêque, qui l'éleva enfuite au Diaconat. Sa réputation lui attira un grand nombre de clercs, qui venoient de divers lieux prendre fous lui des leçons de Philofophie & de Théologie. Il refusa perfévéramment l'Archevêché de Besançon, auquel il avoit été nommé par le clergé & par le peuple de cette églife. Comme le monaftere de Cluni n'eft pas éloigné de Mâcon, il y alloit fouvent pour s'entretenir avec les moines des vérités éternelles, & il s'y retira entiérement l'an 943.

Le bruit de fa retraite fit naître à plufieurs perfonnes diftinguées dans le fiécle, le deffein de quitter tout pour ne plus fervir que Dieu. On fentoit que le monde n'étoit donc point fi aima

ble, puifqu'un homme de ce mérite qui pouvoit y prétendre aux prémieres dignités, lui préféroit l'obfcurité d'un cloître. L'Abbé Aymard fit Mayeul bibliothécaire, & cette fonction lui donna l'intendance des études du monaftere. Mayeul les dirigea toutes vers Dieu, le feul objet qui mérite d'être bien connu, & qu'on ne connoit bien qu'en l'aimant fans réserve. Après la mort de l'Abbé Aymard, Mayeul gouverna l'Abbaïe de Cluni pendant près de trente ans. Il étudioit fans ceffe l'Ecriture fainte, & connoiffoit parfaitement la difcipline monaftique & les faints canons. Il inftruifoit avec beaucoup d'onction & de facilité ; & il reprenoit avec charité & avec zéle. Il cherchoit toujours la retraite, & prioit avec tant de componction, que le plus fouvent on trouvoit la terre trempée de fes larmes. Il avoit le don des miracles, & l'eau dont il fe lavoit les mains guériffoit les malades. L'Empereur Othon le Grand qui connoiffoit fon rare mérite, le fit venir auprès de lui pour prendre fes confeils. L'Impératrice auroit voulu le fervir comme la moindre fervante; mais Mayeul qui ne pouvoit fouffrir les honneurs qu'on lui rendoit, ne lui en laiffoit pas la liberté.

En paffant par les Alpes l'an 973, il fut pris par les Sarrafins & mis dans les fers. Il défiroit de mourir pour la Religion, & il en demandoit à Dieu la grace avec ardeur; mais il ne fut point exaucé parce que Dieu vouloit qu'il fut encore utile à plufieurs. On vendit à Cluni pour le racheter, tout ce qui fervoit à l'ornement du mo→ naftere. Il s'étoit fait refpecter dans fes liens par les Barbares qui l'avoient pris, & il en avoit inftruit plufieurs des vérités de la foi. Quelque tems après fon retour à Cluni, on voulut l'élever fur le faint Siége ; mais il fut effraié du poids d'une

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